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Exclusivité du magazine : Lupita Nyong’o sur Black Panther et sur l’acceptation de soi.

LUPITA NYONG’O ou la femme la plus courtisée de l’industrie du cinéma en ce moment. Être le sujet d’un tel désir est, néanmoins, superficiel selon l’actrice kenyane, dont le cœur appartient à des causes bien plus personnelles. CAROLYN KORMANN s’est entretenue avec elle au sujet du bouleversement du statu quo à Hollywood, de la parole des femmes, des standards de beauté pour les personnes de couleur et de pourquoi personne n’a intérêt à toucher à ses cheveux… Photos MARIO SORRENTI. Styliste CATHY KASTERINE.

Reporter

Un matin de printemps ensoleillé, je retrouve Lupita Nyong’o, actrice oscarisée et star internationale de 35 ans, assise au beau milieu d’un nid de coussins multicolores à la table d’un restaurant désert du quartier de Brooklyn. La lumière du soleil inonde le lieu via une baie vitrée. Calme et lumineuse, elle me signale discrètement sa présence. Peu après avoir commandé une infusion à l’hibiscus, elle se tourne vers moi et me demande : « Cette bague, signifie-t-elle quelque chose ? » en indiquant le pendentif accroché autour de mon cou. Elle fait alors mon travail en se saisissant immédiatement d’un détail capable d’orienter une conversation superficielle entre deux inconnues vers un espace d’échange plus intime. Mais c’est dans la nature de Lupita Nyong’o, très observatrice et irrépressiblement curieuse. Plus tard, elle me dira : « C’est mon travail aussi, de prendre les circonstances des autres très personnellement ». Si cette approche peut sembler inattendue pour une actrice de premier plan à Hollywood, c’est pourtant la ligne directrice qu’elle suit depuis le début de sa carrière et son arrivée aux États-Unis du Kenya où elle a grandi. Il n’y a rien de plus enrichissant, selon elle, que de méditer au sujet des expériences des autres. C’est là, la raison même pour laquelle elle est devenue actrice : « Il y a eu des moments où il m’a fallu me rappeler pourquoi j’aimais le métier d’actrice. Ce n’est pas pour la reconnaissance, c’est parce que faire l’expérience du monde à travers les yeux des autres me passionne. »

À l’heure où les femmes reprennent possession de leurs pouvoirs via les mouvements #MeToo et Time’s Up, Lupita Nyong’o apparaît comme le genre de personne à n’avoir jamais cédé le contrôle des siens. Depuis qu’elle a remporté l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 2014 pour son interprétation subjuguante dans 12 Years a Slave (son premier long-métrage), elle s’est frayée un chemin dans Hollywood en restant fidèle à ses principes et en se concentrant sur son travail, tout en avançant d’un pas ferme dans sa carrière et en restant au top – sujet qu’elle ne prend pas à la légère. Plus récemment, on l’a vue dans Black Panther la franchise Marvel Studios-Disney qui a remporté un grand succès, aussi bien auprès de la critique que sur le plan économique, sans parler de son effet catalytique sur l’engouement de fierté et de solidarité culturelles parmi les personnes de couleur du monde entier. En mai dernier, elle annonçait sa participation à deux films majeurs : 355, un thriller créé par Jessica Chastain emmené par quatre personnages féminins principaux, qu’elle a participé à vendre au Festival de Cannes pour plus de 20 millions de dollars et Us, le second film de Jordan Peele après son hit, Get Out. Elle est par ailleurs productrice pour une mini-série TV adaptée du roman best-seller Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, dans laquelle elle jouera notamment le rôle principal.

Mais Lupita Nyong’o inspire le respect au-delà de l’industrie audiovisuelle avec deux contrats d’égérie beauté, l’un pour Lancôme, l’autre pour Calvin Klein, depuis juillet dernier. Elle a notamment fait la couverture du Vogue américain à quatre reprises et, plus tôt cette année, le magazine Hollywood Reporter l’a désignée l’actrice africaine la plus célèbre au monde. Elle reconnaît la responsabilité qui lui incombe en tant que telle et la gère avec intégrité et détermination : « Elle a toujours apporté une perspective personnelle – et un engagement politique – exceptionnels dans son travail, raconte Evan Yionoulis, une de ses professeurs à la Yale School of Drama où elle était encore étudiante avant le tournage de 12 Years a Slave. Aujourd’hui, cela occupe une grande place dans sa façon de vivre, et de gérer, sa célébrité. »En octobre dernier, le New York Times faisait paraître une tribune libre, rédigée par Lupita, dans laquelle elle révèle que, comme bon nombre de ses pairs à Hollywood, Harvey Weinstein l’a harcelée sexuellement. Au fil d’une prose limpide et franche elle explique qu’il lui a fait des avances explicites à deux reprises. La deuxième fois, après qu’ils se soient retrouvés dans un restaurant à Tribeca, il lui aurait lancé : « Ne tournons pas autour du pot. J’ai une chambre réservée à l’étage où on peut finir le repas. » Avances qu’elle repoussa, ce à quoi il lui rétorqua de ne pas être naïve, que si elle voulait être actrice, il fallait qu’elle soit prête à faire ce genre de choses. Elle ne fléchit pas pour autant et déclina l’invitation une seconde fois : « Avec tout le respect que je vous dois, lui dit-elle. Je ne pourrais pas fermer l’œil la nuit si je faisais ce que vous me demandez de faire, donc je vais devoir refuser. » Dans l’article, elle écrit qu’à partir du moment où des femmes ont commencé à parler de ce qu’il leur avait fait, écrire cet essai s’est imposé comme quelque chose qu’elle se devait de faire. Si bien qu’elle s’en sentit malade jusqu’à l’avoir écrit.

Avant la publication, Lupita avait partagé un brouillon de l’article avec sa mère, à qui elle dit devoir une grande partie de sa réussite. Cette dernière la soutint totalement dans la publication de l’essai. « Je ne sous-estime pas à quel point elle a influencé qui je suis, admet Nyong’o, tout en jouant avec le pendentif éléphant doré qu’elle a autour du cou. (Elle adore les éléphants, natifs de son pays d’origine, et soutient les ONG qui les protègent contre la chasse et le braconnage et qui agissent en faveur de la protection de leur habitat.) Je viens d’un milieu très patriarcal, mais pas au sein de ma propre famille. Mon père écoutait ma mère. Ma mère se défendait. Et je n’ai jamais eu le sentiment qu’elle cédait à mon père. Elle avait le pouvoir de dire non, et je l’ai vue exercer ce pouvoir. »

La serveuse revient avec nos boissons, on en profite alors pour commander de quoi manger. Pour elle, ce sera des œufs verts et de l’agneau. « Je prends toujours la même chose, » glisse-t-elle. Sa voix est mélodieuse et son ton élégant, ce dernier fluctuant avec aise entre badinerie et sincérité. Elle a de grands yeux expressifs et ses cheveux sont retenus en chignon. Cette coiffure est d’ailleurs similaire à celle qu’elle portait lors d’un photo shoot pour le Grazia britannique en automne dernier. Or, à la publication du numéro, quelle n’a pas été sa surprise de découvrir que le photographe avait coupé ses cheveux crépus au montage afin qu’elle ait l’air d’avoir une coupe courte, bien lisse en couverture du magazine. Elle s’en est donc prise à Instagram où elle a publié les photos avant-après (et où elle a actuellement six millions de followers) avec la légende suivante : « Déçue que Grazia ait changé et lissé mes cheveux pour se conformer à la notion eurocentrée de ce à quoi de beaux cheveux sont censés ressembler. » suivie du hashtag #dtmh pour « don’t touch my hair » (en français, « ne touche pas à mes cheveux »). Une phrase rendue célèbre par Solange Knowles et son single du même nom dans son dernier album (une méditation féroce et profonde sur son expérience, et celle de sa famille, en tant qu’Afro-Américains). La publication a été aimée par des centaines de milliers de personnes. Grazia et le photographe responsable du montage ont depuis présenté leurs excuses.

Je viens d’un milieu très patriarcal, mais pas au sein de ma propre famille. Mon père écoutait ma mère. Ma mère se défendait. Et je n’ai jamais eu le sentiment qu’elle cédait à mon père. Elle avait le pouvoir de dire non, et je l’ai vue exercer ce pouvoir.

« Mes cheveux ont historiquement été fuis, affirme-t-elle. Par exemple, combien de fois entend-t-on dire : “Tu ne peux pas trouver de travail avec des cheveux comme ça” ? » Je demande si c’est toujours le cas. « Oh, oui, répond-t-elle. Les cheveux crépus, afro et naturels ont souvent été dépeints comme non civilisés ou sauvages. » Dans sa publication Instagram, elle a plus tard ajouté la mention suivante : « Être en couverture d’un magazine me satisfait parce que c’est une opportunité de montrer à d’autres personnes à la peau sombre et aux cheveux crépus, en particulier aux enfants, qu’elles aussi sont belles. »

C’est à ces fins que Lupita Nyong’o a, par ailleurs, écrit un livre pour enfants intitulé Sulwe qui sera publié début 2019 en anglais. « Je pensais l’écrire en un week-end. J’ai reçu une leçon d’humilité. Cela m’a pris deux ans. » Le livre raconte l’histoire d’une petite fille et de son parcours vers l’acceptation de sa peau sombre. Elle se décide à l’écrire en 2014, après avoir donné un discours lors d’une cérémonie de récompenses dédiée aux femmes noires à Hollywood. « Il [le discours] s’agissait de parler du fait d’avoir la peau noire dans un monde qui favorise les standards de beauté occidentaux traditionnels – peau claire et cheveux soyeux – et de mon parcours de fille complexée à ma propre acceptation. » Le discours s’est répandu comme une traînée de poudre : « J’ai été touchée par le fait qu’il ait résonné auprès de tant de personnes de couleur et pas seulement des Africains noirs. J’ai commencé à me rendre compte qu’il y avait une partie de la population qui avait cruellement besoin d’entendre ce message mais qui n’écouterait pas mon discours. J’ai donc voulu m’adresser aux enfants avant qu’ils n’atteignent un âge où le monde leur dit qu’ils sont sans valeur ».

Lupita Nyong’o est devenue la première femme noire à représenter Lancôme après avoir signé un contrat publicitaire avec la maison en 2014, le signe d’une évolution vers ce que l’actrice décrit, en termes diplomatiques, comme : « l’idée que la beauté ne devrait pas être dictée, mais qu’elle devrait plutôt être l’expression de la liberté d’une femme à être soi-même. » Dans sa récente campagne pour le nouveau parfum Calvin Klein, Women, Nyong’o pose aux côtés de deux icônes féminines qu’elle a choisies en raison de l’influence qu’elles ont eu sur elle : Katharine Hepburn et Eartha Kitt, à propos desquelles elle déclare : « En défiant leur époque, elles ont défini leur époque. C’est cela que je veux émuler. »

Lupita Nyong’o est née à Mexico mais elle a grandi à Nairobi, dans une grande famille très active politiquement. « On est très proches, confie-t-elle au sujet de ses 12 tantes qui ont toujours été là pour elle. Certaines d’entre elles planaient un peu, rit-elle. Mais, ensemble, elles m’ont donné de très bonnes bases quant à ce qu’est la féminité et ce qu’elle peut être. » Nyong’o a très tôt développé un sens aigu de la mode : les basiques de sa garde-robe comprenaient une jupe-salopette en velours côtelé rouge et une robe fleurie violette et rose dont elle se souvient dans les moindres détails. « Je la portais à chaque occasion qui se présentait. En fait, elle ressemblait un peu à celle que je porte aujourd’hui. »

À l’école primaire, Lupita aimait jouer à faire semblant. « Ma mère disait que j’avais la tête dans les nuages parce que je pouvais partir dans mon propre monde et passer des heures toute seule. » Alors qu’elle était scolarisée dans une école privée catholique, elle faisait des cauchemars récurrents au sujet du diablotin rouge qui figurait sur l’emballage de ses glaces préférées. Elle l’imaginait se transformer en personnage de chair et de sang, la terrorisant depuis l’affluent du fleuve Nairobi qui traversait l’enceinte de l’école. « Le diablotin rouge m’apparaissait presque toutes les nuits, se souvient-elle. Il se tapissait toujours dans l’obscurité, dans le creux des fossés qui faisaient le tour de notre maison. »

Mes cheveux ont historiquement été fuis. Par exemple, combien de fois entend-t-on dire : “Tu ne peux pas trouver de travail avec des cheveux comme ça” ? Les cheveux crépus, afro et naturels ont souvent été dépeints comme non civilisés ou sauvages.

En dehors de son monde imaginaire, de réels dangers menaçaient sa famille. Son père, Peter Anyang’ Nyong’o, enseignant en sciences politiques à l’université de Nairobi, et son frère Charles étaient de fervents opposants au président kenyan autoritaire et répressif de l’époque. En 1980, Charles aurait été assassiné en raison de son activisme politique. Personne ne fut jamais inculpé, mais Peter reçut le message. Il s’enfuit au Mexique et se fit embaucher comme professeur détaché dans une université locale. Sa famille le rejoint l’année suivante, et Lupita, le deuxième de six enfants, vit le jour dans la capitale mexicaine (son prénom est le diminutif de Guadeloupe). Bien qu’elle soit rentrée au Kenya avant son premier anniversaire, son père, lui, resta en exil jusqu’en 1987. Il poursuivit toutefois sa campagne d’opposition et fut détenu à plusieurs reprises après son retour.

Bien que ses parents se soient efforcés de la protéger de ces événements (par exemple, elle ne savait pas que quand, parfois, son père s’en allait, il était en réalité en prison), elle savait que quelque chose ne tournait pas rond. Elle se souvient avoir vu des membres de sa famille brûler des papiers appartenant à son père et de jours où sa mère la gardait à la maison au lieu de l’envoyer à l’école, les rideaux fermés, parce qu’il était manifestement trop dangereux de sortir.

Malgré tout, son enfance fut relativement heureuse, l’atmosphère à la maison, tout ce qu’il y a de plus normale. Elle s’est très tôt découvert un amour pour le théâtre : « Dans mon église, je réunissais tous les enfants et créais des pièces de théâtre pendant les vacances. Heureusement, il n’y avait pas de portables avec appareil photo à l’époque. Autrement, ces choses-là me hanteraient aujourd’hui. Parfois, il faut que jeunesse se passe. » Au collège, elle se rendit compte qu’elle apprenait mieux en mimant ce qu’elle étudiait : « On mimait le cœur, littéralement. Par exemple, ça, c’est l’artère, décrit-elle en levant le bras droit comme une danseuse pour imiter le vaisseau. Et ça, c’est la veine, en étendant son bras gauche vers le bas. Mon corps tout entier était impliqué. »

À l’âge de 16 ans, elle joua le rôle de Juliette dans une production semi-professionnelle de Roméo et Juliette dont le casting réunissait des adultes et des enfants. « Elle était très motivée et déterminée, » me raconte Saheem Ali, un ami de l’époque qui jouait le rôle de Mercutio, par téléphone. « Le metteur en scène me disait que je pouvais rentrer chez moi quand j’avais fini, mais je me rappelle être resté rien que pour regarder Lupita jouer son monologue dans la tombe. Elle était captivante à ce point. » Après la pièce, ils se sont perdus de vue mais se sont retrouvés il y a quelques années via un ami mutuel à New-York. « C’est incroyable de la voir gérer cette ascension phénoménale tout en restant la même personne qu’il y a 20 ans. »

Avant d’entrer à l’université, Lupita et sa sœur retournèrent au Mexique pour suivre un programme d’apprentissage linguistique de sept mois dans l’état de Guerrero. « Ma vision du monde est fondamentalement kenyane et je m’identifie moi-même comme telle. Mais ma mère a toujours mis un point d’honneur à me rappeler que je suis née ailleurs, donc j’ai toujours ressenti une affinité avec cet endroit et le besoin de le connaître. Je suis la seule de ma famille à être née là-bas. C’est ce qui me rendait spéciale, » ajoute-t-elle, un léger sourire aux lèvres.

Immédiatement après avoir obtenu son diplôme, en 2012, elle rejoint le casting de 12 Years a Slave. « C’était vraiment surréaliste. J’étais rongée par l’anxiété, admet-elle. J’avais l’impression d’être un véritable imposteur : “Qu’est-ce que je fais avec ces gens que j’ai regardé en grandissant ?” Tous les jours, il fallait que je me dise que cela n’a pas d’importance qui joue tel ou tel rôle, mais que c’est plutôt ce qu’ils jouent qui compte : je ne connais pas Michael Fassbender, en revanche je peux connaître Master Epps. » Tourner à la Nouvelle Orléans par une chaleur d’été caniculaire fut particulièrement éprouvant – de longues journées de concentration et de souffrance, mêlées de joie.

[Mon discours] s’agissait de parler du fait d’avoir la peau noire dans un monde qui favorise les standards de beauté occidentaux traditionnels. J’ai été touchée par le fait qu’il ait résonné auprès de tant de personnes de couleur et pas seulement des Africains noirs. J’ai donc voulu m’adresser aux enfants avant qu’ils n’atteignent un âge où le monde leur dit qu’ils sont sans valeur

Ses études supérieures, Lupita Nyong’o les a entamées dans une université du Massachusetts, principalement parce que son père était proche de quelques professeurs qui y enseignaient. Elle choisit alors de se spécialiser dans le cinéma et les études africaines. « J’avais dans l’idée d’étudier dans une des grandes universités prestigieuses des États-Unis mais c’était trop cher, reconnaît-elle. (Elle réalisera toutefois son rêve plus tard en effectuant son troisième cycle d’études à Yale.) Hampshire était une université très généreuse, mais j’appréhendais l’expérience parce qu’il fallait choisir soi-même les cours de sa spécialisation. Je n’aimais pas cela, mon éducation ayant été très structurée jusque-là, je ne comprenais pas qu’on puisse faire ce qu’on veuille. Mais ce que j’y a appris n’a pas de prix : à dépendre de moi-même, à travailler de manière autonome et à m’auto-motiver. J’y ai appris à m’auto-discipliner précisément parce que cela ne m’était pas imposé. »

Après avoir obtenu son diplôme, elle emménagea à New-York où elle trouva un travail dans une administration, tout en poursuivant sa modeste carrière d’actrice et mannequin. Elle se sentait perdue et incroyablement malheureuse. À 24 ans, elle connut même une crise de la vingtaine : « Je ne savais pas ce que je voulais faire du reste de ma vie, donc je suis rentrée chez moi pour réfléchir. Je me suis rappelée que j’avais un chez moi et des gens qui m’aimaient. » Sa mère lui donna un livre de développement personnel écrit par un ami. Puis, lors d’une excursion en famille dans la savane, entourée d’éléphants, elle s’admit à elle-même que ce qu’elle voulait c’était être actrice.

Elle retourna donc ensuite aux États-Unis pour étudier à l‘école d’art dramatique de Yale, école qui compte Meryl Streep et Frances McDormand parmi ses anciennes élèves. Pour obtenir une des 15 places très convoitées de sa promotion, il lui fallut battre près de 1000 autres candidats. Sa professeure, Yionoulis, remarque qu’elle se distinguait de par « sa grâce, son sang-froid, son véritable engagement envers l’excellence, sa générosité envers ses camarades de classe… Elle était d’une gentillesse visiblement sincère. Cela se voit quand quelqu’un a aussi bien à cœur la réussite de ses camarades que sa propre réussite. Lupita faisait partie de ces personnes-là. Elle savait créer du consensus. » Le rôle du diable, personnage principal de ses cauchemars d’enfance, qu’elle interpréta dans la pièce de Gertrude Stein Dr Faustus Lights the Lights fait partie de ses performances les plus mémorables : « Elle était puissamment complexe, séduisante, magnifique, se rappelle Yionoulis. Elle s’est littéralement approprié ce diable. »

Cependant, c’est Black Panther qui s’est avéré l’expérience de tournage la plus intense et la plus exaltante à la fois. Le casting savait qu’il tournait quelque chose de spécial. « On n’avait jamais rien vu de pareil, affirme Nyong’o. On savait que cela allait être génial. » Elle pose sa fourchette, ses yeux grands ouverts avant d’ajouter : « Mais on n’aurait jamais pu prédire à quel point la réponse serait forte et passionnée. Les gens se sont juste approprié le film, allant jusqu’à payer des tickets de cinéma à des étrangers pour qu’ils le voient ou à se déguiser pour aller au cinéma, en rendant hommage à leur culture et pas simplement à la culture africaine. Lors de la conférence de presse en Corée du Sud, les journalistes sont tous venus habillés de divers costumes nationaux représentant toute l’Asie. » La conversation qu’a permis d’ouvrir le film entre Africains et Afro-Américains, observe-t-elle, est toute aussi matière à se réjouir : « Je me suis rendue au Nigéria peu de temps après que le film soit sorti. Et un homme m’a dit : “Comment vont mes cousins Boseman et Jordan ?” (Chadwick Boseman et Michael B Jordan avec qui elle partage l’affiche du film.) Je n’avais jamais entendu ce sentiment sortir de la bouche d’un Africain. Cela a permis d’engager le dialogue qui n’a que trop tardé au sujet de nos identités partagées. »

Après avoir remporté un Oscar pour sa performance en 2014, elle est devenue terrifiée à l’idée que la supposée malédiction des Oscars ne s’abatte sur elle (quand les récompensés voient rapidement leur carrière s’effondrer). « Je me rappelle qu’un jour je participais à une réunion de briefing pour une émission humoristique et quelqu’un a proposé : “Et si on faisait un sketch sur la suite de la carrière de Lupita avec tous les types d’écueils qu’ont connu d’autres acteurs oscarisés qui sont devenus des has-been”. J’ai répliqué : “C’est mon cauchemar, il n’y a rien de drôle à ça,” rit-elle en secouant la tête. On m‘a fait tellement d’offres de rôles d’esclave, poursuit-elle en levant les yeux au ciel. Je ne voulais en jouer aucun. Je n’avais aucune envie d’être cataloguée. » Elle vécut assez difficilement la pression exercée à son encontre quant à quoi faire ensuite : « Il y a cette idée selon laquelle on doit savoir saisir une opportunité, ne pas perdre son élan. Soudainement, tout est question de ce que les gens attendent de vous. » Elle prit donc le temps de se retirer temporairement pour réfléchir et s’écouter elle-même.

« Il fallait que je me refamiliarise avec la possibilité d’échouer et que j’accepte cette possibilité. Et il fallait aussi que je me libère de l’impératif de n’avoir que des vingt sur vingt parce que ce n’était pas en cherchant à obtenir des bonnes notes que j’étais arrivée jusque-là. Quand j’ai tourné 12 Years a Slave, je ne m’attendais pas à recevoir des accolades j’ai juste joué le rôle de Patsey du mieux que je pouvais. Donc, j’ai continué à me rappeler de ce dans quoi il fallait que j’investisse mon temps : l’art du métier. Et c’est pour cette raison que j’ai joué dans Star Wars. » Il est vrai que cela n’apparaît pas nécessairement être la suite la plus évidente à son premier rôle, mais comme avec tout ce à quoi touche Nyong’o, la motivation était là. « Ce que J.J. [Abrams, le réalisateur] m’a offert, c’est l’opportunité de jouer un personnage qui ne dépende pas de mon corps, explique-t-elle. Je pouvais faire mon métier sans être vue, dit-elle en riant aux éclats. J’étais extrêmement désireuse de ça. »

Outre la franchise Star Wars, et avant d’entamer la phase préparatoire du blockbuster qui suivit (Black Panther), elle a également prêté sa voix à un personnage du Livre de la jungle et joué dans Queen of Katwe, film au sujet d’une jeune joueuse d’échecs prodige qui se déroule en Ouganda. Elle a aussi fait ses débuts à Broadway dans Eclipsed, une comédie musicale dont l’action se situe en 2003 et qui raconte l’histoire de cinq Libériennes qui ont survécu à la seconde guerre civile du pays.

On savait que Black Panther allait être génial. Mais on n’aurait jamais pu prédire à quel point la réponse serait forte et passionnée. Les gens se sont approprié le film, allant jusqu’à payer des tickets de cinéma à des étrangers pour qu’ils le voient ou à se déguiser pour aller au cinéma, en rendant hommage à leur culture…

Pendant la période d’engouement international qui a suivi la sortie du film et entre tous ses autres projets, Lupita Nyong’o a pris le temps de se retirer dans un centre de méditation Vipassana – elle qui entretient sa forme physique presque tous les jours de la semaine avec un coach privé : « J’y ai tellement appris, c’était vraiment impressionnant. Tout y est question d’apprendre cette technique de méditation particulière. Cela a été les 10 jours les plus difficiles de ma vie, mais aussi les plus reposants. » Elle continue de méditer quotidiennement et, selon elle, cela fait toute la différence. Elle dit notamment ne plus souffrir d’insomnies, or : « C’est le stress qui fait de moi une insomniaque. Et je me laisse facilement dépasser par le stress. »

Un passant attire son attention à l’extérieur du restaurant : « J’ai cru que c’était un ami qui n’est pas censé être à New-York en ce moment, » explique-t-elle. Nyong’o semble satisfaite de vivre à Brooklyn. « J’aime pouvoir appeler une amie et la retrouver pour aller au marché local. L’autre jour, je regardais le Shining (l’actrice, qui admet être facilement effrayée, regarde beaucoup de films d’horreur actuellement en préparation au tournage du film Us). Je suis arrivée au générique et je me suis dit : “Ok, j’ai besoin de compagnie, je ne peux pas être seule.” J’ai appelé mon ami et il est venu immédiatement. » Saheem Ali, l’ami de Nairobi en question, qui vit aujourd’hui à Manhattan, me dit que Nyong’o ferait la même chose pour lui : « C’est une amie extrêmement loyale. Quand on a besoin d’elle, elle est du genre à tout laisser tomber pour être là. C’est une personne de parole. »

Bien qu’elle se sente chez elle à Brooklyn, cela n’empêche pas à sa famille de lui manquer. Elle s’est donc récemment rendue au Kenya pour la première fois en deux ans afin de rendre visite à ses proches. « Tout le monde a des bébés ! Il y a toute une génération que j’ai l’impression de ne pas connaître. Il fallait que j’y aille pour passer du temps avec eux. » Elle aussi aimerait être maman un jour, mais ce n’est pas sa priorité actuelle. Je lui demande si elle est amoureuse. « C’est la première fois qu’on me demande ça, sourit-elle d’un air entendu. C’est très osé de votre part. » Elle marque une pause avant de répondre : « Ok, non. Je ne le suis pas, » mais ajoute : « Je suis folle amoureuse de ma nièce. Je vois des photos et des vidéos d’elle en Tanzanie et j’ai l’impression que mon cœur va éclater. Je l’aime à la mort et elle ne le sait même pas. »

Je lui demande l’effet que cela fait d’être aussi intensément aimée et désirée par tant de gens partout dans le monde. « Vous seriez surprise. Je pense qu’il y a une séparation entre la sphère publique et la sphère privée. Dans le monde où je suis désirée, je suis absente. La plupart du temps, je vis en dehors de ce monde. » Sa montre digitale Casio commence à beeper, l’alertant qu’il est temps de conclure l’entretien. « La seule chose qui compte, c’est le domaine privé – quand on est en présence de quelqu’un, conclut-elle. Le désir à distance n’est que matière à informations. »

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