Raison et rébellion
Avec
Maisie Williams

Depuis ses débuts à manier l’épée dans la série Game of Thrones jusqu’à ses apparitions remarquées sur les tapis rouges, MAISIE WILLIAMS a pris le temps d’apprivoiser et de comprendre sa propre féminité pour défier les stéréotypes culturels. Bientôt à l’affiche de Pistol, la très attendue mini-série punk de Danny Boyle, l’actrice met en scène sa révolution intérieure, bien plus paisible, dans le décor idyllique qu’offre la campagne britannique et, comme elle le dévoile à NAOMI PIKE, elle n’a jamais été si heureuse.
C’est par un délicieux matin de printemps, au cœur de la campagne anglaise, que nous faisons la rencontre de Maisie Williams. Fermement ancrée sur son tapis de yoga parallèle au mien, elle prend la pose du guerrier qui lui correspond si bien. Cela fait bientôt un an qu’elle et son petit ami, le designer de mode Reuben Selby, ont troqué la vie frénétique londonienne pour un petit coin de paradis dans le calme du West Sussex, sur la côte sud du Royaume-Uni. Aujourd’hui, elle a ainsi choisi de me retrouver dans le studio où elle pratique régulièrement, un lieu de rendez-vous qui ne pourrait être plus différent que ceux où l’on rencontre habituellement les acteurs de sa génération et de son envergure. Mais Maisie ne s’en préoccupe guère.
La jeune femme de 25 ans, qui a fait ses débuts à l’écran dans le rôle de l’héroïne Arya Stark, l’adolescente assassine de la série Game of Thrones, apprécie particulièrement l’Angleterre rurale pour décompresser : pratiquer le yoga, prendre des cours de méditation, visiter les fermes alentour ou simplement parcourir les allées de la bibliothèque locale sont autant de petits plaisirs qui lui permettent de se ressourcer dans l’anonymat le plus complet. Lorsqu’elle surprend occasionnellement des coups d’œil insistants cependant, elle confie se demander ce qui a réellement éveillé cet intérêt : « Est-ce que les gens nous regardent parce que nous sommes connus ou simplement parce que nous avons l’air bizarre ? », s’esclaffe-t-elle alors que nous nous asseyons à la table d’un petit café du quartier après notre cours. Maisie Williams et Reuben Selby, qui sont régulièrement aperçus aux premiers rangs des défilés des Fashion Weeks, adoptent un style vestimentaire non binaire qui incarne tout l’esprit de la génération Z. Et si vous avez été interpelée par les kilts coordonnés de Thom Browne que le couple arborait avec aisance lors de son dernier passage à Paris, attendez de voir leurs looks kaléidoscopiques du West Sussex.
« Vous savez quoi ? Je ne me suis jamais sentie mieux », confie-t-elle. « Ce que j’ai appris récemment, c’est que je gagne beaucoup à être seule et c’est quelque chose qui est difficile à comprendre quand on est pris dans les tumultes de la vie publique. Je ne dis pas que ceux qui s’y épanouissent sont incapables de véritable liberté ou de s’exprimer pleinement, mais personnellement ce milieu ne m’apporte pas la clarté d’esprit, la lucidité dont j’ai besoin. [Emménager ici] a été mon petit acte de rébellion. »
Car la rébellion occupe bien son esprit. Maisie s’est récemment glissée dans la peau du personnage Pamela « Jordan » Rooke pour la série Pistol de Danny Boyle, une mini-saga de six épisodes retraçant les turbulents débuts du mouvement punk jusqu’à son apogée avec la formation des Sex Pistols. Pour l’actrice, c’est une véritable consécration : après le rôle de garçon manqué à la tête de la maison Stark qui l’a fait connaître, elle se réjouit d’interpréter aujourd’hui Pamela Rooke et de pouvoir se plonger dans son esthétique déjantée, formidablement inspirante, qui a fondé la meilleure partie des codes que l’on associe depuis au punk, et qui continuent d’influencer la mode actuelle. Notre interview se tient deux semaines après la triste annonce du décès de l’icône, emportée à seulement 66 ans par une rare forme de cancer. Maisie lui a rendu un hommage très personnel en postant, sur son profil Instagram, une photo d’elle au côté de la star légendaire, commentant : « Ton image et ton essence transcenderont ton temps sur cette terre… Jordan m’a ouvert son cœur et offert sa confiance. Les gens me demandent souvent comment je me suis préparée à jouer sa vie : honnêtement, je lui dois tout… Elle est une œuvre d’art ambulante, et le monde n’est plus le même depuis qu’elle y a posé les pieds. »
Sa scène inaugurale dans la série la voit monter à bord d’un train pour Seaford, arborant la crinière blonde peroxydée signature de son personnage et enveloppée dans un trench entièrement transparent. C’est le trajet qu’effectuait quotidiennement Pamela Rooke lorsqu’elle travaillait pour le célèbre magasin SEX fondé par Vivienne Westwood (interprétée à l’écran par Talulah Riley) et Malcolm McLaren (Thomas Brodie Sangster).
« J’ai souvent été LA PLUS JEUNE de l’équipe, celle qui avait encore beaucoup à APPRENDRE, et soudainement tout s’est inversé : j’étais l’une des plus ÂGÉES et je savais quoi faire. »
Pamela Rooke a d’ailleurs largement été consultée dans le cadre du feuilleton, et son implication a été déterminante à bien des égards pour Maisie. « Lorsque j’ai commencé [mon travail de préparation pour ce rôle], je me suis plongée dans son livre, Defying Gravity: Jordan’s story, l’autobiographie qu’elle a écrite en 2019. Mais, même armée de toutes ces informations, mon interprétation n’offre qu’un angle limité pour représenter sa vie et il était en cela important de l’avoir à nos côtés pour en faire une retranscription la plus réaliste possible. Cette femme extraordinaire a assisté à la naissance du punk, du début à la fin ; elle était là quand les Pistols n’étaient pas encore les Pistols. Il était crucial pour nous de produire quelque chose qui lui plaise sincèrement », explique Maisie. Cette expérience a été incroyablement enrichissante pour l’actrice, qui n’a cessé d’être inspirée par les performances de la star et par sa présence sur les plateaux de tournage. Malheureusement, le décès prématuré de cette dernière lui aura volé la chance d’en voir l’aboutissement.
Même si l’on y retrouve beaucoup de visages familiers, le casting de la série inclut également nombre de talents émergents de la scène britannique, qui embrassent ici leur premier rôle d’envergure : on compte ainsi parmi eux Iris Law, Louis Partridge et Anson Boon. « J’ai souvent été la plus jeune de l’équipe, celle qui avait encore beaucoup à apprendre, et soudainement tout s’est inversé : j’étais l’une des plus âgées et je savais quoi faire », se rappelle avec un sourire l’actrice. « Ça m’a fait un choc, [mais] j’ai réussi à canaliser cette expérience en la traduisant par l’assurance naturelle de Jordan. »
« J’en suis venue à éviter de vouloir mettre à tout prix une ÉTIQUETTE sur celle que je perçois en moi. J’essaie plutôt d’accueillir ce que je RESSENS et de comprendre pourquoi j’ai telle ou telle émotion. Et ça m’a permis de devenir plus À L’AISE avec moi-même. »
Les propositions qui l’intéressent maintenant sont celles qui lui permettent « de connecter toutes les facettes » de sa personnalité, ajoute-t-elle. « [Arya] était un personnage impétueux, et je ne veux pas me trouver limitée à des rôles colériques, tourmentés ou vindicatifs. Je me suis progressivement éloignée de ce genre de caractères particulièrement virulents, parce qu’ils ne représentent pas la majorité des gens dans le monde réel. Mais c’était la réalité d’Arya, et peut-être la mienne aussi à l’époque, ce qui expliquerait d’ailleurs pourquoi je la considère comme ma zone de confort… J’aime bien crier et pleurer à l’occasion. »
Parce que découvrir et s’approprier différents types de personnalité est un aspect inhérent à son travail, on se demande si cet exercice a permis à l’actrice de mieux se connaître elle-même. « Oui, j’y ai d’ailleurs beaucoup pensé », confirme-t-elle. « Mais on est aussi limité dans notre compréhension par nos propres expériences directes, et on en vient souvent à se retourner la question : qui suis-je vraiment dans tout ça ? Je sais que je ne suis pas la seule et que beaucoup de mes confrères se regardent dans le miroir en se disant : “Je ne sais pas qui est cette personne.” Mais c’est vrai pour tout le monde, c’est inhérent à l’expérience humaine. J’en suis venue à éviter de vouloir mettre à tout prix une étiquette sur celle que je perçois en moi. J’essaie plutôt d’accueillir ce que je ressens et de comprendre pourquoi j’ai telle ou telle émotion. Et ça m’a permis de devenir plus à l’aise avec moi-même. »
Notre conversation s’oriente vite sur la mode, et plus particulièrement sur la robe asymétrique semi-transparente signée JW Anderson qu’elle portait aux Emmy Awards en 2019, une cérémonie qui a d’ailleurs vu la série Game of Thrones largement récompensée. Cette tenue créée en partenariat avec Reuben Selby a marqué un tournant décisif dans son style personnel, jusqu’alors principalement circonscrit aux silhouettes trapèze de petite fille sage. « Reuben et moi travaillons ensemble depuis que nous nous sommes rencontrés, mais collaborer avec Jonathan [Anderson] a été un moment très important, surtout parce que sa marque est à mille lieues de ce que j’avais l’habitude de porter jusqu’alors. Je ne sais pas si [Jonathan Anderson] réalise à quel point cela a contribué à transformer mon image publique. Je lui en serai toujours reconnaissante. Et j’ai adoré la porter. Quand j’y repense aujourd’hui, cette soirée si mémorable, et qui a eu un tel impact sur ma carrière, est aussi connectée à l’endroit où je me trouve maintenant intérieurement », conclut-elle en effectuant un geste vers elle-même.
L’événement en question, comme l’actrice le laissait entendre plus haut, a ainsi changé sa propre perspective en matière d’image publique. « Pendant longtemps, j’ai tout fait pour incarner l’idéal de beauté que la plupart des gens ont à l’esprit, et je me suis perdue », poursuit-elle. « Puis un jour, j’ai demandé à mon coiffeur de me faire une coupe mullet et j’ai décidé : “Voilà, maintenant je vais arrêter de faire ce que tous attendent de moi et opter plutôt pour ce qui me va vraiment, même si c’est différent. Je vais me concentrer sur ce qui me semble me correspondre.” Et j’ai remarqué que, depuis, les compliments ont commencé à se multiplier. J’ai cessé d’espérer les “Oh mon dieu, elle est si belle !” et commencé à accueillir les “Wow, vous êtes tellement cool !” à la place. »
« On m’a offert des EXPÉRIENCES que peu de personnes se voyaient proposer il y a 25 ans. Je pense que les FEMMES commencent à avoir accès à des personnages mieux construits. C’est un honneur d’être actrice à l’heure actuelle, parce que les OPPORTUNITÉS sont tellement plus constructives. »
Elle bâtit désormais son esthétique à partir de pièces audacieuses signées par des maisons comme Prada ou par des jeunes créateurs, mais ses sourcils blond platine semblent être maintenant la signature la plus affirmée de son look. « Quand on cherche à trouver sa voie, le meilleur moyen de se connecter à la destination que l’on souhaite atteindre se trouve dans ces occasions médiatisées, où l’on peut exprimer visuellement ce à quoi on s’identifie », explique-t-elle.
Depuis 2018, elle a lancé l’App Daisie, une plateforme permettant aux professionnels créatifs d’exposer leurs talents et de croiser leurs potentiels, une initiative qui lui a d’ailleurs permis d’élargir l’éventail de ses compétences en passant notamment derrière la caméra : elle a récemment endossé le rôle de productrice dans le cadre d’un court-métrage réalisé au Pays de Galles.
« Il s’agissait moins de devenir productrice que de créer quelque chose de cool », précise-t-elle, consciente des portes que son nom et son statut lui ouvrent. « L’industrie devient un meilleur environnement de travail quand elle offre de réelles opportunités. Toutes les occasions intéressantes qui se présentent, les projets qui motivent vraiment les gens, tous naissent d’un changement de perspective. »
À ce moment-là, son iPhone se met à vibrer : c’est son manager qui lui annonce qu’elle a décroché le rôle dont elle rêvait et pour lequel elle s’est secrètement battue en coulisse ces derniers mois. Bien qu’elle ne puisse encore rien nous révéler, Maisie semble sincèrement enchantée. « On m’a offert des chances et des expériences que peu de personnes se voyaient proposer il y a 25 ans », commente-t-elle lorsqu’on aborde la question de la perception des premiers rôles féminins. « Je pense que les femmes commencent à avoir accès à des personnages mieux construits. Je considère que c’est un honneur d’être actrice à l’heure actuelle, parce que les opportunités sont tellement plus constructives, variées et enrichissantes qu’elles ne l’ont été par le passé. »
Je la raccompagne à sa voiture Tesla, garée au centre d’une marée de Ford et de Volvo, et je lui demande si la Maisie d’il y a deux ans serait contente de voir où elle est arrivée aujourd’hui. « Absolument ! On ne se rend jamais compte, quand on est au centre de l’action, comment les choses se décantent pour le meilleur à la fin », répond-elle, avant de s’en retourner à sa tranquille révolution bucolique.
Retrouvez Pistol en mai, en streaming sur Hulu et/ou Disney+
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