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Exclusivité du magazine : les mille et un projets d’Alexa Chung

La britannique préférée de la fashion sphère possède à présent sa propre marque. Elle discute avec VASSI CHAMBERLAIN de vocation, de sa relation avec Tarzan, et de son questionnement sur la possibilité de tomber amoureuse d’une femme.

Photographe Tom CraigRédactrice/Rédacteur mode Cathy Kasterine
Reporter

Alexa Chung, enfant chérie du monde de la mode et symbole de la génération Y, a-t-elle enfin découvert qui elle est ? L’an passé, la jolie britannique de 34 ans s’est retrouvée assise aux côtés de l’artiste John Currin lors d’un dîner Louis Vuitton à New York. Ce dernier n’a aucune idée de qui elle est et lui demande ce qu’elle fait dans la vie. Alexa, habituellement un véritable moulin à paroles, s’est étrangement retrouvée incapable de répondre. Que devait-elle dire : présentatrice télé, mannequin, cover-girl, écrivain, icône de mode, DJ à ses heures perdues, collaboratrice de mode, créatrice ? La question provoque chez elle une mini crise existentielle. Toutes ces réponses étaient en soi correctes, mais qui voulait-elle être réellement ?

Alexa a toujours été une énigme, autant pour elle-même que pour les autres, à la fois présente et insaisissable, toujours au bon endroit, portant des tenues qui enflamment les réseaux sociaux, discrète mais sexy de la tête aux pieds, toujours légèrement décalée – aussi française dans son style qu’une britannique ne puisse l’être. Elle a collaboré avec un grand nombre de marques (Tommy Hilfiger, Lacoste, DKNY, Mulberry – le sac à main Alexa ayant été l’une de leurs meilleures ventes – et J.Crew, parmi tant d’autres) et, juste au moment où elle semble sur le point de sur-commercialiser son nom, elle s’évapore, tel un magnifique hologramme, et se lance dans un tout autre projet. Intelligente et espiègle, elle manie l’art de contourner les questions avec le sourire et sa réputation d’être imprévisible en interview n’est plus à faire. Elle n’est jamais à court de munitions. On me dit qu’un responsable des relations publiques l’accompagnera durant notre entretien. Cela me semble étrange qu’Alexa ait besoin d’un garde du corps. Je mentionne cela à son équipe, ne m’attendant à aucun changement, mais on m’annonce finalement qu’elle viendra seule.

Le lieu convenu pour notre rendez-vous non chaperonné est le bureau de son label, créé il y a 2 ans : un espace de travail réservé aux membres conçu dans une usine réhabilitée à Hackney, dans l’Est londonien, dont le rez-de-chaussée est occupé par un café vegan grouillant de barbes, de tatouages et de grandes idées. La philosophie de la marque est inspirée de moments de l’histoire l’ayant profondément marquée. Pour la collection présentée sur ces pages, il s’agit de Charleston – ville ayant vu grandir Virginia Woolf et le Bloomsbury Group – qui a rassemblé un groupe de femmes créatives, artistes et écrivaines, qui se sont influencées et inspirées mutuellement, et dont l’esprit a été rediffusé par deux des plus passionnants jeunes talents littéraires britanniques : la dramaturge Polly Stenham et la poétesse Greta Bellamacina.

Alexa est assise à une table près de la fenêtre avec son ex-PDG de chez Haider Ackermann, Edwin Bodson, probablement en train de parler boulot. Elle bondit pour me saluer – grand sourire aux lèvres, sa silhouette filiforme débordant d’une énergie cinétique nerveuse. Elle porte une salopette de sa propre création et un t-shirt gris qu’elle a acheté à « une femme particulièrement désagréable à L.A. » sur lequel est écrit Beatles 1983 (« J'adore le faux merchandising »). Ses cheveux châtains fins et brillants sont légèrement plus longs que d'habitude, et sa peau révèle toute sa jeunesse. Si elle porte du maquillage, c'est un coup de mascara et un trait d’eye-liner, sa marque de fabrique soulignant ses yeux en amande, d’un bleu presque fluorescent. Sa beauté naturelle est si parfaite qu’elle captive notre regard surement plus longtemps qu’on le voudrait.

Nous passons à une table surplombant la cour intérieure du bâtiment et commandons un café. « Et un petit donut à la crème pour moi s’il vous plaît, » dit-elle, plaçant de manière décidée un paquet de Marlboro Gold et un briquet entre nous. « Intéressant, personne ne m’a jamais posé cette question avant, » dit-elle, jouant avec le « A » métallique se balançant à l’extrémité de son zip, lorsque je lui demande qui elle était avant d’être célèbre. « J’ai grandi dans un village très chic du Hampshire, » raconte-t-elle. Sa mère, qui travaillait comme opticienne et à laquelle elle fait souvent référence en l’appelant par son prénom, Gillian, est anglaise, et son père, Phil, « Tooty » ou « Tooty Pips » pour elle, est graphiste et aux trois-quarts chinois. L’art était un sujet récurant lors des repas en famille – elle est la benjamine d’une fratrie de quatre avec un écart d’âge de 8 ans – et les enfants Chung étaient souvent emmenés en expédition culturelle à Londres. Gillian écoutait l’émission Woman’s Hour sur Radio 4 (une radio écoutée par les intellectuels de la classe moyenne anglaise) dans la cuisine, et discutait de politique et de culture avec sa fille, lui passant tous les livres qu’elle avait fini de lire. Tandis que ses grands frères et sa sœur écoutaient de la musique house et se lançaient tous dans des études d’art, l'enfant prodige se considérait comme « la moins drôle des Chung ».

Tu te présentes à des castings avec des adultes qui soit te traitent bien, soit sont vraiment flippants. Un grand nombre d’entre eux était sacrément flippants

Elle avait compris que sa famille était « différente » des autres habitants du village, et une partie d’elle-même désirait plus que tout être plus normale, rentrer dans le moule. « Ils étaient très cosmopolites, » explique-t-elle à propos de ses parents, « mais je voulais vraiment profiter de ce style de vie à la campagne, d’une manière qui ne les intéressait pas le moins du monde. » Elle se mit donc à copier le style classique pour toute jeune fille vivant dans la campagne anglaise, montant à poney avec l'uniforme complet : des bottes de pluie Hunter et une veste Barbour. Dans la vidéo qu’elle a publiée pour célébrer sa première collection, on la voit sur un cheval dans un manège de dressage.

Que ce soit parce qu’elle était la benjamine que l’on a tendance à ignorer ou parce qu’elle avait un penchant espiègle (probablement un petit peu des deux), elle aimait être le centre d’attention. Lorsque des ouvriers venaient chez elle, elle installait un chevalet et dessinait quelque chose de bien visible, ou déambulait avec une pile de livres, faisant tout son possible pour se faire remarquer. « C’est une erreur que je continue de faire dans ma vie d’adulte, » explique-t-elle à propos de sa passion pour la mise en scène. « C'est ma façon d’attirer l’attention des gens, pour qu’ils pensent que je suis vraiment sophistiquée. »

GRETA BELLAMACINA
Avec sa chevelure blonde, son nom aux intonations italiennes et sa passion pour les références littéraires, Greta Bellamacina semble être tout droit sortie d’un tableau préraphaélite. Mais du haut de ses 29 ans, cette poétesse, éditrice et actrice est loin de l’idéalisme romantique. Depuis ses débuts en tant qu’actrice dans Harry Potter et mannequin (pour des créateurs tels que Stella McCartney, Shrimps et Burberry) et ses études au RADA, elle a travaillé dur pour prendre sa carrière en main. « Je pense que l’idée est d’essayer de créer ta propre histoire. C’est beaucoup de bricolage. » Le bricolage ici fait référence au lancement de sa maison d’édition (avec l’artiste Robert Montgomery, qui est aussi son mari et le père de son fils) ; à l’écriture de son recueil de poésie Afterlight, en réponse au décès de proches ; ou à la réalisation d’un documentaire, The Safe House: A Decline Of Ideas, qui porte sur la disparition des bibliothèques publiques, dans lequel figurent Stephen Fry, John Cooper Clarke et Irvine Welsh. « Cela a beaucoup joué sur ma confiance en moi de me dire, en fait, tu n’as pas besoin d'attendre que quelqu’un décide de ton destin pour toi. En tant qu’acteur en particulier, on se fait toujours plus ou moins maltraiter, dans le sens où on se rend à un nombre interminable d’auditions et on perd tout contrôle. Ça peut être très frustrant. » Son style de vie très glamour – on la repère souvent au premier rang des défilés de mode et elle a rencontré Alexa Chung « lors d’un festival de littérature à Deia », est compensé par son impressionnante production de travail. Elle travaille actuellement sur un recueil de poésie féministe, Smear, et jouera dans le film Hurt By Paradise, dont elle est également l’auteure. Parmi ses héroïnes, elle cite Diane Keaton qui est son inspiration sur le plan vestimentaire, et Greta Gerwig : « Je pense que son talent est de nous faire rire avec elle et de nous rappeler que la vie est... qu'on est tous en train de flotter dans l’espace en fait. »

Cette attraction naissante pour le glamour est en partie responsable du déraillement de ses projets académiques. Elle devait aller à l’université mais tout bascule lorsqu’elle est repérée au festival de Reading à l’âge de 16 ans. « Je n’arrive toujours pas à comprendre comment ça s’est passé, » dit-elle à propos de ce qui a suivi. « J’étais dans un champ et l’instant d’après tout a… enfin… le tourbillon. » Elle devient mannequin pour des magazines pour ados et participe à des campagnes pour Fanta, Tampax et Urban Outfitters. Elle s’est exprimée par le passé au sujet de difficultés qu’elle a rencontrées avec le « body shaming » en tant que mannequin, mais n’a jamais mentionné un harcèlement de quelque sorte que ce soit. Ce qui la dérangeait le plus, c’était la relation entre les mannequins, qui étaient jeunes et souvent toujours scolarisés, et les agents qui étaient censés les protéger. Sauf que pour elle, la réalité est toute autre. « Tout est déjà programmé pour que le rapport de force ne soit jamais en votre faveur, » explique-t-elle. « Tu te présentes à des castings avec des adultes qui soit te traitent bien, soit sont vraiment flippants. Et un grand nombre d'entre eux étaient sacrément flippants. » Elle a également dû faire face à de la discrimination raciale, lorsque son nom de famille fut supprimé de sa carte de mannequin, « parce qu’ils ne voulaient pas faire peur aux clients avec un nom asiatique ».

Rapidement, elle arrête le mannequinat et fait de premières apparitions dans des clips vidéo pour des groupes anglais tels que The Streets et Westlife. Sa présence sur scène et son intelligence avec les mots attire l’attention des directeurs de télévision. Elle décroche son premier poste dans l’émission Popworld de Channel 4. C’est lorsqu’elle assiste pour la première fois à un concert des Strokes qu’elle tombe amoureuse de la musique. Elle devient célèbre dans le rôle de la jeune fille qui pose des questions sarcastiques aux légendes du monde de la musique telles que Slash et Paul McCartney. Son profil prend de l’ampleur à mesure que son exposition se développe : de talent national excentrique (la jolie fille à l’accent chic, habillée comme une débutante rebelle et interviewant les rockstars) elle se transforme en it-girl internationale.

Son déménagement à New York avec son petit ami de l’époque, Alex Turner, chanteur charismatique du groupe de rock indie Arctic Monkeys est l’occasion pour elle d’obtenir un poste chez MTV, ce qui s’annonçait alors comme sa grande percée professionnelle. Cela aurait dû être le moment qui l’aurait catapultée au niveau supérieur, mais l’émission est rapidement annulée. « Je me suis sentie humiliée et dépitée, jusqu’ici j’avais tout fait dans la vie en pensant que j’étais la reine de tout, et ils m’ont juste dit “Tu es nulle dans ce que tu fais". Quand on a l’habitude d'être aimée du public, la pilule est difficile à avaler. » Son poids (elle qui avait toujours été fine naturellement) dégringole. « C’était extrêmement stressant et traumatisant. Je ne pesais plus rien du tout, c’était dingue. Je n’avais jamais le temps de manger. Soit j’étais trop occupée, soit je n’avais pas faim, soit j’étais trop stressée. » L’Amérique ne lui convenait pas, elle se sentait seule et isolée, surtout que son petit ami était constamment en tournée et qu’elle n’avait pas d’amis. Moins d’un an après son arrivée, le couple décide de retourner à Londres.

Je me souviens avoir lu un article à son sujet dans la colonne Day In The Life Of du Sunday Times à cette époque à peu près, où elle parlait ouvertement de sa relation avec Turner. C’était touchant et révélateur. Elle a un mouvement de recul lorsque je le mentionne, elle n’avait pas l’intention de se dévoiler autant. « J’étais en backstage lorsque l’article est sorti, et son manager était là. On avait les journaux devant nous et je me suis dit “Oh non, je vais avoir des problèmes, j'en ai trop dit.” On a plongé, la tête la première. C’était du style “On a 12 ans et on s'aime !” Et après “Oh mon dieu…” Horrible. Oui et après on s'est séparés. »

Elle aurait pu fuir, abandonner, mais, témoignant de sa détermination et de sa force de caractère, elle décide de redonner sa chance à New York, bien qu’elle ait toujours trouvé la question des relations amoureuses difficile à comprendre. « Le fait que l’on puisse même avoir une relation avec plusieurs personnes en même temps me dépasse totalement. Ça me refroidit complètement. » Deux nouvelles émissions télé suivent, mais aucune d’entre elles ne fonctionne. Cette fois-ci, elle décide de ne pas bouger des États-Unis. Ses premières collections avec Madewell, puis avec AG Jeans, rencontrant un franc succès, de plus en plus de marques viennent frapper à sa porte et ses comptes de réseaux sociaux prennent de l’ampleur. Elle décide alors de se concentrer sur la mode et de profiter de cette dynamique en tant que star montante du street-style. Elle était plus active que jamais, mais au fond d’elle, elle ressassait encore ses récents tourments, à la fois sur le plan amoureux et professionnel, et décide malgré tout de prendre une année sabbatique. Elle la passe aux côtés de l’une de ses meilleures amies, Tennessee Thomas, DJ dans un club new-yorkais appelé The Cabin, l’accompagnant jusqu’aux platines. « J’assommais Tennessee avec mes histoires, la pauvre. Elle était là durant mes années de chagrin. Je pense qu’on a dépensé des milliers de dollars en alcool et en œufs. Puis je suis tombée amoureuse de Tarzan. »

Je ne conçois pas que l’on ait besoin d'un homme pour être heureuse : je pense que c'est une idée vraiment nulle et antiféministe

Malgré le flot de paroles qu’elle déverse, cela fait plusieurs minutes que j’observe ses doigts opérer une petite danse avec le paquet de cigarette, dans un doux mouvement de va-et-vient. Cette fois-ci, elle le saisit. « On peut fumer ? » elle demande. Je ne fume pas mais je l’accompagne dehors. Elle s’appuie contre le tuyau qui descend le long du bâtiment et expire. « C’est un homme génial, très structuré, responsable et compréhensif, » dit-elle, sans que je ne sache encore de qui elle parle. « Il sait très bien comment, pas me rendre plus adulte en soi, mais m’aider à me prendre plus au sérieux. » C’est alors que je réalise qu'elle parle de « Tarzan », l’acteur Alexander Skarsgård, l’homme qu’elle considère comme « pas du tout son type », celui qui l’a convaincue de passer à l’étape suivante de sa carrière et de devenir une créatrice de mode en nom propre, sans l’appui d’une autre marque.

Ce n’est pas la première fois qu’elle mentionne dans la conversation l’influence qu’ont eu les hommes dans sa vie, et leur rôle de mentors. « Les hommes ont vraiment constitué un fil directeur tout du long, » affirme-t-elle. En réalité, le mannequinat n’est pas la seule raison pour laquelle elle n’est pas allée à l’université. Elle s’était éprise d’un homme de 20 ans son aîné, le photographe et ancien musicien David Titlow. « À la place, j’ai fait des études de pop culture des années passées, » dit-elle. David venait la chercher à ses shootings et l’appelait en klaxonnant. « Je regardais par la fenêtre et je le voyais debout sur sa Mini. » C’est David qui finit par mettre un terme à leur relation. « Il a dit : “Je pense qu’il est temps pour toi d’y aller poupée.” » Perdue, elle lui a dit qu'elle l’aimait. Quant à lui, il lui a répondu qu’il était temps pour elle de voler de ses propres ailes. « C’était vraiment triste, » raconte-t-elle. Mais il lui a laissé un cadeau qu’elle utilise encore aujourd’hui. « Il m'a dit : “Voilà toute la musique dont tu as besoin”, et avec tous les garçons qui ont suivi je disais des trucs du genre “Oh, tu ne connais pas X-Ray Spex ?” » Et, étant donné qu’elle décrit sa vie amoureuse comme « un tourniquet de garçons aux cheveux longs et aux vestes en cuir », on peut comprendre qu’elle lui soit infiniment reconnaissante pour tout ce qu’il lui a appris.

Elle commence à me raconter sa vie avec les garçons, le tout de manière confidentielle : son premier petit ami à 12 ans, son premier amour à 16 ans (« Tom, un mec adorable ») et comment elle joue actuellement sur plusieurs tableaux. Lorsqu’elle ramène chez elle son premier « copain convenable », le concierge de son appartement de New-York tape dans la main de ce dernier à son arrivée. La conversation qu’elle avait avec son PDG lorsque je suis arrivée concernait en réalité sa vie amoureuse. « Il est incroyablement à son affaire pour un businessman, » remarque-t-elle. « Il m’a dit que mon problème est que peu de personnes sont réglées sur “Chung FM” » Qu’est-ce que ça veut dire ? « Que je plane un peu », dit-elle. « Je pense que la réalité a tendance à m’échapper. Pour moi, c’est comme si tout était psychédélique en permanence. Rien n’a vraiment d’importance, on dirait que je suis dans un jeu bizarre. »

Lorsqu’elle annonce qu'elle lance enfin sa propre marque, on imaginait qu’elle allait abandonner toutes ses autres collaborations pour se concentrer uniquement sur cela. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé immédiatement. En l’écoutant, on commence à comprendre pourquoi elle ne peut pas tout abandonner, et pourquoi elle n’a pas encore complètement réussi à se concentrer sur un seul projet. « J’ai encore plusieurs choses à venir, » dit-elle, notamment un documentaire, bien qu’elle ne veuille pas en dévoiler le sujet, mentionnant quelque chose à propos du besoin d’utiliser son cerveau de manière plus adulte. « Psychologiquement, lâcher prise de ces éléments sécurisants est assez difficile. »

Mais elle semble être en train de le faire. Elle a créé deux collections, pour lesquelles elle se doit d’être plus présente, sans faire des allers-retours. « J’ai flippé lors d'une réunion et je me suis dit “Je suis là bordel, je vais le faire”». Elle admet que cela s’est traduit par beaucoup de pression au début. Elle était de plus en plus ennuyée par ceux qui remettaient en question son véritable degré d’implication dans la création. Elle est désormais entièrement présente et on retrouve toutes les marques de fabrique de son style : cols oversize, formes patineuse, une sorte de version moderne du look Virgin Suicides. Elle raconte être attirée par la sous-culture des années 70 et décrit l'influence des réseaux sociaux, tels qu'Instagram, sur la mode comme ayant « aplati le paysage esthétique », ajoutant « qu’il est difficile de ne pas être basique aujourd’hui », sous-entendant que tout le monde s’habille pareil.

Lorsque son père lui demanda si elle s’était déjà rendue à Charleston, berceau du Bloomsbury Group, elle entreprit immédiatement la création d’une collection qu’elle-même, et que les écrivains Polly Stenham et Greta Bellamacina portent sur ces pages. « J’ai été séduite par ce groupe de potes qui vivaient à cette époque en partageant leurs expériences et leurs talents, tous aussi brillants les uns que les autres dans leur domaine. Ils s’éclataient dans la vie. Une vraie bande d’alcoolos. Et ils peignaient toutes ces belles choses. »

HEYWOOD HILL
Cachée au milieu d’une rangée de maisons de ville datant de l’époque géorgienne dans le quartier de Mayfair, se trouve la librairie Heywood Hill (heywoodhill.com). Fondée par le Duc du Devonshire en 1936 et désormais gérée par le gendre de ce dernier, Nicky Dunne, elle sert une clientèle de prestige depuis sa création. Elle compte parmi ses fidèles visiteurs des politiciens, des diplomates et des stars hollywoodiennes, tous désireux de mettre la main sur les dernières sorties ainsi que sur les raretés qui font la réputation de cette boutique : de magnifiques premières éditions de certains des plus grands auteurs dans le monde. Le Vatican a récemment choisi Heywood Hill comme distributeur officiel pour les États-Unis et le Royaume-Uni d’un livre en édition limitée contenant des photographies de la chapelle Sixtine (dont le tout premier exemplaire a été remis au Pape). En plus de proposer des listes de lecture sur mesure permettant aux abonnés de recevoir un livre par mois (emballé dans leur emblématique papier marron) en fonction de leurs préférences, ils y offrent ce qui est sans doute le plus grand luxe pour un bibliophile : une librairie conçue exclusivement en fonction de vos goûts.

Résultat : une collection sensible, authentique et puissante, et surtout, qui lui ressemble. La suivante est inspirée des groupies, et c’est notamment en échangeant des SMS avec la mère de Liv Tyler, Bebe Buell, la plus grande des groupies, qu’elle est allée chercher son inspiration. Ce qui est indéniable, c’est son ambition, qui est perceptible dans chacun de ces gestes, sujet de nombreuses taquineries de sa famille. « Mon frère m’a écrit l’autre jour pour me demander : “Comment tu vas ?”. Je lui réponds : “Bien merci” Il m’a écrit un truc du genre : “Pas trop mal à la tête à force d’essayer de percer cette saloperie de plafond de verre ?” et je lui ai répondu, “Oh si, c’est mon problème de tous les jours.” »

Il nous faut un moment pour remarquer l’homme qui rôde près de notre table. J’imagine qu’il est là pour transmettre un message à Alexa, ou pour lui rappeler son prochain rendez-vous. « Pourriez-vous me faire un autographe ? » finit-il par lancer, lui tendant une feuille A4 de papier blanc parfaitement vierge. « Hum, oui, bien sûr, » dit-elle. « C’est pour un cadeau de Noël, » il ajoute. « Pouvez-vous l'adresser à Émilie ? » Alexa croise mon regard et on se retient toutes les deux de glousser. « Je vais dessiner le même bonhomme que je fais toujours, cet inconnu bizarre qui sort tout seul, je n’ai aucune idée de qui il est, » dit-elle, gribouillant une tête avec une bulle dans laquelle elle écrit “ho, ho, ho”. »

Je n’ai toujours par perdu ma virginité de lesbienne. Je ne rejette absolument pas l’idée d’avoir une relation avec une femme. Je n’ai encore jamais été attirée sexuellement par une femme

Ce n’est pas notre seul visiteur. À quelques tables de là se trouve la belle ex-mannequin Susie Cave, aujourd’hui également devenue créatrice de mode, dont la marque The Vampire’s Wife est devenue une référence parmi les jeunes londoniennes. « On voulait juste passer te dire bonjour, » dit-elle à Alexa, accompagnée d’une autre fille, alors qu’elles approchent de notre table. Quelques jours plus tard, une photo d’Alexa portant l’une des robes de Susie Cave lors d’un lancement pour la marque, apparaîtra dans les tabloïds. Après leur départ, nous discutons d’autres femmes qu’elle admire, telles que l’actrice Sienna Miller. « Je pense qu’elle est potentiellement la plus belle personne de la planète… jolie, drôle et super intelligente… avec du style à revendre, » dit-elle, en soupirant.

POLLY STENHAM
Depuis la pièce qui l’a rendue célèbre, That Face, sortie en 2007 au Royal Court, alors qu’elle n’avait que 19 ans (avant d’être jouée dans le West End puis à New York), la dramaturge britannique Polly Stenham s’est créé un nom sur la scène artistique londonienne. Outre ses trois pièces qui ont suivi, Tusk, No Quarter et Hotel, elle s’est également essayée au cinéma, avec notamment The Neon Demon sorti en 2016. En 2011, elle ouvre avec son amie Victoria Williams The Cob Gallery, un espace artistique dans le quartier de Camden. « On a joué l’une de mes pièces à New York, et c’est assez intense là-bas. Ils se lèvent tous et applaudissent dès qu’une célébrité entre en scène. Je pense que Londres a une approche plus respectable du théâtre, notamment à l’Almeida, au Donmar et au Royal Court. Ils sont tous géniaux, et ils brassent beaucoup de nouveaux auteurs talentueux. » Lorsqu’elle n’est pas en train d’écrire avec acharnement, elle passe son temps dans le cercle cool et branché des artistes londoniens (elle a rencontré Alexa par l’intermédiaire de leur amie mutuelle, la chanteuse Florence Welch), et compte également Lena Dunham parmi ses amies. Lorsqu'on l’interroge sur le débat international actuel autour des femmes et de la façon elles sont traitées par les hommes en position de force, dans lequel Lena Dunham s'est vivement exprimée, elle déclare : « Je pense que ça va changer les choses. Je pense que les gens vont y réfléchir à deux fois avant de faire n’importe quoi maintenant. Je l’espère. » Cet été, son adaptation de Miss Julie, grande tragédie de Strindberg datant du milieu du XIXe siècle racontant la relation passionnée entre une jeune aristocrate et le valet de son père, sera jouée au National Theatre. Vanessa Kirby, surtout connue pour avoir incarné la princesse Margaret dans la série The Crown, jouera le rôle principal. « Je la connais depuis un certain temps et je l’avais en tête lorsque je l’écrivais. Elle est faite pour ce rôle. »

Aujourd’hui, à 34 ans, à la tête de sa propre marque et étant revenue s’installer à Londres dans un cottage non loin de son bureau, elle raconte qu’elle passe ses journées à cuisiner pour elle-même, à prendre des cours de danse classique, à regarder ses films préférés, tels que Quand Harry rencontre Sally et Die Hard et à écouter ABBA. Apparemment, elle ne se démaquille jamais la nuit. « Non, jamais. La plupart du temps je ressemble à Pat Benatar le matin, » lance-t-elle en référence à la rockstar américaine des années 80 adepte du maquillage noir autour des yeux. Pense-t-elle à se caser, à avoir des enfants peut-être ? « Je n’arrive pas à comprendre en quoi le mariage est différent du non-mariage – je ne comprends juste pas. » Je lui réponds qu’elle comprendra lorsqu’elle aura rencontré la bonne personne, mais elle ne semble pas convaincue. « Je ne doute pas qu’avoir un partenaire dans la vie doit être agréable, mais je n’ai pas besoin d’un mariage en soi. Je ne conçois pas non plus que l’on ait besoin d’un homme pour être heureuse : je pense que c'est une idée vraiment nulle et antiféministe. » Mais c’est dit sans agressivité. Et les enfants ? Un ami lui a récemment dit qu’il ne la trouvait pas très maternelle. « Je l’ai très mal pris, » raconte-t-elle, « puis j’ai essayé de lister tous les arguments qui prouvaient le contraire. » Son amie Jenny lui a dit qu’elle ferait une très bonne mère parce qu’elle avait tendance à toujours encourager ses amis à utiliser leur imagination. « Jenny m’a dit “À chaque fois que je pense que quelque chose est impossible, tu me dis toujours que ça l’est.” Du coup, je l’ai remerciée. »

Mais avant qu’elle ne fasse tout ça, il lui reste une case à cocher dans la liste des choses à faire pour la génération Y. « Je n’ai toujours par perdu ma virginité de lesbienne, » confie-t-elle. Vraiment ? « Non, mais je pense juste qu’il est vraiment démodé d’attendre quoi que ce soit de quiconque. Je pense que tout le monde a le droit de faire ce qu’il préfère. » A-t-elle déjà été tentée ? « Je ne rejette absolument pas l’idée d’avoir une relation avec une femme à un moment donné. Je n’ai encore jamais été attirée sexuellement par une femme. » Nous discutons des spécificités mécaniques des rapports entre filles – elle m’explique avec moult détails jusqu’où elle est prête à aller et là où elle mettra peut-être un frein. Puis on en revient aux garçons, car il semble clair qu’elle les adore. Est-elle déjà sortie avec son ami Harry Styles ? « Non. Trop jeune. » Est-elle amoureuse d’un garçon en ce moment ? « Oui, de plusieurs. J’ai une vie amoureuse assez déroutante en ce moment. »

Alexa n’est peut-être tout simplement pas du genre à se caser. Aux débuts de sa relation avec Skarsgård, ils vivaient dans un appartement en face de son ancien repaire, The Cabin. « Pendant neuf mois, il était obligé de me décoller la tête de la fenêtre, littéralement. J’étais du genre à dire, “Je crois que je vois Matt Matt Hitt, mannequin et chanteur en bas”, et lui me répondait “OK, il ne va pas bouger de là”. » Ils ne sont plus ensemble, même si elle laisse entendre que tout pourrait ne pas être complètement terminé entre eux. Encore une fois, elle semble jouer sur plusieurs tableaux.

« Tu penses que ça m’a rendue folle ? » me répond-elle lorsque je lui demande comment la célébrité l’a affectée. Malgré ses apparitions obligées sur le tapis rouge lors d’événements tels que le Met Ball, il semble évident à toute personne qui s’intéresse à elle qu’elle conserve un étroit cercle d’amis : la fille de Bob Geldof, Pixie, le mannequin Jack Guinness, le DJ de radio Nick Grimshaw, ses meilleures amies Tennessee Thomas et la directrice artistique de son label Fifi Brown, qui, affirme-t-elle capte vraiment « Chung FM ». Se fait-elle facilement de nouveaux amis ? « Disons que les nouveaux amis se font sur recommandation, » dit-elle avec un sourire. En clair, non. Comment se protège-t-elle des profiteurs ? Elle m’explique que son groupe a un nom de code pour ces personnes, ils les appellent « mateys » (les “potos”). « Parce que parfois, tu laisses entrer un “matey”, sans remarquer qu’il s’agit d’un “matey”, et ce n’est que plus tard quand il te montre son vrai comportement que tu te dis, c'est un “matey”. » Mais cela a plus l’air d’être une question de protection personnelle que d’antipathie.

Avant que nous nous quittions, elle me raconte une histoire à propos de la célébrité qui devrait faire taire toute personne pouvant penser qu’elle se prend trop au sérieux. « Une amie me donne rendez-vous devant son club préféré à New-York, et je me dis c’est bizarre, on est adulte, on rentre normalement toutes seules dans les boîtes. Donc, je suis sur le trottoir en train de fumer une cigarette quand je vois cette mannequin de Victoria’s Secret qui marche dans ma direction. Et je me dis, là où il y a une mannequin VS, il y a habituellement… “Bonsoir ! Ravie de vous rencontrer, voici Leo”, elle me dit en faisant un geste en direction de DiCaprio. Et je réponds, “Enchantée, rentrez donc.” Je rentre et je dis, “Je pense qu’on peut s’asseoir ici.” Je suis sur le point de retourner à la cabine du DJ quand il me dit : “Oh, excusez-moi, vous pouvez m'amener deux vodka-cranberry s’il vous plait ?” Il a cru que j’étais une serveuse ; c’est pas vraiment ce à quoi je m’attendais. » Elle lève les yeux au ciel, frappe la table et rit si fort que tout le monde dans la pièce se retourne.

Découvrez l’article dans son intégralité dans le numéro Spring 2018 de PORTER.

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