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Exclusivité du magazine : l’Odyssée d’Anja Rubik

ANJA RUBIK est bien décidée à agir de façon significative pour préserver l’environnement et les fonds marins, et ce grâce à l’industrie de la mode. Aux côtés de l’association à but non-lucratif Parley for the Oceans et du magazine PORTER, le top s’est rendu aux Maldives pour constater les dégâts causés par le plastique aux eaux cristallines de l’archipel, et découvrir comment les marques peuvent protéger les océans grâce, notamment, à des innovations écologiques. Photographe MARIO SORRENTI. Styliste CAMILLE BIDAULT-WADDINGTON.

Texte Danielle Radojcin
Reporter

Sur la petite île de Mutteyfushi, perdue au nord-est de l’atoll de Gaafu Alif, aux Maldives, nous vivons un moment de mode assez magique. À l’horizon, le soleil est déjà bas, et Mario Sorrenti, photographe, sait que la plage sera plongée dans l’obscurité dans très peu de temps. « Il faut qu’elle revienne avant qu’il n’y ait plus de lumière », dit-il à Camille Bidault-Waddington, styliste, en parlant d’Anja Rubik, qui s’active dans la hutte servant de dressing-room pour la journée. La plage est entourée de palmiers et de végétation tropicale, et face à nous, l’océan turquoise s’étend à perte de vue, parsemé de quelques îlots sauvages. Difficile de faire plus glamour pour un shooting mode, mais, cette fois, nous sommes rassemblés pour une cause encore plus importante.

En travaillant avec PORTER, nous voulons montrer la beauté et la fragilité de nos océans. L’objectif est d’inciter l’industrie de la mode, et en particulier le secteur du luxe, à agir. L’heure n’est plus à la sensibilisation. Il faut mettre en place des solutions immédiatement
Anja Rubik

En réalité, c’est grâce à Anja Rubik que nous sommes tous là. On connaît bien cette célèbre mannequin comme égérie Saint Laurent, et pour toutes les campagnes de publicité et les nombreux défilés auxquels elle a participé. On la connaît moins pour son engagement politique, en faveur des droits des femmes notamment, et écologique, en tant que collaboratrice de Parley for the Oceans, une organisation qui lutte contre la pollution des océans par le plastique. Anja Rubik a voulu mettre ce problème sur le devant de la scène pour faire évoluer les choses. Elle a donc amené ses amis de la mode — Mario Sorrenti, Camille Bidault-Waddington et Lucy Yeomans, directrice de PORTER — aux Maldives, région du monde particulièrement vulnérable face au réchauffement climatique, et où l’organisation Parley s’est installée. « En travaillant avec PORTER, nous voulons montrer la beauté et la fragilité de nos océans. L’objectif est d’inciter l’industrie de la mode, et en particulier le secteur du luxe, à agir », explique-t-elle. « L’heure n’est plus à la sensibilisation. Il faut mettre en place des solutions immédiatement ».

Cyrill Gutsch est le fondateur de l’organisation Parley for the Oceans. Cet ancien designer a rencontré Anja Rubik en 2016, lors d’une conférence avec la NASA. Quand il a appris que près de la moitié de l’oxygène sur Terre venait de l’océan, et que l’humanité ne pouvait survivre sur une planète où les océans sont morts, il a décidé de passer à l’action.

« Tous les problèmes environnementaux s’expliquent par la défaillance du système économique. La consommation de viande et de carburant fossile accélère le réchauffement climatique, le plastique tue les écosystèmes marins et détruit la santé des êtres humains. Le prix que nous payons pour ça est extrêmement élevé. Nous sommes en train d’hypothéquer notre avenir », dit-il. À ses yeux, ceux qui réfléchissent au futur ont forcément une conscience écologique. La stratégie de Parley repose sur un concept dénommé AIR, acronyme anglais pour Avoid, Intercept, Redesign : limiter, récupérer, recycler. C’est une mise à jour des « trois R » — Réduire, Réutiliser, Recycler — la stratégie de gestion des appareils électroménagers, mais que les entreprises et les gouvernements peuvent aussi appliquer en général. Parley s’efforce donc de récolter les déchets plastiques dans l’océan et sur les plages, sur les côtes habitées comme les îles lointaines, et de fabriquer des produits en plastique recyclé sous le label Ocean Plastic®. En travaillant avec des artistes, des créatifs et des grandes marques, l’objectif est d’en faire un symbole pour changer les choses. Mais Parley cherche aussi, avec l’aide de scientifiques, d’inventeurs, d’investisseurs et de designers, à trouver des alternatives au plastique qui le remplaceront une bonne fois pour toutes. « Le changement doit avoir lieu sur le plan rationnel, en se basant sur des faits et des preuves, mais il peut aussi se faire très rapidement sur le plan affectif. C’est toute la beauté de l’art et de la mode, qui permettent de faire évoluer les choses sans long discours », affirme-t-il.

Mais revenons à notre séance photo. Anja Rubik surgit topless, uniquement vêtue d’un large pantalon doré. Dans l’eau jusqu’aux genoux, elle passe la main dans ses cheveux coupés au carré, croise les bras, incline sa tête et fixe l’objectif. Le soleil couchant envoie ses reflets écarlates sur le tissu métallisé du pantalon, créant des points de lumières sur l’eau. On dirait presque un banc de plancton féérique qui arrive avec la nuit.

TRISTE DÉCOUVERTE
Des déchets retrouvés lors du nettoyage d’une plage de Kondey Island aux Maldives, organisé par Parley.

Le caractère d’Anja Rubik n’a rien à voir avec l’image androgyne, rigide et ultra-parfaite des publicités. Du haut de ses 35 ans, elle ressemble presque plus à une ado dégingandée, mais raffinée. Elle parle avec calme et assurance, comme une personne habituée à débattre avec des politiques et des militants qu’elle cherche à convaincre.

Au-delà de son engagement auprès de Parley, Anja Rubik défend la cause environnementale depuis longtemps. Elle a milité contre la déforestation en Pologne, son pays natal, et cette année, elle y a également lancé la campagne #sexedpl (cumulant plus de 10 millions de vues) réclamant une meilleure éducation sexuelle dans l’enseignement. « J’adore ce qu’il fait », dit-elle de Cyrill Gutsch. « La protection des océans, c’est sa raison de vivre, il y travaille 24 h sur 24. J’aime aussi beaucoup son optimisme. Il pense que tout n’est pas complètement perdu, nous pouvons lutter contre le réchauffement climatique. » De son côté, Cyrill Gutsch a été impressionné par le degré de curiosité du mannequin. « Elle était assoiffée de connaissance. Elle n’est pas arrivée avec une opinion arrêtée et un plan déjà prêt. Elle a d’abord voulu apprendre, et une fois prête, elle est revenue nous voir pour lancer une action. »

La première matière plastique entièrement synthétique, la Bakélite, a été inventée en 1907 par Leo Baekeland, à New York. Cette matière était pensée pour durer une éternité. Aujourd’hui, son omniprésence et son imperméabilité en ont fait, avec le réchauffement climatique, les deux plus grandes menaces écologiques de notre planète. Et les faits sont accablants : 33 % du plastique n’est utilisé qu’une seule fois avant d’être jeté, selon l’organisation Plastic Pollution Coalition. D’après Greenpeace, l’Europe et l’Asie centrale rejettent dans l’océan l’équivalent de 54 sacs plastiques par semaine et par personne en particules de plastique. Ces particules, qui se détachent notamment des tissus synthétiques lors des lavages en machine, sont dispersées dans les océans. Elles sont ensuite avalées par les poissons et la faune aquatique, et elles finissent dans notre assiette, et dans notre estomac. Les études réalisées par la Plastic Pollution Coalition ont aussi montré que les produits chimiques présents dans les plastiques provoquent des cancers, des anomalies congénitales, des problèmes immunitaires, des perturbations endocriniennes et d’autres affections. Le message est clair comme de l’eau de roche : le plastique est dangereux, pour les océans comme pour nous.

Les Maldives sont constituées de plus d’un millier d’îles coralliennes — dont seulement 1 % de terres fermes qui ne dépassant jamais deux à trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Le pays est donc particulièrement exposé aux conséquences du réchauffement climatique. « Les Maldives sont un terrain d’essai pour notre stratégie, et les années qui viennent, nous espérons pouvoir l’appliquer à d’autres Petits États insulaires en développement qui connaissent les mêmes problèmes », détaille Shaahina Ali, militante et directrice de Parley aux Maldives. Elle nous parle de son travail avec beaucoup de passion, et nous explique qu’elle s’efforce de faire avancer les choses en reprenant les bases. « Agir ensemble, c’est crucial. Nous n’aurions pas autant d’impact si notre réseau n’était pas national, et si nous n’avions pas l’aide du Président, des administrations gouvernementales, des partenaires privés et des ONG. » C’est elle qui dirige les initiatives de Parley pour récupérer des tonnes et des tonnes de plastique. « On fait du nettoyage, mais on éduque aussi les enfants des Maldives. Ce seront à eux de prendre soin des océans, véritable trésor bleu dont dépend l’avenir de notre pays ».

« Les gens sont inquiets », nous affirme un peu plus tard Cyrill Gutsch, installé dans l’espace lounge de l’hôtel Park Hyatt Hadahaa, qui accueille les équipes de Parley et de PORTER pendant le shooting. « Les gens ne sont pas réceptifs aux scénarios apocalyptiques. Mais s’ils peuvent voir qu’il y a une réponse positive, créative, c’est là qu’ils voudront s’impliquer ». Il marque une pause et respire un grand coup. « L’air est enivrant, ici, vous ne trouvez pas ? Il y a tellement d’oxygène ». Ce renégat du design est habillé en noir des pieds à la tête, avec une queue de cheval et des lunettes à monture épaisse. « En matière de design, le plastique est une erreur de conception. Le label Ocean Plastic est une bonne solution, mais ce n’est que temporaire. À long terme, on doit se débarrasser du plastique. Le recyclage n’est qu’un petit pansement ».

Né à Francfort-sur-le-Main en 1971, Cyrill Gutsch et sa compagne, Lea Stepken, se sont installés à New York en 2004 pour créer une agence de communication spécialisée dans le lancement de marques. Leurs affaires se portaient bien, mais le couple n’était pas satisfait. Une rencontre avec le capitaine Paul Watson, le célèbre militant écologiste canadien, a tout changé.

« Paul Watson est une sorte de père Noël reconverti en pirate, et ce qu’il m’a appris, c’est que les océans seraient ravagés en 2048. Cette information m’a choqué, raconte Gutsch. Je lui ai demandé comment il arrivait à dédier sa vie et à mettre autant d’énergie dans un combat qui semblait perdu d’avance. Il m’a répondu en citant Churchill, en disant qu’il n’y avait que les causes perdues qui méritent qu’on les défende. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé qu’au-delà de l’objectif, c’est le chemin que l’on fait qui compte. D’un coup, consacrer ma vie à la protection des océans, une mission “impossible”, a pris tout son sens. Aujourd’hui, nous savons qu’il nous reste beaucoup moins de temps que prévu pour changer les choses. Il nous reste 10 ans, maximum. »

Les gens sont inquiets. Aujourd’hui, nous savons qu’il nous reste beaucoup moins de temps que prévu pour changer les choses. Nous avons 10 ans, maximum
Cyrill Gutsch
Parley founder

Grâce à leurs économies et à des fonds prêtés par des amis, lui et Lea Stepken ont transformé leur entreprise de communication en une organisation écologiste dont l’objectif est de combattre la pollution des océans par le plastique, une cause peu soutenue à l’époque. Avec leur expérience commerciale et marketing, ils ont élaboré une stratégie supposée être absolument efficace : plutôt que de vouloir faire pression sur les gouvernements, ils ont préféré travailler avec des créatifs, des médias et des entreprises. « Nous avons voulu faire de l’artiste le vecteur principal du changement, le meilleur catalyseur d’idées, le meilleur traducteur, et surtout, le meilleur lien à travers les différentes couches de la société ».

Julian Schnabel, cinéaste et artiste new-yorkais, fut l’un des premiers soutiens de leur organisation — il a d’ailleurs conçu son logo et accueilli le premier événement dans son « Palazzo Chupi », à New York. Parley a par la suite travaillé avec de grands noms du monde de l’art, comme Doug Aitken, Ed Ruscha et Jenny Holzer. D’autres collaborations ont aussi vu le jour, comme avec Anheuser-Busch InBev, le plus grand vendeur de bières du monde, et sa marque Corona, avec laquelle Parley a entrepris le projet 100 Islands, pour protéger les îles lointaines des déchets marins. Sur leur lancée, ils ont également créé le projet Clean Waves, pour que des designers conçoivent des produits à partir de déchets plastiques recyclés, à commencer par des lunettes de soleil. Jusqu’à maintenant, leur plus belle réussite est leur partenariat avec Adidas, qui s’est engagé à encourager l’innovation écologique et à ne plus utiliser de plastique avant 2024. Plus d’un million de paires de baskets Parley x Adidas, sous le label Ocean Plastic, ont été vendues en 2017, et d’autres millions devraient suivre cette année.

« Il n’y a rien de plus glamour que de sauver des vies et de servir une cause, affirme Cyrill Gutsch. Servir une cause, c’est le nouveau luxe ». Anja Rubik d’acquiescer : « Les marques devraient être plus responsables. Quand vous achetez quelque chose qui coûte cher, vous vous attendez au moins à ce qu’elle soit fabriquée dans des conditions les plus respectueuses de l’environnement possibles. Ce genre de transparence, c’est l’avenir. Nous sommes capables de créer des tendances, le monde de la mode peut donc être à la pointe de ce mouvement ».

Au bout de quelques jours, l’équipe du shooting mode et les membres de Parley Maldives se sont rencontrés autour d’une immense table pour un petit-déjeuner, dans le restaurant de l’hôtel Park Hyatt. L’ambiance était à la fête, entre rires et anecdotes partagées autour d’un thé glacé, d’omelettes blanches et de papayes. Esprit positif et entraide, tel est le modus operandi de Parley. « D’autres organisations proposent de prendre l’argent, et de s’occuper de résoudre le problème. Parley, de son côté, vous offre les idées, les connaissances et les outils pour que vous soyez en mesure d’aider la planète par vous-même », explique Christien Miller, réalisateur et directeur de Parley en Australie.

Après le repas, Christiaan, le coiffeur, s’occupe d’Anja Rubik. Il lui fait un chignon de guerrière qui contraste plutôt avec les blouses (des neuves : Simone Rocha, Emporio Armani et des vintage : Thierry Mugler, Hermès, YSL) qui seront portées avec un body lilas à strass, des pièces originales de Loewe et Faustine Steinmetz, et des maillots de bain Adidas by Stella McCartney, Solid & Striped et Gooseberry Intimates. Alors que nous marchons sur le ponton, un banc de poissons surgit entre les planches de bois. Soudain, une demi-douzaine de requins des récifs apparaît. « On y va ? Allez ! » s’écrit la mannequin, plongeant à l’eau, Mario Sorrenti à ses côtés, avec un appareil photo étanche. Anja Rubik remonte à la surface et replonge, sa jupe écarlate ondulant dans son sillage tel un poisson exotique.

Mais jusqu’ici, notre groupe avait surtout hâte de rencontrer des écoliers des Maldives inscrits au programme Parley Ocean School. Un projet qui nous tenait tous à cœur, et une initiative importante de Parley aux Maldives : sensibiliser les enfants des îles à la protection de l’environnement, leur apprendre à nager, et en faire de « Gardiens de l’océan » chargés de sensibiliser à leur tour leurs parents et de changer les choses dans leur société.

Guidés par Shaahina Ali, les enfants arrivent en bateau et s’installent en demi-cercle sur la plage. Ils discutent et s’amusent tandis que Mario Sorrenti prend quelques photos. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la première fois qu’ils se baignent. La plupart des Maldiviens ne savent pas nager et n’ont jamais vu la faune et la flore aquatique de leurs propres yeux. Ramón Navarro, surfeur pro chilien et directeur de Parley Chili, les emmène par groupe de cinq, naviguer dans des eaux peu profondes sur des planches de surf ou des kayaks à fond transparent.

Les marques devraient être plus responsables. Quand vous achetez quelque chose qui coûte cher, vous vous attendez au moins à ce que ce soit fabriqué dans des conditions les plus respectueuses de l’environnement possibles. Ce genre de transparence, c’est l’avenir. Nous sommes capables de créer des tendances, le monde de la mode peut donc être à la pointe de ce mouvement
Anja Rubik

Les enfants sont fiers de ce qu’ils ont vu. Anja Rubik est comblée. « J’étais en train de montrer les coraux et les poissons à l’un des élèves, qui avait un masque. Il me tenait la main, car il avait un peu peur. Et puis il s’est mis à me montrer ce qu’il voyait. Il était tellement fasciné qu’il m’a lâché la main. C’était un beau moment, j’étais émue. »

« C’est quand même fou, remarque Mario Sorrenti, de vivre sur une si petite île, entourée par les océans, et de ne jamais y être allé. C’était génial de voir les parents amener leurs enfants pour qu’ils plongent dans l’eau. C’est un peu comme s’ils plongeaient dans leur futur, dans la découverte de la nature. »

Les enfants sont aussi venus pour participer au nettoyage d’une plage. Accompagnés par l’équipe de PORTER et les membres de Parley, ils remplissent d’énormes sacs. En vingt minutes, ils sont remplis de déchets en plastiques, un chrono qui illustre bien l’ampleur de la mission. Une fois ramassés, ces déchets seront utilisés dans un des programmes de recyclage mis en place par Parley.

La nuit tombée, Anja Rubik se tient près d’un grand feu sur la plage, telle une déesse en robe écarlate, dressée vers les cieux. L’équipe est rassemblée autour d’elle, contemplative. Les mots de Mario Sorrenti résonnent encore : « J’ai passé toute ma vie à la recherche de la beauté, à travers l’art et la photographie, en essayant de toujours aller de l’avant. Ces derniers jours avec Parley ont été une révélation. Maintenant, notre énergie et notre créativité doivent inciter les gens à agir de manière positive et à changer les choses ».

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