Une pour toutes, toutes pour une
Avec
Zara Larsson, Teddy Quinlivan, Sherrie Silver, Lauren Simmons & Noor Tagouri

Elles bousculent les conventions, remportent des prix, et changent le cours de l’Histoire… Ces jeunes femmes ont accompli des prouesses qui galvanisent la génération Z. Mais leur ténacité, leur courage et leur force face à l’adversité peuvent inspirer toutes les femmes, quel que soir leur âge.
NOOR TAGOURI
Noor Tagouri est une journaliste de 25 ans qui a produit des documentaires défiant les préjugés et des podcasts sur des sujets forts comme le trafic sexuel ou la victimisation des personnes atteintes de handicaps mentaux. Elle est née et a grandi aux États-Unis, est d’origine libyenne, de confession musulmane, et a commencé à porter le voile à 15 ans. Son talent, sa ténacité, et sa capacité à raconter des histoires éclairantes à ceux qui sont marginalisés, lui ont permis d’ajouter l’activisme et l’éloquence à son curriculum vitae, ainsi que de lui réserver une place au premier rang des défilés, et d’apparaître dans des campagnes de publicité pour des marques comme Glossier.
Décrivez-vous en une seule phrase.
Mon nom est Noor Tagouri et je suis une journaliste, mais malgré tout c’est vraiment difficile pour moi de me décrire en une seule ligne.
Quand vous aviez dix ans, que vouliez-vous faire de votre vie ?
Raconter des histoires était ma passion. J’ai des vidéos de moi à huit ans où je fais semblant de présenter le journal télévisé. À la télévision, tout le monde avait les cheveux blonds et les yeux bleus, donc je suis passée par une phase où je me décolorais les cheveux en blond ou portais des lentilles de couleur parce que c’était le modèle que j’avais et je pensais devoir m’y conformer. Je jurais que jamais au grand jamais je ne porterai le voile. Ce n’est pas avant l’âge de 15 ans, quand je me suis sentie perdue et que j’ai essayé de me trouver que j’ai commencé à le porter. Mes parents ne m’ont jamais parlé du port du voile car ils savaient que je voulais travailler à la télévision, et nous n’avions jamais vu personne le porter à l’écran. Alors, quand j’ai commencé à le porter, mes parents m’ont dit « Tu en es capable, tu peux être la première. » Je veux arriver au point où, et rassembler suffisamment de monde, pour que dans 10 ans, lorsqu’on allumera la télévision et que l’on verra apparaître une personne voilée, ça nous paraîtra tellement naturel que l’on n’y prêtera même pas attention.
Quels principaux défis avez-vous relevés ?
Quand on fait partie d’une minorité, c’est toujours ce premier facteur identifiant qu’autrui remarque, avant même votre travail, et c’est ce contre quoi je me suis toujours battue. Les gens disent toujours « Ah oui, Noor, c’est la journaliste voilée », au lieu de « Ah oui, c’est la journaliste qui a enquêté sur le trafic sexuel. » Je me rappelle avoir pensé ne pas pouvoir exercer certains métiers car j’aurais seulement été un messager faisant circuler des informations à propos de ma communauté. Or je voulais démontrer que, non, ce n’était pas mon job. Que je devais être traitée comme tous les autres journalistes, et avoir la possibilité de communiquer sur tous les sujets.
Quelles pressions subissez-vous ?
Il existe une pression lorsque vous êtes regardée par le public, et que parce que vous avez une identité distincte, vous finissez par représenter la communauté entière. Et c’est dur, parce que près de quatre millions de musulmans vivent aux États-Unis, ce qui signifie qu’il existe quatre millions de façons d’être musulman sur le sol américain. C’est plus facile de mettre tout le monde dans le même panier, mais quand vous êtes en charge de l’information (ce qui n’implique pas nécessairement d’être journaliste, le fait de récolter des histoires suffit), vous réalisez rapidement que chaque individu possède sa propre expérience. Et c’est la façon dont nous devrions regarder les gens, parce que c’est le seul moyen d’avoir la bonne perspective et de nous comprendre les uns les autres.
Que faire lorsqu’on se sent impuissante ?
En tant qu’êtres humains, notre responsabilité n’est pas de prendre soin du monde entier, mais de mener notre vie comme nous l’entendons. Votre objectif est de mettre vos compétences et vos talents à profit des causes qui vous tiennent à cœur. Si vous ne savez pas par quel bout commencer ou que vous n’avez pas la possibilité d’agir, posez des questions pour savoir de quelle manière vous pouvez vous rendre utile. Cherchez du volontariat, écoutez les gens, essayez de passer du temps avec eux afin de les aider. Nous sommes tous capables d’être là les uns pour les autres. Et si vous n’êtes pas dans l’état d’esprit adéquat, il vous faut d’abord prendre soin de vous, car il est impossible de donner quoi que ce soit si l’on a rien à donner.
D'où vous vient la motivation d’entreprendre ce que vous faites ?
De ma foi. À 100 %. Ma foi s’inscrit dans le fait de vivre pour quelque chose de beaucoup plus grand que vous, et de vivre pour aider et contribuer, ce sont mes objectifs. Les gens pensent que prier, jeûner etc. sont des actes de service, pourtant il s’agit de choses très simples. Par exemple, l’Islam dit « sourire est considéré comme un acte de bienfaisance ». Donc si vous n’êtes pas en mesure de donner de l’argent ou du temps, si vous souriez à quelqu’un compte autant. Ce système de croyance m’a tellement apporté et motivée car chaque jour je me réveille en sachant que je vis pour une cause beaucoup plus grande que ma simple personne.
Qu’aimeriez-vous lire dans votre biographie dans 20 ans ?
« Noor Tagouri, à votre service. »
Interview par Jennifer Dickinson
SHERRIE SILVER
Sherrie Silver est une danseuse, chorégraphe et actrice de 24 ans. Elle est née au Rwanda puis a émigré au Royaume-Uni à l’âge de cinq ans, et partage aujourd’hui sa vie entre le Royaume-Uni et les États-Unis où elle travaille avec des artistes comme Childish Gambino (leur collaboration sur This Is America lui a valu de nombreuses récompenses), et des marques comme Nike, en utilisant la danse comme moyen d’enseigner les cultures africaines. Sherrie Silver est également devenue porte-parole de l’IFAD (Le Fonds International de développement agricole des Nations Unies) pour l’organisation Rural Youth qui soutient les jeunes issus de communautés défavorisées. Une situation qui lui est familière, puisqu’elle a créé Wall Rebuilders, une œuvre de bienfaisance qui fournit un logement permanent et une protection sociale aux enfants SDF. Elle gère également des centres où les jeunes ont accès à des programmes éducatifs ainsi qu’à des contrôles sanitaires et dentaires.
Décrivez-vous en une seule phrase.
Je suis actrice, directrice artistique, chorégraphe et philanthrope… Une femme qui a pour but de mettre ses talents à profit pour inspirer les jeunes du monde entier.
Que vouliez-vous faire quand vous aviez 10 ans ?
J’ai toujours souhaité me produire sur scène, j’aimais la façon dont les gens réagissaient en me voyant danser ou chanter. Pendant un temps j’ai aussi pensé à devenir chirurgienne, mais cette idée n’a pas fait long feu. En 2010 j’ai décroché un rôle dans un film et je me suis dit « Bon, c’est vrai que finalement je n’ai peut-être pas envie d’être chirurgienne… »
Comment le fait de vivre au Rwanda et à Londres vous a façonnée ?
La vie chez moi [au Rwanda] m’a appris à me battre, à ne pas être paresseuse et à être capable d’innover. Même, parfois, aller au puits me faisait réaliser « Si tu ne vas pas au puits tu n’auras pas d’eau, donc tu as tout intérêt à te bouger et à aller en chercher. » Alors qu’en Angleterre, il suffit d’aller au robinet. Je veux dire, ne vous méprenez pas, l’eau courant existe en Afrique, mais je fais allusion à moi-même. Donc courir à la sortie de l’aéroport, travailler puis recommencer ? Je suis née pour ça. J’ai été habitée à aller au-devant de ce que je désire.
Quelle est votre mission actuelle ?
Je parviens à gagner de l’argent grâce à mon talent, et je peux utiliser cet argent pour changer la vie des gens, comme leur donner accès à une protection sociale afin qu’ils puissent se rendre à l’hôpital, mettre un toit au-dessus de la tête des enfants vivant dans la rue, donner des machines à coudre à des femmes qui se prostituaient pour qu’elles puissent apprendre la couture dans mon atelier… C’est ma raison de vivre.
Quels principaux défis avez-vous relevés ?
Il y en a beaucoup. Dans cette industrie, si vous avez la peau foncée, les gens vous diront « Vous êtes consciente qu’à un moment donné vous allez devoir éclaircir votre peau, n’est-ce pas ? » Ça m’a donné encore plus envie d’être moi-même, juste Sherrie à la peau sombre. Je veux être cette femme noire qui montrera aux autres filles et femmes noires qu’elles n’ont pas à s’éclaircir le teint et qu’elles ne doivent rien modifier pour autrui. Je m’aime vraiment. Je me regarde dans le miroir et j’admire ma peau, mon corps.
Comment faites-vous pour entrer dans une pièce et être pleine d’assurance ?
Quand vous êtes sur scène, certains des vidéastes et des réalisateurs sont bien plus âgés et expérimentés, et ils vous regardent avec l’air de dire « Mmmmh, cette enfant… » Donc je dois juste faire semblant d’avoir confiance en moi et donner de la voix, parce qu’en cas de nervosité, on a tendance à être timide et silencieux, mais si j’ai une idée dont je pense qu’elle peut rendre cool et tendance une publicité ou un projet, alors je vais le dire haut et fort. L’expérience la plus intimidante de ma vie, c’était il y a peu, lorsque j’ai dû prendre la parole au sommet de l’IFAD des Nations Unies (Le Fonds International de développement agricole). L’assemblée était plus âgée que moi (le Pape et le Président de la République dominicaine étaient présents), et avant que j’arrive sur scène, on m’a dit « Ne t’inquiète pas si personne ne sourit, n’attend rien en retour. Ne laisse pas leur énergie t’atteindre. » Et j’ai répondu « Oh non, je n’autoriserai jamais personne à influencer mon énergie, parce que mon énergie est forte ! » Et ensuite je suis entrée dans l’arène pour aller les secouer un peu. Et à un moment donné, j’ai même été gratifiée d’un « Waouh ».
Quel fut le moment charnière de votre vie ?
Le premier a été de pouvoir acheter une maison pour des enfants SDF, un projet de toujours. Le second fut ma victoire aux MTV VMA et aux Grammy Awards… Une fille africaine noire qui pratique de la danse africaine authentique ? Comment ça, j’ai gagné ?
Qu’aimeriez-vous lire dans votre biographie dans 20 ans ?
« L’actrice oscarisée et musicienne récompensée aux Grammy Awards Sherrie Silver… »
Interview par Fedora Abu
ZARA LARSSON
Zara Larsson est une chanteuse et auteure-compositrice suédoise de 21 ans. En 2008, elle a remporté le concours de jeunes talents de l’émission télévisée Talang, devenant ainsi célèbre dans son pays à l’âge de 10 ans. Depuis, elle a sorti deux albums et collaboré avec Clean Bandit et David Guetta, et son troisième album est prévu pour ce printemps. Avec déjà 10 ans d’expérience, elle construit une belle carrière dans ce qu’elle décrit comme une industrie dominée par la gent masculine.
Décrivez-vous en une seule phrase.
Je m’appelle Zara, je suis une chanteuse, auteure-compositrice, artiste, et très heureuse.
Dans cette phrase, quel mot est le plus important à vos yeux ?
Oh… Peut-être « artiste » ou « heureuse ». Une artiste heureuse.
Quand vous aviez dix ans, que vouliez-vous faire de votre vie ?
Exactement ce que je fais actuellement. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu chanter.
Quel principal défi avez-vous relevé ?
Vous ne pouvez pas forcer les gens à vous aimer, vous voyez ce que je veux dire ? Et c’est ça, d’être un artiste : de vouloir que tout le monde vous aime. Je fais ma musique autant pour les gens que pour moi-même, car si je ne la faisais que pour moi-même, la diffuser n’aurait pas de sens. Quelqu’un a dit : « Vous pouvez être la plus sucrée des fraises, certaines personnes n’aiment tout simplement pas les fraises. » Je ne peux pas être davantage que ce que je suis. Je suis arrivée à la conclusion que ce que j’aime, la musique que j’aime, et la personne que je suis, sont suffisamment bonnes.
Quelles pressions subissez-vous ?
Quand on grandit en tant que femme, je trouve que l’on doit se conformer à une certaine apparence physique. Le coiffeur de la séance photo de PorterEdit m’a demandé « Est-ce que le fait que des gens vous reconnaissent dans la rue vous pousse à ne jamais sortir sans maquillage ? » Et non, je sors sans maquillage, mais quand il a posé cette question, j’ai réalisé que je me sentirais terriblement mal à l’aise si j’étais photographiée le visage à nu, car comme je ne trouve pas ma peau jolie, je ne voudrais pas décevoir quelqu’un en étant laide sur une photo. Pourtant je trouve que c’est une bonne façon de donner l’exemple, de montrer ses imperfections et de ne pas retoucher toutes mes photos. C’est ce que j’aimerais être, mais en même temps, je ne suis qu’une femme vivant dans ce monde, et même si je suis un modèle pour certains, les standards auxquels les femmes sont censées correspondre m’agacent.
Être une femme dans l’industrie de la musique est-il difficile ?
J’ai la chance d’avoir une super équipe autour de moi. Je suis très à l’aise avec les gens avec qui je travaille, dans le sens où je suis libre de dire si quelque chose ne va pas. Lorsque j’écris, mon manager et moi-même nous assurons qu’il y ait au moins une autre fille dans la pièce, parce que sinon il n’y a que des hommes d’âge moyen et qui disent « Donc on va écrire une petite chanson à propos de l’amour adolescent » et vous avez envie de leur dire « Tu ne peux pas me comprendre ! »
Quelles personnes de votre entourage vous inspirent le plus ?
La première qui me vient à l’esprit est Yara Shahidi, elle est tellement cool. Zendaya est super cool, Dua Lipa, Bebe Rexha… J’ai le sentiment qu’entre nous, nous sommes plus collaboratives, et que nous nous stimulons mutuellement plutôt que d’être en compétition.
Qu’aimeriez-vous lire dans votre biographie dans 20 ans ?
J’espère qu’on y dira que je fais toujours ce que j’aime, mais que je me produis cette fois dans des stades ! Je veux avoir mon propre studio d’enregistrement afin d’apprendre la production et d’avoir ainsi le contrôle.
Interview par Noor Tagouri
LAUREN SIMMONS
En mars 2017, Lauren Simmons, 24 ans, est devenue la plus jeune trader (femme) de Wall Street. Elle en est depuis partie pour rejoindre un fonds privé, et consacrer plus de temps à ses discours publics. En janvier, l’actrice Kiersey Clemons a annoncé qu’elle produirait et jouerait dans le film retraçant l’histoire de Lauren Simmons.
Décrivez-vous en une phrase.
Je laisse mon empreinte dans l’histoire.
Parlez-nous de votre travail. Être la première et l’unique est un accomplissement incroyable, mais se sent-on seule ?
Je suis partie [du Stock Exchange] et je me dirige maintenant vers un fonds privé. Mais j’y suis restée deux ans et j’ai adoré ça. Mes collègues étaient ma famille. Ils me soutenaient. Je sais que les gens pensent que l’industrie de la finance est très compétitive, mais je crois, en toute honnêteté, que les seules personnes avec qui j’ai été en compétition sont des femmes. J’espère que cela changera.
Comment les femmes peuvent-elles devenir de meilleures alliées ?
En se soutenant véritablement les unes les autres. En se posant des questions. Je ne crois pas que pour atteindre nos objectifs, nous devons être confrontées aux mêmes problèmes que les femmes qui nous ont précédées. Avoir des tutrices serait peut-être le meilleur système de soutien, car seule une femme peut comprendre ce que ça fait d’évoluer dans un univers dominé par les hommes. Un homme vous offrira son soutien, mais ce n’est pas pareil, car il n’aura jamais la même perspective qu’une femme.
Selon vous, pourquoi reste-t-il un bon bout de chemin à parcourir avant d’être égaux ?
En 228 années (226 lorsque j’ai signé), j’étais la seconde femme afro-américaine [au sein du Stock Exchange] et il y avait plus de 100 000 hommes blancs à l’étage trading. Si vous faites partie d’une minorité ou que vous êtes une femme et que vous ignorez à quoi correspond l’emploi, vous ne savez pas comment y postuler. Et pour les hommes à l’étage trading, si vous ne connaissez aucune minorité ni femme à qui parler de cet emploi, chacun reste alors dans sa bulle, et ces deux bulles ne se rejoignent jamais.
Quel est le plus gros défi que vous avez relevé ?
Même si les femmes souhaitent se soutenir entre elles… J’ai rencontré des femmes blanches qui m’ont dit que je n’étais pas la seconde afro-américaine, et que deux ou trois m’avaient précédé. Je les ai regardées et leur ai répondu que j’étais la deuxième, mais que ça importait peu, puisque dans tous les cas il s’agissait d’un chiffre dérisoire. Il y a eu des dizaines de milliers de femmes blanches, des centaines de milliers d’hommes blancs, et nous sommes là à débattre de la troisième, quatrième ou cinquième position. Rendez-vous compte de la dispute que nous sommes en train d’avoir ? Réalisez-vous que le problème qui se cache derrière est beaucoup plus important ?
Comment gérez-vous ce genre de mesquinerie ?
Il faut garder la tête haute. J’ai fait des recherches à propos de ces noms-là, et ces femmes n’existent pas. Mais de toute façon, la question n’est pas de savoir qui est la seconde ; le message envoyé aux femmes concerne l’urgence de briser les plafonds de verre, de s’atteler aux domaines dominés par la gent masculine, et d’être indépendantes financièrement.
Quelles pressions subissez-vous ?
Le syndrome de l’imposteur. Vous savez, être à la hauteur des attentes d’autrui… De cette « Lauren » qui est entrée dans l’histoire et qui fait l’objet de l’attention générale.
Kiersey Clemons produit actuellement un long-métrage racontant votre histoire, dans lequel elle interprètera également votre rôle. Quel sentiment cela vous procure-t-il ?
Vous savez, lorsque des événements se produisent et que vous vous dites « Est-ce réellement ma vie ? » Je ne sais même pas si je serais capable de regarder ce film. Quelques studios m’ont contactée, puis [Kiersey] m’a contactée séparément pour me dire qu’elle souhaitait jouer mon rôle, et j’ai jeté mon dévolu sur elle avant même de choisir un studio. Elle voulait conserver mon histoire telle quelle, et ce qui est étonnant, c’est qu’elle me ressemble beaucoup dans la réalité.
D’où vous vient votre motivation ?
Oh, ça ne fait aucun doute : de ma mère et de mon frère. Mon frère jumeau est atteint de paralysie cérébrale et est très extraverti. Les adultes handicapés ne bénéficient pas du même soutien que lorsqu’ils sont scolarisés de l’école élémentaire au lycée, donc la vie peut être compliquée pour eux. Et lorsque ses pairs sont allés à l’université, il n’a pas pu faire de même. C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais en faire davantage pour lui. Il n’a jamais utilisé son handicap comme excuse. Et moi, qui jouis de toutes mes capacités, n’allais pas me réfugier derrière des excuses non plus, parce que si mon frère pouvait se mêler entièrement au monde, il ferait cent fois mieux que moi.
Comment imaginez-vous votre futur ?
PDG de ma propre société. Probablement propriétaire d’un fonds spéculatif. Mais je fais partie de la génération Z, donc je ne sais pas, peut-être que je ne serais plus dans la finance mais en politique. Qui sait ?
Interview par Noor Tagouri
TEDDY QUINLIVAN
Teddy Quinlivan est un mannequin de 24 ans originaire de Boston et résidant à Paris. Elle a défilé pour Louis Vuitton, Gucci et Dries van Noten, et a révélé son identité transgenre en septembre 2017, expliquant qu’elle se sentait incapable de rester silencieuse à propos de son histoire alors même que les personnes transgenres et leur liberté personnelle étaient actuellement attaquées. Depuis lors, sa vie, ainsi que sa carrière auréolée de succès dans l’industrie de la mode, ont éduqué et inspiré bon nombre de personnes.
Décrivez-vous en une seule phrase.
Une vraie bitch !
Dans cette phrase, quel mot est le plus important à vos yeux ?
« Vraie ». Parce qu’il est primordial pour moi de vivre ma vie aussi authentiquement et honnêtement que possible. J’ai passé une bonne partie de mon existence à essayer d’être la personne que tout le monde voulait que je sois… Quand j’ai rendu mon identité transgenre publique, j’ai senti que c’était l’opportunité pour moi d’être aussi ouverte et honnête que faire se peut durant le reste de ma vie à propos de mon ressenti par rapport aux choses, et de mon ressenti par rapport à la façon dont j’ai été traitée et maltraitée.
Quand vous aviez dix ans, que vouliez-vous faire de votre vie ?
Je voulais être espion. Parce que j’étais transgenre, je ne pouvais pas être moi-même donc je me disais, si je peux juste me glisser dans la peau de ces personnages, devenir quelqu’un de totalement différent, puis espionner, afin de pouvoir en quelque sorte être moi-même à travers ces différentes identités.
Que diriez-vous à celle que vous étiez à dix ans ?
Quand j’étais plus jeune, je percevais [le fait d’être transgenre] comme un choix, puis en grandissant, j’ai commencé à réaliser que j’étais fière de la personne que je suis. Je suis Teddy Quinlivan, je suis mannequin, activiste, et je suis aussi transgenre. Quand j’ai finalement accepté que c’est ce que je suis, que c’est un fait que je ne peux pas changer, je me suis demandé pourquoi je détestais autant cela. Pourquoi ne pouvais-je pas simplement l’accepter et en profiter ? J’ai appris que la raison pour laquelle j’avais tant de problèmes avec le fait d’être trans était dû au fait que les gens avaient un problème avec ça. Donc je me suis dit, d’accord, vous savez quoi, allez au diable, je vais maintenant vivre ma vie et être moi-même. Et quand j’ai accepté le fait que tout le monde n’avait pas à m’aimer, ça m’a beaucoup réconfortée.
Quel défi principal avez-vous relevé ?
Lorsque j’ai réalisé que parfois, les gens qui sont censés être là pour vous ne le sont pas. Quand j’ai parlé publiquement de mon agression sexuelle [en avril 2014, Teddy Quinlivan a publié une lettre ouverte sur Instagram pour révéler le harcèlement et l’agression subis pendant sa carrière], la plupart des gens ne m’ont pas soutenue (mon agence par exemple), alors que je pensais que mes intérêts leur tenaient à cœur. Ils ne m’ont jamais proposé de solutions, et n’ont jamais agi d’une façon que je trouvais appropriée. En comprenant que le fait qu’ils ne lèvent pas le petit doigt était une façon de cautionner ce qui se passait, qu’ils n’allaient pas m’aider… Je crois que ça a été la chose la plus difficile à surmonter.
À 24 ans, je suis en train d’apprendre des leçons de vie, de savoir comment m’adapter au monde professionnel tout en me battant pour mes convictions quand j’estime que c’est approprié et que ça doit être effectué. Quand on est aussi franc que moi, même si vous vous insurgez contre des problèmes très importants qui méritent que vous leur accordiez votre temps, vous devez être prêt à en accepter les conséquences : que les gens ne se rangeront pas forcément de votre côté.
Si j’ai révélé l’agression sexuelle que j’ai subie, c’est en partie par devoir envers les mannequins plus jeunes qui me succèderaient, de clamer haut et fort que c’était grave, et qu’en tant que membre de l’industrie, nous devions y mettre un terme. Mais mon sentiment de devoir mettre fin à cet horrible abus de pouvoir n’a pas reçu beaucoup d’aval. Je crois que beaucoup de personnes sont d’accord pour dire qu’une mesure doit être prise, mais qu’une infime partie d’entre elles sont prêtes à agir. J’étais prête à agir mais j’en ai souffert… Certains ont décidé de ne plus travailler avec moi à cause de ça, d’autres ont pensé que je mentais, ou que je soulevais trop de polémique… À mon sens, la justice n’est jamais obtenue facilement.
Qu’aimeriez-vous lire dans votre biographie dans 20 ans ?
Que j’étais une personne honnête. Que je me suis battue pour des causes justes.
Interview par Noor Tagouri
CINQ ÉTOILES
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