Cover story

Pour un changement positif

Avec

Lashana Lynch

Son premier rôle a peut-être été celui de Pinocchio, mais avec son personnage dans le très attendu James Bond, Mourir peut attendre, LASHANA LYNCH a prouvé qu’elle n’était pas le pantin de 007. Au contraire, cette femme peut se servir d’une arme avec autant d’assurance qu’elle dirige sa carrière. Elle discute avec YOMI ADEGOKE de son audace, de ses croyances et de comment elle fait bouillir la marmite.

Photographe Kennedi CarterRéalisation Sean Knight
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Cette image : haut, Commission ; jupe, 16Arlington ; chaussettes, Falke ; chaussures, The Attico ; boucles d’oreilles, Roxanne Assoulin. Image d’ouverture : haut, ALC ; veste et jupe de Wales Bonner ; boucles d’oreilles, Completedworks

Lashana Lynch a un don pour raconter les histoires, à grand renfort de mimiques et de répliques bien trouvées. Elle déborde d’énergie quand elle me parle, en détail, du tout premier rôle de sa carrière : Pinocchio, qu’elle a joué petite à l’école. « Pinocchio était divin », dit-elle en riant. « Je l’ai incarné comme un vrai pantin. Je frimais un peu parce que c’était un rôle de garçon et que je m’en fichais. Cela a posé les bases de cette conviction que j’ai : les filles noires peuvent tout faire. »

Depuis Pinocchio, réinventer les rôles généralement associés aux hommes ou aux personnes blanches est un thème récurrent de sa carrière : elle a joué Tybalt dans Roméo et Juliette en 2013 au National Theatre, et quelques années plus tard elle a joué une autre Capulet, Rosaline, dans la série Still Star-Crossed de Shonda Rhimes. En 2015, elle interprète le rôle-titre dans Educating Rita, la production qui a rendu Julie Walters célèbre dans les années 80. L’année passée, elle a repris en grande pompe le rôle du fameux agent 007 dans la franchise James Bond. Bien que son personnage, Nomi, ne reprenne pas officiellement le rôle de Daniel Craig, elle prend sa suite après que celui-ci décide de prendre sa retraite. Une première… Le titre n’avait jamais été porté par une personne de couleur avant.

Grâce au soutien de l’une de ses professeures noires (avec qui elle a récemment repris contact) et de sa famille Jamaïcaine « traditionnelle, franche et qui a les pieds sur Terre », elle se souvient avoir grandi en se disant qu’elle pouvait accomplir tout ce qu’elle entreprenait. « L’école primaire m’a appris que les Noirs pouvaient accomplir tout ce qu’ils voulaient. Je ne comprenais pas pourquoi certaines personnes qui avaient certains physiques ne pouvaient pas faire certaines choses. »

Haut, ALC ; veste, Wales Bonner ; boucles d’oreilles, Completedworks

Elle est née à Londres, dans le quartier d’Hammersmith, en 1987, et a commencé à jouer la comédie très jeune. Elle s’est tout d’abord intéressée à la musique avant de s’inscrire à l’école de théâtre ArtsEd de Chiswick, où elle a reçu la bourse Laurence Olivier, décernée aux meilleurs étudiants à la fin de leur deuxième année.

« J’ai surtout grandi avec ma grand-mère. Si je lui avais dit “Je veux être un castor”, elle m’aurait répondu “D’accord, mais soit le meilleur castor du monde” », raconte-t-elle en riant. « Ma mère me racontait l’autre jour comment ma grand-mère disait qu’il fallait garder un œil sur moi, car j’allais faire bouillir la marmite. “Et pas une petite marmite !” Donc voilà, maintenant je fais bouillir la marmite. »

« Ma grand-mère disait qu’il fallait garder un œil sur moi, car j’allais faire bouillir la marmite. “Et pas une petite marmite !” »

Haut, Nanushka ; boucles d’oreilles, Isabel Marant
Haut, Nanushka ; jupe, A.W.A.K.E. Mode ; boucles d’oreilles, Isabel Marant

Sa confiance en elle si jeune est surprenante ; bien qu’elle ne soit jamais arrogante et toujours reconnaissante des opportunités, elle considère qu’elles lui étaient dues. « L’impertinence et la confiance en moi que j’ai aujourd’hui, imaginez ça chez une petite fille ! », dit-elle. « Je me souviens avoir toujours eu cette certitude, sans savoir exactement d’où elle venait, simplement qu’elle était ancestrale. »

En effet, ses rôles les plus importants, Nomi dans Mourir peut attendre et Maria Rambeau, une pilote de l’US Air Force dans Captain Marvel, n’ont pas été une surprise pour elle. En 2016, quand elle a joué dans Still Star-Crossed, elle avait déjà un œil sur l’une des plus grandes franchises au monde : l’univers de Marvel.

Brassière, cardigan et short d’Alanui

Moins d’un an après la diffusion de Still Star-Crossed, elle a reçu un coup de fil pour le rôle de Maria, meilleure amie de Carol Danvers (Brie Larson). Captain Marvel est le film de super-héros avec une femme dans le rôle principal qui a rapporté la plus grosse recette, et le second meilleur lancement pour un film du genre. Lashana parle souvent de manifestation, mais souligne aussi que, bien que son succès semble avoir été soudain, il a fallu plus de 10 ans pour que le projet Marvel aboutisse, et qu’elle a connu de nombreux hauts et bas. Elle a en effet auditionné pour Venom, Black Panther et l’un des films Avengers, sans succès.

C’est quand elle est a joué dans Ear for Eye, la pièce acclamée de Debbie Tucker Green au Royal Court Theatre (elle jouera d’ailleurs dans son adaptation au cinéma), qu’elle a été repérée par la productrice Barbara Broccoli pour le film Mourir peut attendre réalisé par Cary Joji Fukunaga. Elle se souvient de la première réunion, une rencontre d’une cinquantaine de minutes avec Barbara et Cary au sujet d’un potentiel personnage, pendant laquelle elle a joué quelques scènes.

« L’impertinence et la CONFIANCE en moi que j’ai aujourd’hui, IMAGINEZ ça chez une petite FILLE ! »

Chemise, Victoria Victoria Beckham ; jupe et bottes de Stella McCartney ; ceinture, Loewe ; boucles d’oreilles, Laura Lombardi

« J’ai fait une scène pour M, et je me suis dit, “Oh mon dieu, ils veulent choisir une M noire ?” J’étais si contente », dit-elle. Elle était prête à rejouer les scènes du casting plusieurs fois, comme c’est le cas d’habitude, mais Cary lui a dit qu’ils en avaient vu assez. « Je me suis dit, “Je ne sais pas si c’est bon signe, mais je vais considérer que le rôle est pour moi.” J’ai cette forte intuition quand je vais obtenir un rôle, la même qui m’indique qu’un autre ne sera pas pour moi. » Elle n’a confié qu’à sa mère et à une amie proche, qui l’a aidée à se filmer, qu’elle auditionnait pour la célèbre franchise. Et c’est uniquement avec elles qu’elle a partagé la nouvelle de son succès. « Je n’avais jamais vu ma mère crier aussi fort. Elle a hurlé “Doux Jésus” à pleins poumons, et “Je le savais !” et je lui ai répondu que moi aussi. »

Chemise et pantalon signés The Attico ; boucles d’oreilles, Laura Lombardi ; bague, Dries Van Noten

Le reste du monde a appris la nouvelle sur les réseaux sociaux (« parce que je suis douée pour garder les secrets »). Travailler avec Phoebe Waller-Bridge, invitée à participer à l’écriture du scénario, lui a particulièrement plu, et elle a été impressionnée par la manière dont la scénariste a dépeint Nomi. « Elle lui a apporté une légèreté qui a vraiment résonné avec l’énergie féminine noire. Je ne sais pas comment elle a fait. Quand j’ai lu les répliques, elles reflétaient tout à fait la manière dont j’imaginais l’éducation de Nomi. »

L’annonce d’un nouveau James Bond est souvent un événement, mais cette fois-ci a été particulièrement touchante car une femme noire est au centre de l’attention. Avant de s’envoler pour les États-Unis, où de nombreux acteurs noirs se rendent pour rencontrer le succès, Lashana a d’abord tenté sa chance au Royaume-Uni. Elle a décroché son premier rôle dans une série policière, The Bill, en 2007, et dans un film, Fast Girls, en 2012.

« Une fois qu’un acteur noir part en Amérique, les britanniques le voient comme un Américain. Ils ne pensent pas aux raisons qui l’ont poussé à partir en premier lieu. Le Royaume-Uni est trop occupé à regarder ce que font les autres à droite et à gauche, il ne se concentre pas sur sa propre histoire, qui a pourtant bien besoin qu’on la regarde en face. »

L’annonce de son rôle historique dans James Bond a entraîné beaucoup de débats. Certains ont clamé que c’était du politiquement correct poussé à l’extrême, d’autres ont annoncé vouloir boycotter le film, elle a même reçu des menaces. C’est un schéma que l’on retrouve à chaque fois qu’une femme noire a rempli un espace qui certains considèrent ne leur appartient pas, comme par exemple après l’annonce de Jo Martin reprenant le rôle du fameux Docteur de Dr Who, ou quand Jodie Turner-Smith a incarné Anne Boleyn.

« [Phoebe Waller-Bridge] lui a apporté une LÉGÈRETÉ qui a vraiment RÉSONNÉ avec l’ÉNERGIE féminine noire. Je ne sais pas comment elle a fait. »

Chemise et pantalon signés The Attico ; boucles d’oreilles, Laura Lombardi
Robe, Wales Bonner ; ceinture, Isabel Marant ; boucles d’oreilles, Sophie Buhai

En plus de la bataille concernant l’habilité des acteurs noirs à incarner des personnages traditionnellement blancs, on observe aussi un débat continu en ce qui concerne les rôles de personnages noirs que les acteurs britanniques noirs peuvent incarner. « Un mot qui est très rarement utilisé à propos des acteurs noirs britanniques qui travaillent sur des projets américains, c’est “collaboration”. Je n’ai pas été témoin de quiconque marchant sur les plates-bandes d’autrui. »

« Daniel [Kaluuya] a fait du bon travail sur chacun de ses projets. Letitia [Wright], du bon travail. Cynthia [Erivo], du bon travail. David Oyelowo, du bon travail. Si c’est l’effet que l’on provoque quand on fait bien son travail, je détesterais voir les réactions si quelqu’un devait échouer. »

Lashana prépare en ce moment son prochain rôle, une autre icône de la culture pop. L’année prochaine, elle jouera Miss Honey dans l’adaptation de la comédie musicale Matilda, d’après la pièce de Marcus Warchus de 2010. Mais avant cela, elle se concentre sur le lancement du film qui a changé sa vie.

Robe, Staud ; pull (porté à l’épaule), Alanui ; boucles d’oreilles, Rosantica

« Je ne sais pas ce que c’est que de ne pas être anonyme. Mais il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, c’est d’embrasser la célébrité et de la vivre pleinement. »

« Je pense que tout cela est arrivé au bon moment. Marvel est arrivé exactement quand il devait arriver, et m’a préparée physiquement, mentalement et même spirituellement pour James Bond. Je pense que j’ai été préparée pour ce moment. »

« Je ne sais pas ce que c’est que de ne pas être anonyme. Mais il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, c’est d’embrasser la célébrité et de la vivre pleinement. Et c’est ce que je m’apprête à faire. »

Mourir peut attendre est à présent en salles.