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Talent brut

Avec

Shailene Woodley

Incarnant la fiancée d’Edward Snowden dans le très attendu biopic du lanceur d’alerte, SHAILENE WOODLEY révèle les dessous de l’un des scandales les plus médiatisés au monde. Rencontre avec une actrice qui ne pratique pas non plus la langue de bois. Par NATALIE EVANS-HARDING.

Photographe Victor DemarchelierRéalisation Catherine Newell-Hanson
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Chemise Jil Sander ; jean Alexander Wang.

Lorsque j’ai su qu’ils faisaient ce film, j’ai supplié mes agents de m’avoir un entretien avec Oliver », dit Shailene Woodley, remplissant sa tasse de thé assise dans un bar branché de SoHo à New York. Oliver n’est autre qu’Oliver Stone, le réalisateur trois fois oscarisé qui sort bientôt Snowden, dans lequel Shailene joue, relatant l’histoire d’Edward Snowden, le lanceur d’alerte de la CIA qui a divulgué des milliers de documents de la National Security Agency.

Travailler avec Oliver Stone est une étape importante pour la star de la saga Divergente et The Descendants, cassant son image de jeune ado pour incarner Lindsay Mills, la petite amie de Joseph Gordon-Levitt’s Snowden. Non pas que Shailene dénigre ces rôles, au contraire ; l’actrice a commencé à quatre ans et peut compter sur des fans loyaux – il a d’ailleurs fallu se frayer un chemin entre ces derniers et leurs iPhones pour accéder au bar. À tout juste 24 ans, elle est ce qu’on appelle une actrice bankable, chose qui importait peu à Stone. « Il ne pensait pas à moi pour Lindsay, dit-elle. Je ne pense pas même qu’il m’ait vue dans quoique ce soit. » Comment a-t-elle donc fini à l’affiche du film ? En lui écrivant une lettre. Et ça a marché. « Je voulais tellement le rencontrer et lui dire qu’en tant que jeune adulte je tenais à le remercier de faire un film qui allait changer ma vie, et celle des autres femmes, lance-t-elle. Et le remercier pourle faire maintenant, parce que sans lui ça aurait pris dix ans. »

Elle ne pouvait pas viser plus juste. Quelqu’un avec moins d’autorité n’aurait pas eu l’aval des studios, d’autant plus que le film rend Snowden plus humain et nous pousse à nous mettre à la place de l’homme le plus recherché d’Amérique. Exilé en Russie dans un endroit gardé secret, il a néanmoins rencontré Stone et même fait une apparition dans le film. Shailene, elle, a pu dîner avec Lindsay.

Je pense à Lindsay tous les jours, et on a terminé le film il y a plus d’un an. C’est une vraie personne à qui cette histoire arrive. Cela fait plus de dix ans qu’elle aime un homme qui travaille pour la NSA et qui a le devoir de garder des secrets. Puis, un beau matin, alors qu’il lui dit qu’il est parti en voyage d’affaire, voilà que l’amour de sa vie se retrouve partout à la télé », raconte Shailene, comme si elle-même vivait la chose. « Elle a dû faire face à toutes les retombées, et s’est trouvée dans une position délicate où, d’une part, elle est fière de son courage – et ça, c’est moi qui le dit, pas elle – mais aussi troublée et triste à la fois. Sa vie a pris un tournant considérable, c’est le moins que l’on puisse dire : son mari étant interdit d’entrée aux USA et dont la tête est mise à prix, Lindsay a soit le choix de rester dans son pays ou de vivre en Russie avec lui. En plus de ça, des journalistes frappent à sa porte au quotidien. Lindsay enseigne le yoga et le pole dancing, et la presse la met en pièces disant : “La copine d’Edward Snowden est une strip-teaseuse.” Alors qu’elle est coach de fitness », nous rappelle-t-elle. « Les acteurs, eux, s’attendent à ce genre de gros titres, mais elle n’a rien à voir avec ça. »

Shailene parle avec ferveur et défend son point de vue preuves à l’appui. Elle répète bien les points importants de façon à ce que vous ne les oubliez pas. Elle garde même un pansement sur la caméra de son ordinateur depuis qu’elle s’est renseignée sur l’affaire Snowden, bien que l’espionnage l’ait toujours intriguée (un de ses livres préférés est 1984 de George Orwell), posant des questions à sa mère sur les caméras de surveillance dans sa rue lorsqu’elle était encore enfant. Elle s’intéresse beaucoup au monde, qu’il s’agisse de sexualité (« On n’apprend pas aux jeunes filles comment se donner du plaisir, ou à quoi un orgasme devrait ressembler, ou qu’elles devraient être sexuellement épanouies. Je rêve d’écrire un jour un livre dont le titre serait “La masturbation peut se faire de différentes façons”. Si on nous l’enseignait à l’école, je suis sûre qu’il y aurait moins d’adolescentes avec de l’herpès ou enceintes à 14 ans, non ? »), des retouches Photoshop (« Sur le tournage de Divergente, j’avais beaucoup d’acné. Mais ça ne se voyait pas puisqu’ils l’effaçaient. Je sais, c’est leur film, leur produit, et je suis là dans la peau d’une autre, mais, en tant qu’être humain, pourquoi cacher la réalité ? »).

Haut Ellery ; jean Tome.
Robe Marques’ Almeida.
Manteau Miu Miu ; tunique Tibi.
Haut Beaufille ; jean Marques’ Almeida.

Pendant un peu moins d’une heure, nous parlons élections présidentielles (Shailene est une supportrice de Bernie Sanders), réseaux sociaux (« C’est du narcissisme. On rabâche aux gens à longueur de journée à quel point ils sont fabuleux, beaux et influents, et ils parviennent à y croire et sont complètement détachés de la réalité ») et Hollywood (« C’est un environnement malsain : les femmes y sont plus minces, plus blondes avec des lèvres gonflées, et ce n’est même pas un stéréotype, car il y a ce modèle qu’on leur dit de suivre pour y arriver. »).

Bref, c’est un vrai régal de bavarder avec elle. « C’est difficile d’aborder la politique à Hollywood, confesse-t-elle. La plupart des gens sont si privilégiés qu’ils ne voient pas les 99 % restant de l’Amérique. Puisqu’ils n’ont pas besoin de le faire, pourquoi leur en parler ? Comment peuvent-ils donc avoir une autre vision du monde ? »

On pourrait facilement attribuer cette ouverture d’esprit à une éducation moderne ; son père était psychologue et sa mère thérapeute. À la maison, les portes n’étaient jamais fermées à un adolescent en fugue ou une personne victime de violence domestique, qui les suivaient même en vacances. « Il y avait parfois des choses pas très jolies, dit Shailene. Ma famille est certes tordue mais ils sont ce que j’ai de plus cher. » Avec de l’émotion dans la voix, elle continue : « Ils feraient tout pour moi, et inversement moi tout pour eux. Beaucoup de gens ne peuvent pas en dire autant. Je suis reconnaissante du bordel que ça a pu être. »

Malgré cela, Shailene a du mal à jouer la colère. « Attention, je suis toujours effarée de voir toute cette corruption dans le monde, mais de là à crier ou hurler… La dernière fois que j’ai eu à le faire, c’était avec mon copain quand j’avais 17 ans. Je n’ai pas pu retenir quelques insultes. Cette relation n’avait rien de bon et je me souviens me dire : “Je ne veux pas être comme ça.” »

Robe Victoria, Victoria Beckham.

En réalité, l’actrice apparaît comme quelqu’un d’équilibré, le résultat de sa remarquable éducation. Si elle et son frère se disputaient, ils devaient chacun s’excuser à leur tour dans le jardin, à la vue des voisins. « On s’y pliait car, bien qu’à ce moment-là on se détestait, si l’un de nous le montrait, on était bon pour y rester une heure de plus. Le genre d’exercices psychologiques dont mes parents raffolaient ! rie-t-elle. À l’école, si un élève était méchant avec moi, et bien ce n’est pas de mon côté que mes parents se rangeaient. Leur truc était de me dire : “On est désolé pour toi mon ange, mais que crois-tu que cette personne peut ressentir ?” Je détestais. Bien sûr, plus tard j’ai compris que si quelqu’un agissait par méchanceté, c’est que quelque chose n’allait pas, qu’il y avait un manque d’amour chez eux, et qu’il ne faisait que reproduire tout ça. Le meilleur moyen est de se mettre à la place des autres. »

Veste Alexander Wang ; débardeur Frame.
Combi-pantalon Stella McCartney.

L’actrice attend toujours avec impatience le genre de rôles qui montreront de quoi elle est faite ; la « girl next-door », elle n’en veut plus, son personnage idéal serait Helena Bonham Carter dans Fight Club. Même si elle insiste qu’elle dort ce qu’il faut, elle semble vivre à cent à l’heure. Lorsqu’elle ne travaille pas, elle contacte ses amis pour proposer son aide au cas où ils aient besoin d’un coup de main, quel que soit leur projet. Elle a beau ne pas se dire compétitive, elle aspire toujours à être au top – en tant qu’actrice, et en tant que personne. Elle veut réussir mais avec mérite. Être rejetée n’est pas un problème : ça lui permet de s’améliorer (elle continue de prendre des cours de théâtre), et elle n’aime pas qu’un rôle lui soit servi sur un plateau. « Je vois souvent des films dans lesquels l’acteur est bien, mais je me dis qu’un autre aurait été meilleur. C’est pour ça que j’aime passer des auditions, car au moins on sait qu’on a été choisi et qu’on correspond à ce qu’ils cherchaient, dit-elle. La première fois où on m’a offert un rôle comme ça, j’étais anxieuse. Pas à cause du réalisateur, mais parce qu’il n’avait pas eu l’occasion de me comparer à cette centaine de femmes qu’il aurait pu voir auditionner. »

Quel est son état d’esprit en ce moment ? « Je veux grandir, apprendre et m’améliorer un petit peu tous les jours. C’est tout. » Nul doute qu’elle y arrivera : Shailene a de l’énergie à revendre.

Chemise M.i.h Jeans ; jean (avec ceinture) Sonia Rykiel.

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