La force est en elle

Moins de 24 heures avant de rencontrer Nathalie Emmanuel, je l’ai vue mourir. Et pas moins de 12 millions de personnes ont assisté à son exécution brutale, car son personnage a été décapité de façon spectaculaire dans la scène finale de l’une des séries télévisées les plus regardées au monde. Si vous faites encore partie des rares personnes à ne pas l’avoir vue, regardez les 72 épisodes précédents, puis revenez vers nous afin de pleurer ensemble la disparition de Missandei de Naath, traductrice loyale de Daenerys Targaryen. Même Nathalie Emmanuel, qui a tourné cette scène il y a un an de cela, est toujours en deuil d’une certaine façon.

« Aujourd’hui je ne ressens plus la même chose », admet-elle lorsque nous nous installons sur le canapé en cuir d’un hôtel hipster dans le quartier du Lower East Side de New York. « J’ai l’impression soudaine qu’elle n’existe plus, que ce personnage appartient au passé, mon ressenti a changé. » Elle observe une pause et me regarde d’un air interrogatif. « Est-ce que ce que je raconte a du sens ? » Tout à fait. L’impact de la mort choquante de son personnage résonne toujours en nous. « Les réactions sur les réseaux sociaux m’ont submergée », dit-elle. « Et ça prouve l’attachement du public à ce personnage. On lisait dans de nombreux commentaires “Tu méritais mieux”, mais il s’agit de Game of Thrones : il n’y a pas de justice, et peu importe à quel point vous êtes bonne, gentille ou douce, ils [les personnages machiavéliques et assoiffés de pouvoir de la série] auront votre peau si cela peut servir leurs intérêts. »

C’est à Westcliff-on-Sea, au Royaume-Uni, qu’elle a passé son enfance. Sa sœur aînée et elle ont été principalement élevées par leur mère, Debs, qui travaillait avec des adultes en difficulté. Debs a inscrit ses deux filles à un cours de danse lorsque Nathalie avait trois ans afin d’aider cette dernière à se détacher d’elle (« J’étais toujours dans les jupes de ma mère, traumatisée à chaque fois qu’elle me déposait quelque part, même chez des proches », raconte-t-elle en riant). Elles ont commencé à répondre à des annonces pour des auditions pour des productions locales, et à l’âge de dix ans, avec très peu d’expérience, Nathalie a décroché le rôle de Nala dans Le Roi Lion. « Je me souviens avoir assisté à la soirée d’ouverture : les Spice Girls étaient là, Shirley Bassey était là, Claudia Schiffer était là… C’était incroyable. Mais ma mère était aussi très stricte : chaque projet auquel j’ai participé devait s’articuler autour de mon emploi du temps scolaire. Il existe tant de clichés d’enfants acteurs qui ne sont pas devenus des adultes à part entière », déplore-t-elle en levant un sourcil.

Après avoir obtenu son GCSE [plus ou moins l’équivalent du brevet outre-Manche], elle a été libre de suivre son ambition, et a rapidement obtenu le rôle de Sasha dans le soap opera Hollyoaks. Et pendant quatre ans, on lui a dédié les aventures les plus croustillantes : Sasha est devenue accro à l’héroïne et s’est prostituée. Malheureusement, lorsque Nathalie Emmanuel a quitté la série, elle a eu du mal à trouver du travail. « Il y a tant de clichés à propos des soaps opera et de leurs acteurs : sont-ils de vrais acteurs ? Lorsque j’ai quitté Hollyoaks la première fois ça a été très difficile, je n’avais aucune visibilité. » Elle a fini par travailler dans la boutique de vêtements Hollister. « J’étais vraiment une actrice au chômage », dit-elle en esquissant un sourire en coin. « Et c’était horrible. »

Et puis elle a repéré un casting pour Game of Thrones, dont elle était déjà fan. « L’annonce disait “18-25, comédienne non-blanche ou de couleur.” Et je me suis dit “Hé, c’est moi, je tente ma chance.” » Ce rôle a marqué un tournant dans sa carrière. Avant même que ses épisodes de Game of Thrones ne soient diffusés, elle a obtenu un rôle de hackeuse informatique dans Furious 7, qui fait partie de la franchise Fast and Furious, puis un rôle dans Le Labyrinthe : La terre brûlée. « Quand je songe à ce que cette série a apporté à ma vie et à ma carrière, je n’en reviens pas », se réjouit-elle.