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Exclusivité du magazine : Natalie Portman sur la lutte pour l’égalité

Nous connaissons NATALIE PORTMAN, l’actrice qui nous éblouit par ses rôles intenses sur grand écran, moins la femme de la « vraie vie », élégante et diplômée de Harvard. CHRISTINE LENNON a rencontré la superstar et activiste du mouvement Time’s Up, qui parle avec passion de politique, maternité et épanouissement personnel.

Photographe Cass Bird at Art + CommerceRédactrice/Rédacteur mode Veronique Didry
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Il y a cette scène dans son nouveau long-métrage, Annihilation, un film de science-fiction sur la mission d’une femme partie sauver son mari dans une zone frappée par les catastrophes environnementales, où elle vide le chargeur d’une arme automatique d’une manière si incroyablement convaincante (sa joue gauche tremblait à chaque fois qu’une balle jaillissait du canon) que j'ai dû me couvrir les yeux pendant une grande partie de la scène. « Ah oui ! », s'amuse-t-elle. « J’étais enceinte pendant le tournage, alors mon instinct me disait de me pencher en arrière. Mais mon agent de sécurité, qui est israélien, m'a dit “Non, non, non, vous devez avancer votre jambe et déplacer votre poids vers l’avant’’. C'était génial »

La douce et délicate Natalie Portman n’est à l’évidence pas si fragile à l’intérieur. « Et voici la liste des nominés, uniquement masculins » a-t-elle lancé avec malice aux Golden Globes lors de l'annonce de la catégorie Meilleur Réalisateur. S’il existe un fil conducteur entre la plupart des personnages qu’elle a interprétés en 24 ans de carrière, c'est qu’ils ont tous un côté sombre, en particulier le rôle explosif de ses débuts en tant qu’enfant assassin dans le film Léon de Luc Besson, alors qu’elle n’était âgée que de 12 ans. À la fin de ses études secondaires, elle était déjà connue pour sa beauté et sa précocité, et venait de jouer la reine Padmé Amidala dans la célèbre « prélogie » Star Wars. Mais elle a ensuite délaissé Hollywood pour Harvard, déclarant effrontément « Peu importe si cela ruine ma carrière, je préfère être intelligente plutôt que star de cinéma ».

Lorsqu’elle a fait son retour à Hollywood, les sollicitations n’ont pas manqué : elle a ainsi été à l’affiche du film Garden State de Zach Braff, puis de Closer, entre adultes consentants réalisé par Mike Nichols, film pour lequel elle a décroché un Golden Globe et sa première nomination aux Oscars. Mais c’est avec son rôle de danseuse étoile psychotique dans le thriller Black Swan de Darren Aronofsky en 2010 qu’elle a rencontré un succès phénoménal et remporté un Golden Globe, un Bafta et un Oscar. Et c’est sans compter le pouvoir qu'elle exerce sur l’industrie de la mode puisqu’elle a fait la une d’innombrables magazines au fil des années et a été choisie en 2010 pour être l’égérie de Christian Dior. Mais pourtant, que savons-nous réellement d’elle ?

Née Neta-Lee Hershlag en 1981 à Jérusalem, elle est l’enfant unique d’un gynécologue et spécialiste de l’infertilité israélien et d’une américaine, qui est aujourd’hui son agent. Sa famille s’est ensuite installée aux États-Unis lorsqu’elle avait 3 ans et la jeune Natalie a grandi à Long Island, dans l’État de New York, dans la petite ville de Syosset. Elle exprime dès l’âge de 10 ans un intérêt sérieux pour le métier de comédienne, mais elle ne fait pas partie de ces enfants acteurs qui regrettent les choix qu’ils ont faits plus jeunes. Et ce que l’on sait de sa vie loin des écrans est assez vague. Elle a organisé en 2002 un réveillon du Nouvel An avec Britney Spears à l’hôtel Hudson de New York ; sa meilleure amie est Jeanine Lobell, la créatrice de Stila Cosmetics ; elle est proche de Kate et Laura Mulleavy, les sœurs qui ont fondé la maison Rodarte ; et elle est apparue dans un clip vidéo de Paul McCartney. Et c’est à peu près là que s’arrête son « côté star ». Jamais une actrice autant couronnée de succès n’était à ce point parvenue à protéger sa vie privée.

Natalie Portman a toujours été une énigme, ou, comme l’a qualifiée Tom Hanks, « un mystère insondable », une personne qui aime surprendre, en passant d’un rôle profond et stimulant à un autre encore très différent. Plus récemment, son interprétation d’une Jackie Kennedy endeuillée (avec cet accent glaçant) dans le film Jackie lui a valu une nouvelle série de nominations. « Je ne sais pas » répond-elle avec un haussement d’épaules lorsque je lui demande, autour d’un petit déjeuner dans un café près de sa maison de Silver Lake, pourquoi elle se sent attirée par des rôles aussi exigeants, voire souvent sombres. « Peut-être que c’est pour évacuer mes émotions au travail, et ensuite vivre dans la vraie vie des choses plus simples, plus joyeuses, moins compliquées ».

Si ses rôles à l’écran sont intenses, dans la vie, Natalie Portman est prévenante, amicale, voire un peu réservée. Vêtue d’une simple marinière et d'un jean Levi’s, sans bijoux et les cheveux tirés en arrière, ce n’est pas la Natalie Portman hyper glamour que l’on voit dans les publicités Miss Dior ou l’actrice élégante en robe Rodarte des tapis rouges. Aujourd'hui, elle pourrait presque passer pour une mère ordinaire légèrement stressée (elle a deux enfants, un fils de 6 ans, Aleph, et une fille de 11 mois, Amalia), qui avale un burrito végétalien pour démarrer une journée bien remplie. « Deux enfants et le travail. C’est merveilleux, mais c’est parfois aussi beaucoup ».

Elle ne se donne pas de grands airs, ce que confirme sa partenaire dans le film Annihilation, Jennifer Jason Leigh. « Natalie est si ouverte, si incroyablement intelligente, et c’est une telle force », confie cette dernière. « Mais elle n’a jamais un comportement de star, ne fait pas de manières, ce qui peut sembler surprenant lorsque l’on pense à sa beauté délicate ». Jennifer Jason Leigh se souvient qu’il n’y avait ni caravane ni vestiaire sur le lieu de tournage et que Natalie Portman et elle devaient partager une tente au milieu des bois, à plus d’un kilomètre de la salle de bain la plus proche aux Pinewood Studios, près de Londres. « On s’asseyait sur des chaises pliantes devant un poêle à gaz, et on marchait dans l’eau dans un froid glacial. C’est quelqu’un qui a l’esprit d’équipe, qui ne se met en avant que lorsque c’est nécessaire, et qui se fait la voix de tous ».

Peut-être que je choisis des rôles sombres pour évacuer mes émotions au travail, et ensuite vivre dans la vraie vie des choses plus simples, plus joyeuses

Les personnes s’affairant dans le petit café s’emploient raisonnablement à faire semblant de ne pas la remarquer, ou peut-être ne la remarquent-elles vraiment pas. Elle-même mime approximativement une personne normale, en faisant la queue pour passer sa commande, mais en évitant subtilement le contact visuel d'une manière que seule quelqu’un qui a été connu pendant presque toute sa vie peut réellement maîtriser. Elle est arrivée avec 10 minutes de retard à notre rendez-vous car elle s’était d’abord trompée de restaurant (et devait ensuite se rendre avec sa propre voiture à Calabasas, à une heure vers le Nord, pour un autre entretien avec la presse) rejetant la faute sur son « mommy brain », son planning de travail surchargé et le fait qu’elle s’était réveillée à l’aube. « Je me sens à la fois pleine d’énergie et un peu folle. Je n’arrête pas d’envoyer des e-mails aux mauvaises personnes. Je fais beaucoup de maladresses, mais jusqu’à présent cela n'a pas encore été trop gênant car cela ne concernait rien de réellement d’important ».

Le fait de devoir jongler entre sa carrière et son rôle de mère a amené Natalie Portman à porter un regard nouveau sur sa propre mère. « Quand j’étais enfant, je me demandais “Mais que fait-elle donc de ses journées ?” Et maintenant, c'est plutôt “Mais comment arrivait-elle à tout faire en une journée ?” Elle faisait tout sans aucune aide, tout en entretenant sa relation avec mon père, en voyageant et en s’occupant de lui et de moi. Ce qu’elle faisait était un miracle ».

L’homme qui partage la vie de l’actrice est le séduisant danseur et chorégraphe français Benjamin Millepied, qu’elle a rencontré sur le tournage de Black Swan. Le couple, qui s’est marié en 2012, est retourné vivre à Los Angeles en 2016 après deux années passées à Paris, où Millepied était directeur de l’Opéra de Paris. « Mon mari a vécu plus longtemps ici qu’en France. Lorsque nous parlons de politique, je n’ai donc pas l’impression qu’il a un point de vue d’étranger. » Elle a récemment mentionné dans l’émission Jimmy Kimmel Live! que « tout le monde sourit, ici, c’est tellement agréable », mais qu’elle avait trouvé que les personnes qu’elle avait rencontrées en France étaient « très cool ». Ils fréquentent un groupe qui comprend des producteurs, des réalisateurs, des scénaristes et des artistes. « Ces derniers temps, je passe plus de temps avec d’autres actrices », raconte-t-elle. « Ce sont des relations sincères, ce n’est pas que nous nous sentons obligées de passer du temps ensemble parce que nous sommes actrices. J’ai l’impression que les choses ont changé. C’est aussi ce que j’ai ressenti pendant le tournage d’Annihilation, en travaillant avec une équipe composée de femmes fortes. Nous avons l’habitude d’être “la fille” pendant les tournages. C’était un vrai plaisir d’être avec un groupe de femmes. »

Impossible de discuter avec une personne aussi perspicace et intelligente que Natalie Portman, qui a toujours parlé avec ferveur de ses opinions politiques et qui aborde avec autant d’éloquence le Moyen-Orient que les questions environnementales (« Beaucoup de personnes se moquent encore du véganisme, comme si c’était de la bien-pensance, mais je ne suis pas naïve : il y a un vrai problème avec l’élevage des animaux dans ce pays ») sans lui demander son avis au sujet des inégalités de genre et les nombreuses accusations de harcèlement sexuel qui pleuvent sur Hollywood. « Tout d’abord, je pense qu’il est très important de reconnaître le rôle de toutes les personnes qui ont choisi de parler », dit-elle. « Ce sont elles qui ont créé cette évolution culturelle. De nombreuses personnes dénonçaient cette situation, et particulièrement des femmes racisées, il est donc essentiel que le secteur les écoute. » Mais elle refuse de s’étendre davantage sur le sujet, surtout concernant ses expériences personnelles, même si elle admet avoir dû, elle aussi, faire face à la discrimination et au harcèlement. « Je suis passée de penser “Je n’ai rien à raconter’’ à me dire “Ah si, attends, j’en des tas, des histoires’’ ». Et je pense que de nombreuses personnes se sont faites de telles réflexions, sur des choses qui nous semblaient être évidentes ou faire partie du processus. »

Elle raconte comment, au début de sa carrière, un producteur l'a invitée à l’accompagner dans son avion privé. « Il n’y avait que nous deux et un seul lit avait été préparé. Il ne s’est rien passé, je n’ai pas été agressée. J’ai clairement dit “Cette situation me met mal à l’aise” et cela a été respecté. Mais ce n’était vraiment pas OK, vous savez ? C’était totalement inacceptable et manipulateur. J’ai eu peur. »

Natalie Portman dit être reconnaissante de vivre à une époque qui encourage les personnes à faire changer les choses. « J’ai 36 ans et je me rends compte que ce pays est encore complètement raciste, rempli de préjugés, comment ai-je pu être complice de ce système ? C’est important de se poser ces questions. C’est difficile, mais c’est aussi encourageant de voir autant de gens se réveiller et se demander comment ils peuvent évoluer et provoquer des changements à grande échelle. »

Elle voit dans la culture du harcèlement sexuel un problème systémique causé par un grand déséquilibre en termes de pouvoir entre les genres, inhérent à tous les secteurs. Nous nous demandons pourquoi il y a moins de femmes qui occupent des postes à responsabilités au travail et l’idée la plus répandue est que nous choisissons de devenir mères, qu’il nous est alors difficile de trouver un bon équilibre entre travail et vie privée et que nous nous retirons. « Mais ce qui est intéressant avec cette discussion sur le harcèlement, c'est que peut-être que cela n'a rien à voir avec le fait d’être mère. Peut-être que les femmes quittent le monde du travail parce qu'il s’agit pour elles d’un environnement hostile, dont elles choisissent de s’éloigner. On a démontré qu’une fois qu’on change le rapport de pouvoir et qu’on parvient à une répartition à parts égales entre hommes et femmes, on observe moins de problèmes. »

Lorsqu’on l’entend parler des questions d’actualité et de genre, on aimerait qu’elle dispose d’un plus grand espace dans lequel exprimer ses idées. Il existe sûrement un public sur Instagram, ou des auditeurs enthousiastes de podcasts, qui aimeraient en entendre davantage. Mais elle a pour le moment résisté à la tendance et n’était pas présente sur les réseaux sociaux jusqu’à ce que la campagne Time’s Up ne la pousse à s’inscrire sur Instagram. Elle reconnaît le rôle qu’ils peuvent jouer pour constituer des communautés de femmes dans lesquelles des expériences peuvent être partagées. « Nous vivons une période intéressante, où la technologie et l’histoire entrent en collision », dit-elle. « Mais cela a aussi des inconvénients : l’addiction à la technologie et l’impact qu’elle peut avoir sur les personnes, les informations qui deviennent jetables. »

Comme pour la plupart des choses, Natalie Portman veut réfléchir à ce qu’offrent les réseaux sociaux et définir quelle part de sa vie elle est prête à partager. Elle est habile : elle est tellement aimable qu’elle donne l’impression de dévoiler beaucoup de choses ; c'est ce qu’elle fait, mais seulement sur des sujets d’ordre général, rarement liés à elle personnellement, ce qui explique sa réticence. « Je ne suis pas fermée à l’idée de les utiliser à l’avenir, je n’ai simplement pas encore décidé comment je souhaite les utiliser », explique-t-elle. « J’ai déjà du mal à fixer des limites avec mon téléphone, simplement pour l’envoi de messages et la consultation d'e-mails. Faut-il que j’ajoute d’autres moyens de communication qui m’enlèveraient du temps à passer en tête à tête avec les personnes que j’aime ? J’ai besoin d'y réfléchir. »

Je passe plus de temps avec d’autres actrices. J’ai l’impression que les choses ont changé. C’était un vrai plaisir d’être avec un groupe de femmes

« Je pense vraiment que les esprits créatifs savent très jeunes ce qu’ils veulent faire », dit-elle, en soulignant que son mari était un enfant tout aussi déterminé et ambitieux. « Il savait qu’il voulait devenir danseur et il est entré au conservatoire à 11 ans. L’école peut parfois distraire de cela. Elle peut vous faire croire que vous devriez faire des maths, alors que vous devriez vous concentrer sur l’art. Mais je ne dis pas qu’il ne faut pas apprendre les maths ! », rit-elle.

Le fonctionnement du cerveau, l’intellect et la façon dont nous le nourrissons, c’est une sorte de hobby pour elle. Lorsqu’elle a rencontré pour la première fois Alex Garland, le scénariste et réalisateur dystopique d’Annihilation, dans lequel elle joue une biologiste, elle raconte qu'elle s’est surtout intéressée à son cerveau. « Il a un point de vue tellement fascinant sur plein de choses et pose des questions très intéressantes sur la société », raconte-t-elle. « Ce film a une approche psychologique, il nous fait voyager au sein de notre propre psyché, analyser les mutations de notre comportement. » Il lui a dit que si nous voyons les choses que nous voyons au quotidien pour la première fois, nous les trouverions très étranges. « Il a dit que nous nous habituons aux choses, aux arbres, aux étoiles et aux paons. Pouvez-vous imaginer voir un paon pour la première fois ? Les mutations peuvent être de l’ordre du cancer, mais elles peuvent aussi être belles. Si vous voyez des cellules cancéreuses sur une lame de microscope, on pourrait croire à de l’art, mais la beauté, le danger et l’art, tout est mélangé. »

Si cette histoire peut nous en apprendre un peu plus sur le fonctionnement interne de son cerveau, alors l’échange d’e-mails, publié par le magazine T du New York Times, entre elle et l'écrivain Jonathan Safran Foer, son ami depuis 15 ans et l'auteur d’Extrêmement fort et incroyablement près et Me voici, nous en apprend davantage sur son fonctionnement émotionnel : « Un de mes ex m'appelait Moscou, parce qu’il disait que je regardais toujours avec tristesse par la fenêtre, comme dans un roman russe ou une pièce de Tchekhov. Il y avait bien entendu des raisons de le quitter, mais il avait raison sur ce point : j’ai cette tendance à me laisser aller à la mélancolie, à la nostalgie, au c’est-mieux-ailleurs. »

Où se trouve cet « ailleurs » pour elle aujourd’hui, ce n’est pas très clair, mais Natalie Portman semble être heureuse de sa vie. Elle se prépare pour un nouveau film dans lequel elle joue une star de la pop de Staten Island. Comme toujours, elle se plonge dans son rôle et passe du temps à New York pour travailler avec un répétiteur linguistique, enregistrer des chansons et apprendre les chorégraphies. « Je ne suis pas chanteuse, mais elle n’est pas censée être très douée, donc il n’y a pas trop de pression. Ce n’est pas le Fantôme de l'Opéra. » Et sur ces mots, la star, qui souffre ostensiblement de son « mommy brain », reprend la route, sans la moindre retenue, et se rend à son prochain rendez-vous.

Découvrez l’article dans son intégralité dans le numéro Spring 2018 de PORTER.

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