L’insaisissable
Avec
Malgosia Bela

Elle a travaillé avec les plus grands photographes, de Tim Walker à Richard Avedon. Pourtant, le mannequin polonais MALGOSIA BELA a longtemps souffert du syndrome de l’imposteur, avant de parvenir à accepter son succès. Ce top aux idées rafraîchissantes discute avec GILLIAN BRETT de la vie nocturne, de cinéma, et des dangers des réseaux sociaux.
Cela fait plus de deux décennies que Malgosia Bela évolue dans la sphère de la mode, et elle a pourtant réussi à conserver une aura mystérieuse, fait rare dans un milieu si connecté. Ce mannequin d’origine polonaise, au regard vert perçant et aux pommettes ciselées, a fait la une de plus de 50 magazines internationaux, mais ne possède aucun profil sur les réseaux sociaux. Elle dégage une confiance en elle intacte, celle d’une personne qui n’est pas affectée par les « likes ».
« Je crois que je passe à côté de beaucoup de projets parce que je ne suis pas sur Instagram », confie-t-elle, lovée dans une chaise en osier sur une plage corse isolée, où elle passe ses vacances avec son mari, le réalisateur Pawel Pawlikowski, après un shooting photo pour PorterEdit à Varsovie. « Mais c’est un choix que j’ai fait en toute conscience. C’est vrai que si certains souhaitent travailler avec moi, ça signifie que ça ne les dérange pas que je ne sois pas connectée. » Le matin où je la rencontre, elle est allée nager, et affiche une mine resplendissante. Son visage est nu, sans une once de maquillage, ses cheveux sont retenus en une queue de cheval, et elle resplendit d’une beauté naturelle qu’aucun filtre ne pourra jamais égaler. Elle sirote une eau pétillante parfumée de citron frais, ses longues jambes sont croisées élégamment, et elle me parle avec bonne humeur de la soirée sur la plage où elle est allée la nuit précédente.
« Je crois que je passe à côté de beaucoup de projets parce que je ne SUIS PAS sur Instagram. Mais c’est un choix que j’ai fait en toute CONSCIENCE. C’est vrai que si certains souhaitent travailler avec moi, ça signifie que ça ne les dérange pas que je ne sois PAS CONNECTÉE »
Je m’attendais à rencontrer une personne réservée ; je découvre une Malgosia aimable, spirituelle, et à l’honnêteté désarmante. Physiquement, on ne lui donnerait pas ses 42 ans. Peut-être parce qu’elle a connu beaucoup de changements à l’approche de ses 40 ans : elle a rencontré son mari, est retournée vivre en Pologne avec son fils, Joseph, 15 ans, et a commencé à travailler en tant que contributrice pour Vogue Pologne (elle en est désormais la directrice artistique). Elle fait toujours du mannequinat, mais beaucoup moins qu’avant, et confie qu’au début de sa carrière elle a souffert d’un sentiment d’imposture. « J’en ai longuement parlé à mon mari, qui est un excellent réalisateur de cinéma, et apparemment même les plus grands artistes peuvent avoir l’impression d’être des fraudeurs », explique-t-elle. « J’ai aussi ressenti un fort sentiment de culpabilité, mais quand j’en parle aujourd’hui, je réalise qu’à l’époque j’ai dû faire de nombreux sacrifices, renoncer à certaines choses, et me sentais très seule. Ça m’a pris plusieurs années pour accepter le fait que le mannequinat est un véritable emploi, et cesser de culpabiliser parce que je pensais que ce n’était pas un vrai travail, qu’il s’agissait juste de s’asseoir et d’avoir l’air glamour. Ce n’est qu’après la naissance de mon fils que j’ai réglé tout ça. »
« [Le mannequinat] était ma chance de VOIR LE MONDE. Je n’avais jamais voyagé, car jusqu’à l’âge de 12 ans je vivais dans un PAYS communiste où voyager était considéré comme un LUXE »
Malgosia Bela a étudié la littérature anglaise et le piano classique. Elle souhaitait suivre le même chemin que sa mère et devenir professeure à l’université, jusqu’à ce qu’un chasseur de tête travaillant pour une agence de mannequinat la repère dans un théâtre de Cracovie à l’âge de 21 ans. « Il a essayé de me persuader de devenir top model en me disant qu’il m’achèterait un billet pour New York », raconte-t-elle. « J’ai senti que c’était ma chance de voir le monde. Je n’avais jamais voyagé, car jusqu’à l’âge de 12 ans je vivais dans un pays communiste où voyager était considéré comme un luxe. J’avais trop honte pour en parler à mes parents. Ils ont cru que je suivais un petit ami qui vivait au Canada, un étudiant qui était venu dans mon université, et que je partais à New York pour me rapprocher de lui. »
« Maintenant que je suis mère, quand j’y repense, c’était irresponsable… J’avais 300 dollars en poche, pas de carte de crédit, pas de téléphone portable. J’avais seulement le numéro de téléphone d’une agence dont je n’avais pas l’assurance qu’elle me recruterait. Je n’avais pas de portfolio, pas de photos. J’ai atterri à l’aéroport JFK, suis allée dans une cabine téléphonique, ai appelé ce numéro, et quelqu’un m’a répondu qu’ils n’avaient jamais entendu parler de moi. Ça commençait mal. » Heureusement, une personne de cette agence l’a mise en relation avec le département des Nouveaux Visages, et lui a donné l’adresse d’un appartement destiné aux mannequins. Pour s’y rendre en taxi, elle a dépensé un cinquième de son budget total. « Je n’autoriserais jamais mon fils à faire la même chose, mais à l’époque, les choses étaient différentes. Je suppose que lorsque les parents ne peuvent pas surveiller leur enfant en permanence, ça développe son inventivité. »
« Je n’ai jamais été extrêmement CÉLÈBRE, ni gagné des millions, mais ma situation FINANCIÈRE a changé et j’ai pu aider ma FAMILLE, ce qui m’a beaucoup motivée »
L’heure de gloire de Malgosia Bela est arrivée lors de sa rencontre avec Joe McKenna, un styliste influent renommé pour son esthétique élégante. Au moment de leur premier rendez-vous, elle revenait d’une séance photo et portait de longues extensions noires et une tonne de maquillage. « Tout ce que Joe aime, n’est-ce pas ? », s’amuse-t-elle. Pourtant, sous ces artifices, ce dernier a su déceler sa beauté à couper le souffle, et il l’a choisie pour représenter Jil Sander cette saison-là. Après avoir ouvert et clos le défilé printemps-été 2000 de la marque, et avoir été photographiée par David Sims pour la campagne publicitaire, son talent pour incarner aussi bien une fille cool décalée qu’une beauté classique n’a pas manqué d’interpeller d’autres maisons, comme Versace, Valentino et Stella McCartney (avec qui elle entretient une relation professionnelle solide, et pour qui elle a défilé cette saison). « Je n’ai jamais été extrêmement célèbre, ni gagné des millions, mais ma situation financière a changé et j’ai pu aider ma famille, ce qui m’a beaucoup motivée », dit-elle. « Pourtant, pendant longtemps, je n’ai pas pu me défaire de l’idée que quelqu’un avait commis une erreur. La première fois que je suis allée au studio de Richard Avedon, je me suis dit qu’il allait me démasquer. » Mais ça n’a pas été le cas ? « Eh bien, il a vu davantage qu’un mannequin en moi ». Il m’a encouragée à jouer la comédie. »
Malgosia Bela affirme que Richard Avedon fut l’un de ses mentors les plus influents (elle a même rédigé une thèse de 100 pages à son sujet lors de son master en anthropologie culturelle). « Je suppose que parce qu’il a une forte présence et personnalité, j’ai accordé beaucoup d’importance à tout ce qu’il m’a dit », dit-elle. « Il m’a appris que la photographie était une conversation intime, un dialogue entre le mannequin et le photographe. Quand vous vous concentrez sur ce dialogue, plus rien d’autre ne compte, les talons hauts, les vêtements inconfortables, les ventilateurs. Au final, ça m’a donné confiance devant l’objectif. Travailler avec lui a marqué un tournant dans ma vie. »
Elle se souvient aussi avec émotion des productions faramineuses lors des séances photo de Tim Walker : « Des squelettes de 20 mètres, un avion fabriqué avec du pain, des escargots géants… Il y avait toujours un élément très impressionnant ». Quand on sait que Malgosia Bela aime camper des rôles diversifiés, il n’est pas étonnant qu’elle se soit tournée vers la comédie. L’année dernière, elle est apparue dans le remake de Suspiria, le film d’horreur italien culte de Dario Argento, réalisé par Luca Guadagnino. Le cinéma, un monde qu’elle côtoie de plus en plus afin de soutenir son mari, récompensé aux BAFTA, qu’elle a rencontré il y a quatre ans par le biais d’un ami commun lui aussi réalisateur. Ils se sont mariés discrètement lors d’une petite cérémonie ne réunissant que leurs enfants, la famille proche, et les témoins. Cette nuit-là, les tourtereaux ont organisé une grande crémaillère à Varsovie, où la mariée portait une robe Victoria Beckham « noire, moulante et très sexy », et ont annoncé à leur centaine d’invités qu’ils convoleraient en petit comité.
« [AVEDON] m’a appris que la photographie était une conversation intime, un dialogue entre le mannequin et le photographe. Quand vous vous concentrez sur ce DIALOGUE, plus rien d’autre ne compte, les talons hauts, les vêtements inconfortables, les ventilateurs. Au final, ça m’a donné CONFIANCE devant l’objectif »
Cette attitude humble illustre le caractère de Malgosia Bela. Elle est très calme, et s’exprime avec une grande sagesse. Son secret ? Un changement de vie basé sur le fait de prendre davantage soin d’elle-même. « Mon mode de vie est bien plus sain. Il y a vingt ans je carburais au café et aux cigarettes, et je courais dans tous les sens », dit-elle. « Aujourd’hui, j’aime avoir une alimentation saine et bien dormir, et j’ai aussi besoin de faire du sport pour me sentir bien dans ma peau. » Elle nage une heure par jour et cinq jours par semaine, et utilise des soins corporels naturels et biologiques. « J’aime appliquer des huiles au parfum tellement délicieux qu’on les croirait comestibles. Voilà ce qui se passe quand on atteint la quarantaine : on apprend à s’aimer un peu plus. »
Les personnes mentionnées dans cet article ne sont pas associées à NET-A-PORTER et n’en assurent pas la promotion, ni celle des produits présentés.