Cover story

Contre vents et marées

Avec

Amber Heard

L’actrice AMBER HEARD, qui incarnera bientôt la super-héroïne Mera dans le blockbuster Aquaman, se confie sur l’enfer qu’elle a vécu, sur comment elle est parvenue à tourner la page, et sur les raisons qui l’ont presque poussée à renoncer au rôle de la reine des mers. Par AJESH PATALAY

Photographe Olivia MaloneRéalisation Tracy Taylor
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Amber Heard et moi-même marchons côte à côte vers un restaurant de Los Angeles. Elle n’a pas glissé son bras sous le mien, mais ça ne m’aurait même pas surpris : elle dégage quelque chose de très amical. Nous venons tout juste de nous rencontrer et elle me parle gaiement de son père, David, un personnage haut en couleur. Aujourd’hui, de passage en ville, il a assisté à la séance photo PorterEdit. Elle a le look de la fille cool de Los Angeles : une peau saine, des cheveux blonds détachés, une tenue décontractée composée d’un T-shirt gris et d’un jean évasé bleu, et un petit sac Chloé. La veille, nous avons tous deux participé au même dîner de gala, donc ma première question porte naturellement sur l’événement. A-t-elle passé un bon moment ? Je n’étais pas vraiment préparé à sa réponse : une longue diatribe sur l’homogénéité d’Hollywood et combien il est difficile d’établir une connexion avec qui que ce soit. Je suis pris de court. Et elle n’a pas fini de me surprendre.

Dans un sens, Amber Heard a suivi le parcours hollywoodien classique. Elle a grandi au Texas, fille aînée de parents issus de la classe ouvrière, a abandonné l’école à 17 ans, déménagé à Los Angeles pour s’essayer à la comédie et au mannequinat, a joué des petits rôles à la télévision et au cinéma et, en dix ans, grâce à une beauté saisissante et sensuelle, est devenue star de cinéma, avec des rôles dans Magic Mike XXL et The Danish Girl. Mais Amber Heard, 32 ans aujourd’hui, n’a jamais vraiment respecté les règles d’Hollywood. Elle me raconte une histoire à propos du collège catholique où elle était scolarisée au Texas. Les élèves devaient effectuer un certain nombre d’heures de travail communautaire, sauf « qu’à cause de la nature de l’école, on pouvait obtenir un rabais si l’on manifestait devant des cliniques pratiquant l’avortement. Je me souviens être entrée dans une salle de classe pendant notre temps libre, et mes camarades étaient en train de fabriquer des pancartes avec des images terribles. Je me suis alors dit que je préférais ne pas être populaire que de faire subir ça à quelqu’un d’autre. Parce que, imaginez ce que cette personne doit déjà ressentir face à une telle décision, puis doit aller dans cette clinique, se retrouver face un groupe d’enfants qui manifestent et ont peut-être le même âge qu’elle. Je ne pourrais jamais faire ça. »

Photo du dessus : robe Versace ; blazer Anna Quan ; créole en or Loren Stewart ; créole en diamants Maria Tash. Cette photo : combi-pantalon Orseund Iris ; bottines Aquazzura ; créoles Loren Stewart ; boucle d'oreille en diamant Maria Tash.
Blazer Totême ; jean J Brand ; ceinture Philosophy di Lorenzo Serafini ; bottines Gianvito Rossi.
Robe Versace ; créoles en or Loren Stewart ; créole en diamant Maria Tash.

« TOUT LE MONDE a dit qu’aucune actrice qui travaille n’avait [officialisé sa bisexualité], une qui a des premiers rôles. Que j’allais tout PERDRE. J’étais terrifiée. Mais un mensonge n’est jamais durable. Seule la VÉRITÉ l’est »

Sachant qu’elle avait environ 13 ans à l’époque, n’importe qui serait impressionné par la force de conviction et l'empathie dont elle faisait déjà preuve. Je ne peux pas m’empêcher de ressentir un sentiment protecteur envers l’adolescente qu’elle était. Mais Amber Heard n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort. Comme elle me le dira plus tard « Je vis dans le monde réel, bébé. » Quand bien même, le fait de ne pas être sur la même longueur d’ondes que sa communauté a dû engendrer un sentiment d’isolement ? « Oui, mais l’inverse aurait été ennuyeux. Vous êtes-vous déjà trouvé dans une salle pleine de gens qui partagent votre opinion ? »

En décembre, Amber Heard sera à l’affiche, aux côtés de Nicole Kidman et de Jason Momoa, de ce qui est probablement le film le plus important de sa carrière : le blockbuster Aquaman. Fait intéressant, elle était au départ réticente à l’idée d’accepter le rôle de Mera, la femme d’Aquaman, par peur qu’il ne propose rien de plus profond qu’un personnage de bandes dessinées trop sexualisé, « rêvé par un adolescent de quatorze ans et aussi complexe que peut l’imaginer un adolescent de quatorze ans ». En somme, « aux antipodes de ce pour quoi je me bats, de ce qui me m’anime, de ce qui stimule ma créativité ». Mais après avoir discuté au téléphone avec Zack Snyder et lu les bandes dessinées originales, elle a été rassurée : Mera n’est pas uniquement la femme d’Aqua, mais une super héroïne à part entière et une reine qui commande une armée. « Un sabre et une couronne », dit-elle en serrant son poing.

Décrocher ce rôle était un succès en soi. En 2010, Amber Heard a déclaré publiquement sa bisexualité, et cette annonce a eu des répercussions : beaucoup s’en sont agacé à Hollywood. « Tout le monde a dit qu’aucune actrice qui travaille n’avait fait cela auparavant, une qui a des premiers rôles. Que j’allais tout perdre », se souvient-elle. A-t-elle eu peur ? « Bien sûr. C’est ma vie, mon gagne-pain. Je subvenais aux besoins de ma famille. Que dirais-je à ma sœur ? “Désolée, j’ai tout gâché, parce que j’ai une grande gueule ?” J’étais terrifiée. » Dans ces conditions, qu’est-ce qui l’a poussée à le faire ? « Ç’aurait été mal de ne PAS le faire, rétorque-t-elle. Un mensonge n’est jamais durable. Seule la vérité l’est. » Aujourd’hui, elle milite pour les droits des personnes LGBTQ.

« J’ai traversé des périodes INFERNALES. Chaque jour, je me réveille et je décide de transformer tout cela en quelque chose de POSITIF. Ça doit mener à quelque chose. Même lorsque c’est dirigé contre moi, que l’on me jette des PIERRES »

Haut et ceinture Isabel Marant ; jean 3x1 ; bottes Gianvito Rossi ; créole en or Loren Stewart ; créole en diamants Maria Tash.
Haut Isabel Marant ; short Alexander Wang ; bottes Gianvito Rossi ; créole en or Loren Stewart ; boucle d'orielle en diamants Maria Tash ; autre boucle d'oreille appartenant à Amber ; ceinture Saint Laurent.

Elle n’en reste pas là. Depuis le jour où elle est arrivée à Los Angeles, elle fait du volontariat, « dans des hôpitaux pour enfants, des établissement scolaires spécialisés, en travaillant avec des enfants en difficulté ». Cette année, elle est allée dans un camp de réfugiés syrien avec l’ONG Société médicale américaine de Syrie (SAMS), pris la parole au festival Global Citizen de New York pour encourager les citoyens à voter, et soutenu les victimes d’abus au Sénat américain lors de l’audition de Brett Kavanaugh.

Que déduire de son activisme couvrant tant de dysfonctionnements divers ? Pendant notre entretien, assis dans un coin du restaurant bruyant, elle se penche par-dessus la table et me fixe avec tant d’intensité que ses yeux brillent. En abordant tous ces sujets, de la Syrie à la Cour Suprême, sa véhémence et son sérieux sont déroutants. Je ne doute pas de son authenticité, personne ne pourrait en douter, mais elle exhale une gravité qui semble davantage due à son besoin de changer son image, ternie par son mariage avec Johnny Depp, ou la relation avec Elon Musk qui a suivi. Qui pourrait le lui reprocher ?

Au vu de l’opinion qu’elle a d’Hollywood (où les femmes n’ont aucun pouvoir, sont à la merci des autres et « s’accrochent de toutes leurs forces aux miettes qu’elles récoltent »), je me demande pourquoi elle ne se consacre pas à l’activisme à plein temps. « Je suis une activiste », corrige-t-elle, « et une meilleure, car j’ai toujours été actrice. » La célébrité offre une plateforme de visibilité. « J’ai traversé des périodes infernales », dit-elle. « Chaque jour, je me réveille et je décide de transformer tout cela en quelque chose de positif. Ça doit mener à quelque chose. Même lorsque c’est dirigé contre moi, que l’on me jette des pierres. »

« De façon IMPLICITE, toutes les femmes sont conscientes qu’elles ne seront pas prises au sérieux. Mais nous n’avons pas toujours LE TEMPS de nous consacrer à ce problème, de le signaler, de nous battre, nous avons un emploi, une FAMILLE dont nous occuper »

Veste Isabel Marant ; jean 3x1 ; créole en or Loren Stewart ; boucle d'oreille en diamants Maria Tash ; autre boucle d'oreille appartenant à Amber.
Haut Isabel Marant ; short Alexander Wang ; bottes Gianvito Rossi ; ceinture Saint Laurent.

Si des pierres sont jetées, c’est sûrement à cause des accusations de violence conjugale qu’elle a portées contre Johnny durant leur mariage, ce qu’il continue à nier. Peu importe ce qu’elle ressent à présent, elle ne peut plus s’exprimer, car les termes de son divorce prononcé en 2017 (l’accord de 7 millions de dollars qu’elle a reversé à des œuvres de bienfaisance, dont une aidant les femmes victimes de violences) stipule qu’elle est tenue de respecter une clause de confidentialité. Je lui demande si un élément pourrait la pousser à rompre cet accord et à répondre publiquement à ces allégations. « Je suis passée à autre chose. Et c’est très bien comme ça. Je n’ai pas besoin de remuer le couteau dans la plaie », me dit-elle. Néanmoins, je suggère que certaines de ces histoires sont probablement blessantes, notamment celles qui continuent de ressurgir. « C’est bien là où je veux en venir. Si cela cause du tort, malheureusement ça cause du tort à quelqu’un d’autre, pas à moi. L’opinion publique n’est pas bête et [ne croit pas à ces histoires]. »

Elle poursuit en évoquant diverses déclarations, dans des termes vagues (faisant référence à « quelqu’un » et à certains « hommes de pouvoir »). Il est clair que même si elle est passée à autre chose, elle ressent aussi le besoin naturel de se défendre, et le fait avec une colère et une amertume à peine dissimulées. Je me demande pourquoi tant de personnes refusent de la croire, surtout si nous estimons que croire les récits des femmes agressées devrait couler de source, étant donné que d’un point de vue historique, elles n’ont jamais été ni écoutées, ni crues.

« Je suis FIÈRE de ce que j’ai fait, car je me suis BATTUE pour ce en quoi je crois, malgré ce que ça m’a COÛTÉ »

Blouse Joseph ; short Bassike ; bottes Gianvito Rossi ; foulard (autour du cou) appartenant à la styliste.

Amber Heard est plutôt lucide sur ce sujet-là. Pour commencer, elle est convaincue que le fait de ne pas être cru est inhérent à l’humanité : « J’aurais déjà pu vous le dire lorsque j’avais 13 ans. De façon implicite, toutes les femmes sont conscientes qu’elles ne seront pas prises au sérieux. Mais nous n’avons pas toujours le temps de nous consacrer à ce problème, de le signaler, de nous battre, nous avons un emploi, une famille dont nous devons nous occuper. » Nous évoquons Brett Kavanaugh et celles qui l’ont accusé, Christine Blasey Ford et d’autres femmes : « Quand les gens viennent me voir pour me demander conseil, je leur réponds toujours que je ne sais pas. Je ne suggérerais jamais à quelqu’un de prendre un risque majeur. Je n’avais rien à gagner, tout à perdre, et ça a failli arriver. Si vous êtes une femme et que vous dénoncez un fait sans rien souhaiter en échange, et que vous précisez bien que vous n’espérez rien, les gens se demandent tout de même ce que vous attendez. Et si vous leur répondez, voilà la preuve que je ne veux rien, je peux tout donner à une œuvre de bienfaisance, ils vous demanderont si vous avez une preuve. »

Amber Heard conclue avec ces mots : « Je suis fière de ce que j’ai fait, car je me suis battue pour ce en quoi je crois, malgré ce que ça m’a coûté. »

Aquaman, sortie prévue le 12 décembre aux États-Unis et le 19 décembre en France.

Veste et jean Saint Laurent ; créole en or Loren Stewart ; boucle d'oreille en diamants Maria Tash.
Manteau Joseph ; T-shirt Victoria, Victoria Beckham ; jean J Brand ; bottines Isabel Marant ; créole en or Loren Stewart ; boucle d'oreille Maria Tash ; collier Jennifer Meyer ; foulard appartenant à la styliste.

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