Force et amour
Avec
Indya Moore

L’actrice et activiste INDYA MOORE utilise depuis longtemps sa plateforme pour aborder des sujets concernant les personnes non-binaires et qui ne se conforment pas au genre, aidant à amplifier la voix de la communauté LGBTQIA+ à travers le monde. Elle discute avec KUCHENGA du chapitre de Pose qui s’est clos, de l’esprit indomptable du Bronx et de pourquoi redéfinir la notion de chez soi lui a permis de se libérer.
Indya Moore est d’humeur pensive lorsque nous nous retrouvons sur Zoom, en direct de son appartement new-yorkais, où elle a passé la majorité de l’année dernière. La star de 26 ans a dû faire face à de nombreux changements, comme dire adieu à son rôle d’Angel Evangelista dans la série événement Pose (la troisième et dernière saison sera diffusée à la fin de l’été).
« Le changement m’aide beaucoup en ce moment », dit-elle à propos de ce nouveau chapitre de sa vie. « Et ce sera bénéfique pour mon avenir parce que mon bien-être est devenue ma prioritée et que je me recentre sur moi-même. Je n’avais jamais fait cela avant… Je ne me suis jamais centrée sur moi-même, sur mon propre bonheur. »
Indya Moore est devenue célèbre durant l’été 2018, quand Pose est sortie. La série, créée par le très fameux Ryan Murphy, fait partie des premières séries à rassembler autant d’acteurs transgenres. Elle nous fait découvrir la culture des bals des années 80 à New York, et est rapidement devenue culte : la magie opère, Indya est rayonnante dans ce rôle. On se souvient notamment de la beauté des scènes, comme de celle où l’on voit Angel, allongée tout habillée sur un lit rouge aux côtés de Stan Bowes (un homme marié cisgenre avec lequel Angel est engagée dans un triangle amoureux compliqué), avec en fond sonore la chanson Running Up That Hill de Kate Bush. Impossible d’oublier également la fois où Angel, en vêtements colorés, fait une visite surprise (et non désirée) à Stan devant son bureau de Wall Street, ou encore le dîner au cours duquel Stan se lance dans un soliloque sur le vide de son existence de mâle blanc issu de la classe moyenne, tout en ventant l’authenticité d’Angel. Son émotion déstabilise Angel qui, vêtue d’un haut à dos nu rouge et coiffée d’une cascade de boucles, se cache derrière le masque de travailleuse du sexe.
Dans la série, l’art est utilisé comme une forme d’activisme, et y participer a été pour Indya Moore une expérience profondément personnelle. « Je pense que la société ne se rend pas compte du traumatisme subit par les enfants transgenres… [Pose est] un miroir gigantesque qui reflète l’enfance de tant d’entre nous », dit-elle. « Cela m’a causé beaucoup d’anxiété, mais m’a aussi permis de m’affirmer. Cette série a été cathartique, parce qu’en lisant le scénario je répétais sans cesse “Oh, c’est ce que j’ai vécu !”. »
Ce tournage lui a aussi permis de mieux comprendre l’enfant qu’elle a été. « Je me sens profondément connectée à mon enfant intérieur… Je ne sais pas si beaucoup de personnes de notre communauté font cela, mais je trouve important de se reconnecter à son enfance intérieure et à cet endroit qui a été menacé tant de fois. Notre innocence, notre curiosité humaine, l’envie d’explorer les vêtements, la mode, les jouets… Tout cela est très genré. Le résultat ? Les enfants sont punis… et on nous dit que nous sommes confus, mais en réalité c’est le monde autour de nous qui est confus. »
Pour Indya, son enfance dans le Bronx a forgé son esprit de défiance qui guide désormais ses choix artistiques et politiques. « Le Bronx est un melting pot. Beaucoup de personnes venues du monde entier se rencontrent à New York. Dans le Bronx, la survie prédomine, c’est un endroit qui a été beaucoup stigmatisé. Souvent désigné comme l’un des quartiers les moins populaires de New York, il est aussi idolâtré car considéré comme le berceau du hip-hop. »
« Plus je vieillis, plus je suis devenue autonome et LIBRE, et plus je m’exprime. Et plus je me suis sentie en SÉCURITÉ, plus je me suis autorisée à AFFICHER mon côté queer. »
« Enfant du monde », Indya Moore a des racines portoricaines, haïtiennes et dominicaines, et compte sur son identité d’enfant issu de la diaspora africaine pour rappeler aux gens leur identité indigène Taino.
Elle a été élevée au sein de la communauté des témoins de Jéhovah (« Une expérience très isolée, n’est-ce pas ? » me dit-elle quand nous découvrons que nous avons ce point en commun). « Cela peut être très beau, et je suis reconnaissante pour plusieurs raisons. J’ai acquis de belles valeurs et de beaux principes, je ressens le besoin de prendre soin des gens. Mais je me sens aussi un peu asociale, et anxieuse à propos du monde qui m’entoure. J’ai aussi très peur du désastre qui peut nous tomber dessus à tout moment. »
« Si vous vous dites que vos ORIGINES sont ancrées dans toutes vos expériences en tant que personne transgenre, alors vous commencez à remettre la VIE en question.
« Et nous avons tous été élevés dans la croyance que les [personnes trans et queer] seraient détruites… Entendre que vos sentiments vous conduiront à ce sort funeste, que si vous portez tels habits ou voulez faire ceci ou cela, faites ces choix de vie, alors vous n’aurez pas le droit au bien. Plus je vieillis, plus je suis devenue autonome et libre, et plus je m’exprime. Et plus je me suis sentie en sécurité, plus je me suis autorisée à afficher mon côté queer. »
Après avoir annoncé qu’elle était queer à l’adolescence, Indya Moore s’est retrouvée sans-abri et a été placée en famille d’accueil. Elle a beaucoup déménagé et vécu dans les cinq arrondissements de New York avant l’âge de 20 ans. « Si vous vous dites que vos origines sont ancrées dans toutes vos expériences en tant que personne transgenre, alors vous commencez à remettre la vie en question. Vous savez, vous grandissez en pensant que vous ne serez jamais en sécurité et que vous ne méritez pas un foyer… Que dois-je faire pour y avoir accès ? J’avais l’impression que c’était quelque chose auquel je n’avais pas droit. Mais je savais que je trouverais l’amour, une communauté et du soutien. »
Le traumatisme et le fait de devoir survivre à un si jeune âge a renforcé le besoin de faire ce travail philanthropique qu’elle effectue aujourd’hui, comme de fonder TranSanta, une campagne de don de cadeaux lancée sur les réseaux sociaux pour répondre aux besoins des enfants trans placés ou sans-abri. Grâce à une application, les fonds peuvent être transférés directement aux personnes trans qui en ont besoin.
« C’est difficile », dit-elle quand je commente sur l’efficacité de ce soutien. « Je veux aider tout le monde, parce que c’est comme ça que la culpabilité fonctionne ! Je veux me rendre aussi utile que possible. Je ne sais pas si je m’y suis prise de la meilleure des façons, ni s’il y a des choses que j’aurais dû faire différemment. Je pense à cela tout le temps. Mais je suis assez contente de ce que j’ai accompli. »
« Je me suis toujours souciée de ces choses-là. Ce sont des choses que j’ai toujours priorisées dans mon travail car, avant de faire du cinéma et du mannequinat, c’est ce à quoi je m’intéressais », continue-t-elle. « C’est qui j’étais avant que mon art ne devienne populaire. »
« Nous avons tendance à nous PERDRE dans notre survie. Et quand vous avez autour de vous des personnes qui vous CONNAISSENT au-delà de la survie, vous pouvez plus facilement vous REPRENDRE quand les choses deviennent vraiment difficiles. »
En tant que figure qui a réveillé tant d’espoirs, je lui demande qui en retour l’a inspirée. Elle cite immédiatement Raquel Willis, l’activiste noire transgenre et auteure qui a aidé à organiser le mouvement Black Trans Lives Matter à Brooklyn en été 2020. « Elle a énormément contribué à organiser une communauté [à New York] », dit-elle. « Je lui suis tellement reconnaissante pour tout ce qu’elle a fait. »
Indya Moore s’inspire aussi beaucoup de ses lectures. Nous tenons toutes les deux nos exemplaires d’All about Love, de la féministe et théoricienne noire bell hooks. Elle a découvert l’ouvrage grâce à la chanson 12.38 de Childish Gambino, et essayé de comprendre son travail d’une manière plus complète depuis quelque temps : « bell hooks m’a atteinte de tant de façons différentes. Je me demandais qui était cette femme, je voulais la connaître. Elle est brillante, une très belle personne. » Parmi ses autres livres préférés, Pleasure Activism d’Adrienne Maree Brown. « Elle fait partie de ces gens uniques, elle incarne ce que j’ai envie de devenir plus tard », dit-elle à propos de l’auteure et activiste. « Je vois en elle qui je veux être plus tard et comment je veux évoluer. Je suis fascinée par la manière dont elle aborde les thèmes de la suprématie blanche, de la joie noire, et de la libération noire. »
« J’aime ma COMMUNAUTÉ, je veux que nous ayons ce dont nous avons BESOIN. Je veux que nous ayons accès aux soins, à la sécurité, à un abri et à l’AMOUR. »
Elle insiste sur le fait qu’elle dépend beaucoup de la communauté transgenre noire de New York pour son développement intellectuel et son soutien émotionnel. « Nous avons besoin d’une communauté, de personnes qui nous aiment. Nous avons besoin de personnes qui vous connaissent. Nous avons tendance à nous perdre dans notre survie. Et quand vous avez autour de vous des personnes qui vous connaissent au-delà de la survie, vous pouvez plus facilement vous reprendre quand les choses deviennent vraiment difficiles. C’est une des leçons que j’ai apprises : l’amour est important. J’ai compris qu’il faut apprendre à aimer de façon responsable et à apporter mon soutien aux gens, de la même façon que l’on m’a soutenue. »
Tandis que notre conversation se termine, je lui demande ce qu’elle espère pour le futur.
« Je veux simplement une vie heureuse et paisible. J’aime ma communauté, je veux que nous ayons ce dont nous avons besoin. Je veux que nous ayons accès aux soins, à la sécurité, à un abri et à l’amour. Ouvrir ces canaux pour ma communauté est important pour moi. C’est ce à quoi je tends. »
Le dernier épisode de la série Pose sort le 6 juin sur FX Network (États-Unis).