Cover story

Une nouvelle ère

Avec

Andreea Diaconu

Andreea Diaconu porte les pièces du printemps-été 2018

Le mannequin ANDREEA DIACONU, qui dévoile ici les looks du printemps-été 2018, exprime son désarroi face aux réseaux sociaux et sa colère contre certains photographes. Par JANE MULKERRINS.

Photographe Alique .Réalisation Tracy Taylor
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Avec le plus grand naturel, Andreea Diaconu est en train de m’expliquer pourquoi elle ne porte plus de soutien-gorge. « Honnêtement, ils me donnent des reflux gastriques. Je crois que c’est parce que je n’ai pas vraiment de seins », diagnostique-t-elle en saisissant les incriminés à pleines mains, comme pour appuyer son argument. Pour de nombreux mannequins, cela aurait pu s’avérer problématique, mais pas pour Andreea qui enchaîne les contrats et figure parmi les tops les plus demandés du moment. La jeune femme de 26 ans, originaire de Roumanie, a défilé pour les plus grands, de Dolce & Gabbana à Gucci en passant par Lanvin, Tom Ford, Stella McCartney et John Galliano ; représente Victor & Rolf et a récemment signé un beau contrat avec Michael Kors. Bien qu’elle soit reconnaissante de son succès, elle admet qu’elle se sentirait plus à l’aise sur une planche de surf, un vélo, ou à camper dans la nature plutôt que sur un catwalk : « je n’ai aucune idée de ce que je fais dans cette industrie ».

Elle ne semble pas déçue de ne pas avoir participé aux Fashion Weeks de Londres, Paris et Milan cette année ; dans l’attente de sa carte verte, elle ne peut pas quitter le territoire américain. « Mais je peux parcourir les États-Unis », fait-elle remarquer avec un optimisme rafraîchissant. « Je peux aller à Hawaii, dans l’Idaho, en Alaska… L’Alaska est d’ailleurs l’un de mes états préférés. Je vais aussi camper dans le Maine et dans le Wyoming. Je vais peut-être juste prendre quelques vacances. »

Nous sommes dans un studio du quartier branché de Greenpoint à Brooklyn, et Andreea est lovée à côté de moi sur un canapé en cuir, ses jambes interminables repliées sous elle. Elle me décrit son style de tous les jours comme celui d’un « petit garçon de huit ans », mais, à en juger par son pull Prada orné d’un vaisseau spatial, un petit garçon de huit ans ultra-trendy. C’est vrai qu’elle a un petit côté tomboy, mais surtout globe-trotteuse… La jeune femme, qui parle cinq langues et qui détient une ceinture noire de karaté, est avide de découverte, et recherche en ce moment même une combinaison de surf pour l’hiver : « je veux aller surfer ce week-end », m’informe-t-elle, bien que la température soit descendu sous la barre du zéro degré. Elle est si passionnée par ce hobby que pendant deux ans, en plus de son logement du West Village À New York, elle a loué un pied-à-terre près de Rockaway beach, une petite plage située non loin de l’aéroport JFK, où les vagues de l’Atlantique déferlent en puissants rouleaux.

Off-White
Robe Off-White ; boucles d’oreilles Jennifer Fisher. En couverture : robe Chloé ; boucles d’oreilles Leigh Miller.
Versace
Chemise, foulard et ceinture Versace.
Versace
Chemise et foulard Versace.

À l’âge de 11 ans, Diaconu mesurait déjà 1 m 70 (elle atteint presque le mètre 80 aujourd’hui), c’est donc sans surprise qu’elle a commencé à attirer le regard des découvreurs de mannequins. Ça ne l’intéressait pas du tout. « Je ne comprenais absolument pas ce concept », s’amuse-t-elle. « Je ne comprenais pas pourquoi quelqu’un venait à moi alors que, dans ma logique, c’est moi qui aurait dû aller à eux. J’étais complètement sceptique. » Finalement, à 13 ans, elle cède, mais seulement motivée par l’argent. « J’avais besoin de payer pour une compétition de karaté, donc j’ai accepté un job au hasard et ils m’ont payée cinquante euros. » Un an plus tard, elle est engagée pour des shootings à Londres, Paris et Tokyo, où elle voyage seule. Mais elle a vraiment souffert des comportements très durs de certains à son égard : « je me souviens qu’une fois, à New York, une couturière m’a dit que j’étais trop maigre et qu’elle ne pouvait ajuster une jupe à ma taille ». J’ai pensé « m***e à tout ça, je rentre à la maison. »

Son expérience, malheureusement, n’est pas un cas isolé. La mode fait partie de ces nombreuses industries qui, depuis des années, font face à des attitudes inacceptables. « Il m’est déjà arrivé de me sentir très mal à l’aise avec des photographes, confie-t-elle. Certains vous disent des choses comme “vas-y, enlève ton haut, ça fera une plus jolie photo”, et vous demandez “quoi ? On fait un portrait et tu veux que j’ôte mes sous-vêtements ?” et on vous force à le faire ». Une fois, elle a même capitulé, pour un magazine prestigieux : son image dénudée a fait la couverture. « Je me suis caché la tête sous l’oreiller pendant plus d’un an et demi après ça », dit-elle en couvrant son visage de ses mains, encore embarrassée même à présent. « Je ne veux plus jamais le refaire. Les gens doivent absolument apprendre à respecter que non, c’est non. »

Elle se rappelle aussi, quand elle avait 14 ans, s’être retrouvée seule dans une voiture avec un homme qu’elle ne connaissait pas. Il la conduisait à un casting, et a commencé à lui décrire son pénis. « Dans ce milieu, tu ne parles pas la langue, personne ne parle ta langue, et il n’y a qu’une seule personne qui te conduit partout. En l’occurrence, cette personne était malsaine, regrette-t-elle. Je pense être assez résiliente, mais il faut vraiment instaurer des régulations pour aider les jeunes filles qui n’ont pas la même confiance en elles que j’avais. »

Isabel Marant
Manteau et sandales Isabel Marant ; maillot de bain Lisa Marie Fernandez ; sac Wandler.
Gucci
Combi-pantalon Gucci.
Calvin Klein 205W39NYC
Veste, jean et bottines Calvin Klein 205W39NYC.
Calvin Klein 205W39NYC
Veste, jean et bottines Calvin Klein 205W39NYC.
Miu Miu
Haut, jupe, escarpins, boucles d’oreilles et sac bag Miu Miu ; chaussettes de la styliste.

“Je me suis caché la tête sous l’oreiller pendant plus d’un an après ça une couverture seins nus. Les gens doivent apprendre à respecter que non, c’est non”

À un moment de sa carrière, Diaconu a complètement délaissé la mode. À 17 ans, elle ouvre un restaurant avec des amis à Bucarest, Moo Moo, qui sert de la nourriture saine et patiemment mijotée, et reprend ses études. Mais elle abandonne au bout d’un an et, à 20 ans, déménage à New York pour reprendre le mannequinat. « Je me suis dit que je prendrai juste une année sabbatique pour voir ce qui se passait », explique-t-elle en haussant les épaules, « et il s’est avéré que cette année s’est transformée en 6 ans ».

Ses followers ne sont pas aussi nombreux que ceux de Cara Delevingne, Joan Smalls, Karlie Kloss et Edie Campbell, même si le Vogue américain l’a mise en vedette, la taguant sur Instagram sous le #InstaGirls. « Je ne sais pas ce qui a pu se passer, je dois avoir quatre followers », rit-t-elle (elle en a en réalité 148 000). Ces filles en ont des millions. Il faut poster tout le temps, mais je n’aime pas le shot d’adrénaline que ça produit, ce sentiment de gratification que l’on ressent en recevant des likes, je ne crois pas que ça soit bon pour nous. Et j’essaye de passer moins de temps sur mon téléphone ». Elle n’a donc aucun désir de bâtir sa « marque » ? « Karlie et Cara sont des superstars et elles le veulent, elles aiment être célèbres, constate-t-elle. Mais je n’ai pas la personnalité pour ça, je n’aime pas avoir l’attention sur moi. »

Elle a, néanmoins, compris le pouvoir des réseaux sociaux pour défendre des sujets qui lui tiennent à cœur, comme l’Open Door Foundation, une association pour laquelle elle travaille et qui lutte contre le trafic d’êtres humains en Roumaine. « Si quelque chose vous bouleverse et vous touche au plus profond de vous-même, alors il faut partager et en parler, car peut être que cela atteindra quelqu’un qui a plus de contacts et qui pourra avoir plus d’impact, et aider d’une manière ou d’une autre. »

Pourtant, elle ne semble pas réaliser son potentiel en tant qu’influenceuse : « mon agent me répète toujours “tu es Andreea Diaconu”. Et moi je réponds “oui, exactement”. Mais je n’ai pas l’impression que l’on parle de la même Andreea Diaconu ».

Givenchy
Veste et jupe Givenchy ; escarpins Gianvito Rossi ; chaussettes de la styliste.
Saint Laurent
Chemise, short, bottes, boucles d’oreille et collier Saint Laurent.