Ce que veut Taraji
Avec
Taraji P. Henson

Qu’elle se batte avec les studios qui la sous-payent, élève son fils seule ou fasse face aux tragédies, TARAJI P. HENSON est une femme qui connaît sa propre valeur, ne baisse jamais les bras et appelle un chat un chat. EVE BARLOW rencontre une femme qui a beaucoup à nous apprendre
Taraji P. Henson est une personne honnête et directe. Alors qu’elle est assise au restaurant des studios Paramount, ses cheveux joliment tressés et sa veste plus volumineuse que celle d’une chanteuse de hip-hop, je ne peux pas m’empêcher de penser à tous les réalisateurs, producteurs et acteurs qui ont défilé dans ces locaux légendaires. Il s’agit d’un monde qui n’a pas été peuplé par beaucoup de femmes, surtout de couleur. Heureusement, la situation a évolué ces dernières années, et les femmes à la peau sombre sont dorénavant mieux représentées. Et Taraji P. Henson fait partie des plus influentes.
L’actrice a connu de nombreux moments de gloire sur grand écran, avec Les figures de l’ombre et L’étrange histoire de Benjamin Button, mais c’est grâce au personnage de Cookie à la télévision, dans la série Empire diffusée sur Fox, qu’elle s’est fait connaître d’un public plus large. Malgré le fait que Cookie attire l’affection instantanément, l’actrice a d’abord hésité à incarner ce personnage. Le scénario laisse à penser qu’il s’agit d’une personne que le public haïra (une ancienne détenue effrontée), mais Taraji P. Henson y a décelé une opportunité de changer l’opinion des spectateurs, ainsi que la sienne. « J’ai cessé de juger Cookie », explique-t-elle. « On voit une personne à laquelle on ne s’identifie pas, et la première chose que l’on fait est de juger. Or si nous existons, c’est pour éprouver de l’empathie. En tant qu’actrice, c’est mon devoir de faire en sorte que le public comprenne », dit-elle. Elle fait référence à Charlize Theron dans le film Monster. « Nous aurions dû la détester. Mais elle a apporté une dimension humaine au personnage. Un acteur est censé vous défier. Vous êtes censé éprouver de la confusion. » L’on retrouve un peu du personnage de Cookie dans Taraji P. Henson : elle est à la fois charmeuse et directe. C’est son dernier rendez-vous de l’année 2018, avant de s’envoler pour l’Afrique du Sud pour des vacances en famille, et elle est aussi sociable et adorable que s’il s’agissait de la première interview de l’année, distribuant des compliments et des accolades. Elle vous dira précisément ce qu’elle veut et la façon dont elle le veut, mais d’une manière si divertissante qu’il vous sera impossible de vous fâcher.
Son côté fonceur est peut-être plus visible dans sa façon de négocier ses salaires, un problème qu’elle soulève depuis 2008 et L’étrange histoire de Benjamin Button, pour lequel elle a reçu la nomination de Meilleure actrice dans un second rôle aux Oscars. En dépit du fait qu’il s’agissait du rôle qui l’a fait sortir de l’ombre, elle n’a pas hésité à pointer du doigt la différence de rémunération entre elle et ses collègues. Alors que Brad Pitt et Cate Blanchett ont gagné des dizaines de millions, Taraji P. Henson n’a pas obtenu les 500,000 dollars demandés par son agent. « Je n’ai même pas demandé un million. Mais j’ai dû rester objective et prendre sur moi », explique-t-elle en commentant le fait qu’elle a dû accepter une somme moindre. « Je savais qu’en mettant mon ego en sourdine, je sortirai vainqueur. Ma performance était indéniablement bonne. J’ai délivré une performance qui m’a valu une nomination aux Oscars, bon sang ! Et qu’ont-ils dit ? “Nous aurions dû la payer.” » Dorénavant, elle vit pour dire « non ». « Combien veulent-ils me payer ?! » s’offusque-t-elle en apprenant les montants que certains studios continuent de lui proposer. « Chéri, il manque un zéro. Dis-leur d’aller à sa recherche et de m’appeler quand ils l’auront retrouvé. Si vous approchez Taraji P. Henson, vous devez venir avec cet argent, parce que je l’ai gagné. »
« On voit une personne à laquelle on ne S’IDENTIFIE pas, et la première chose que l’on fait est de JUGER. Or si nous existons, c’est pour éprouver de L’EMPATHIE »
Il n’est pas prévu que la série Empire s’arrête bientôt, mais l’actrice ne souhaite pas jouer dedans jusqu’à ce que son succès s’étiole. « C’est la même chose que pour Sex and the City. Je veux partir en étant au sommet », déclare-t-elle. Elle suggère que le plus beau cadeau de ce show est de prouver que n’importe quelle série peut avoir du succès, peu importe la couleur de peau des acteurs, et cite le blockbuster Black Panther en exemple. « C’était le film le plus “noir” du monde et il a du succès absolument partout », s’écrie-t-elle. « Les gens veulent être divertis. Ils ne se réveillent pas en se disant “Aujourd’hui je vais aller voir un film avec des blancs !” »
En 2018, l’actrice a fait remarquer à Sony que son film Proud Mary n’était pas suffisamment distribué sur les autres continents. « Voilà ce qui passe pour les films dont le casting est principalement noir », regrette-t-elle. « La seule attente est qu’ils fassent une bonne audience sur le territoire d’origine seulement. » Lorsque Taraji P. Henson a commencé à voyager pour la promotion de ses projets, elle a réalisé que c’était absurde. Non seulement son nom était familier aux européens (« J’ai lamentablement pleuré », dit-elle en évoquant le moment où elle a flanché lorsque des fans l’ont accostée dans la rue à Londres), mais elle a pu se rendre compte que la culture noire était répandue à travers le monde. « J’ai passé trois mois en Chine. Je suis allée dans des boîtes de nuit. Je sais sur quelle musique ils dansent. Je déteste sortir la carte du racisme, mais là je n’ai pas le choix », dit-elle en demandant des comptes au studio.
« Black Panther était le film le plus “noir” du monde et il a du succès PARTOUT. Les gens veulent être divertis. Ils ne se RÉVEILLENT pas en se disant “Aujourd’hui je vais aller voir un film avec des BLANCS !” »
Voir de plus en plus d’actrices de couleur camper des rôles importants la réjouit. Elle cite Gabrielle Union, Vivica Fox, Regina King, Tasha Smith et Sanaa Lathan. « Non seulement elles travaillent, mais elles ont plusieurs casquettes [en tant que réalisatrices et productrices] », explique-t-elle. « Quand je suis arrivée à Hollywood, il n’y avait qu’un seul rôle pour toutes les candidates noires. Mais j’ai toujours su qu’il y avait suffisamment de travail pour tout le monde. Je n’ai jamais pensé que je livrais un combat. Vous créez votre propre emploi. J’ai été élevée comme ça. »
L’actrice a grandi dans un quartier difficile de Washington. Ses parents étaient tous les deux des bourreaux de travail ; sa mère exerçait le métier de manager dans les affaires, et son père était concierge. Ils ont divorcé lorsqu’elle avait deux ans. Dans son autobiographie, elle raconte avoir vu son père traîner sa mère par les cheveux et menacer de la tuer. À l’époque, elle était trop jeune pour savoir qu’il s’agissait d’un abus, mais lorsqu’elle a été en âge de comprendre, son père a abordé le sujet avec elle. Ils ont évoqué ses problèmes de santé mentale. Taraji P. Henson est transparente à propos de ses propres soucis, et a créé une œuvre de bienfaisance dédiée à la santé mentale au nom de son père, décédé en 2006 d’un cancer du foie. « Tous les samedis, je me rends à une séance de thérapie », confie-t-elle. « Ce n’est pas parce que vous me voyez à la télévision que les voix dans ma tête ont disparu. »
Aujourd’hui, elle parle de lui avec une voix gaie. « J’étais turbulente. Mon père a encouragé ce comportement. » Il lui disait qu’un jour, on lui décernerait un Oscar. « J’ai un esprit créatif. » Elle désigne son cerveau. « Ce muscle est puissant. Vous me donnez un scénario ? Je suis capable de l’étoffer. J’écrirai une scène qui remportera un Oscar. »
« Tous les samedis, je me rends à une séance de THÉRAPIE. Ce n’est pas parce que vous me VOYEZ à la télévision que les VOIX dans ma tête ont disparu »
« J’ai un esprit CRÉATIF. Vous me donnez un scénario ? Je suis capable de L’ÉTOFFER. J’écrirai une scène qui remportera un OSCAR »
Aujourd’hui, elle fait la promotion de son film What Men Want, un remake de la comédie romantique Ce que veulent les femmes avec Mel Gibson, sorti en 2000. La nouvelle version offre le point de vue d’une femme qui se comporte tel un macho sur son lieu de travail, une idée scénaristique faisant écho au mouvement #MeToo. « J’étais très enthousiaste à l’idée de traiter un sujet d’actualité », explique-t-elle. « Nous l’avons creusé. Vous riez, mais vous êtes également invité à réfléchir. » À Hollywood, Taraji P. Henson confirme que certains hommes se sentent toujours mal à l’aise en présence de femmes accomplies. « J’ignore pourquoi. À leurs côtés, ils n’en paraîtront que meilleurs », s’étonne-t-elle. « Ma bouche est tout aussi insensible. Impossible de me déstabiliser avec une blague sexiste. En fait, j’attends presque que l’on me dise quelque chose pour pouvoir dégainer ma répartie. »
Sa façon de s’exprimer suggère qu’elle a toujours été sur le qui-vive. À l’école, elle cumulait les emplois : secrétaire à mi-temps au Pentagone la journée, serveuse, chanteuse et danseuse sur un bateau le soir. Jouer la comédie a toujours été son objectif, et elle a poursuivi son rêve en élevant seule son fils de 24 ans, Marcel. Le père du jeune homme, dont elle est séparée, a été assassiné en 2003 par un couple qu’il avait confronté pour avoir crevé les pneus de la voiture d’un ami. Depuis, Taraji P. Henson s’est occupée de Marcel sans aucune figure paternelle. « C’est difficile », confie-t-elle. « Je rêvais qu’il aille vivre avec son père une fois adolescent, ou avec son grand-père. Je n’ai pas eu de relations sentimentales. Et je me demandais si mon fils avait confiance en lui, en tant qu’homme noir. Je ne souhaiterais même pas à ma pire ennemie d’être mère célibataire. Un enfant a besoin de ses deux parents. »
Elle a trouvé son modèle auprès des matriarches de sa famille, notamment de sa grand-mère Patsy. « Elle est la raison pour laquelle mon fils ne mange jamais de céréales », dit-elle. « Tous les matins je lui cuisinais son petit déjeuner. Même lorsque je commençais à 5h, je lui préparais des œufs, des pancakes, des tartines… Vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu’un enfant puisse apprendre s’il a l’estomac vide. Ce dont elle est la plus fière ? L’empathie dont il fait preuve envers autrui. « Il est très sensible. Je suis heureuse d’avoir élevé un homme qui n’a pas peur de pleurer. »
Actuellement, elle partage son emploi du temps entre sa passion pour le travail, et ses noces à venir. L’année dernière, le jour de la fête des Mères, à l’âge de 47, elle s’est fiancée à Kelvin Hayden, un ancien joueur de football américain de la NFL. Elle a toujours voulu se marier. « Je ne voulais pas me poser. J’ai juste attendu », dit-elle. Il lui a fait sa demande dans le restaurant où ils ont eu leur premier rendez-vous. Elle n’avait aucune idée de ce qui se tramait jusqu’à ce que des violonistes arrivent à leur table et se mettent à jouer leur chanson. « Sa main était moite », s’amuse-t-elle. « Mec, ça fait un an que tu m’interroges à propos du mariage. Tu penses vraiment que je vais dire “non” ?! » Visiblement, l’offre a répondu aux critères élevés de Taraji P. Henson.
What Men Want sortira le 8 février aux États-Unis et le 22 mars au Royaume-Uni.