Sous le feu des projecteurs
Avec
Amandla Stenberg

Depuis son rôle dans Hunger Games, AMANDLA STENBERG a vu sa carrière prendre son envol. L’actrice discute avec MICHA FRAZER-CARROLL de sa façon de gérer ses angoisses, des causes qui lui tiennent à cœur et des changements provoqués par la pandémie. Fan de rap, envisagerait-elle une carrière dans la musique ?
Dès mon premier échange avec Amandla Stenberg, j’ai l’impression de discuter avec une amie de longue date… J’en oublie presque qu’elle est l’une des jeunes voix fortes d’Hollywood. Notre conversation sur Zoom aborde aussi bien la critique de la génération Z par les médias que l’apparition de hiérarchies élitistes dans les soirées gay sur Zoom. Elle rit également beaucoup.
Cependant, elle prend un air sérieux en repensant à l’année 2020 et les difficultés qu’elle a entraînées. Cela fait maintenant deux ans qu’Amandla partage son temps entre New York, Los Angeles, Paris et Copenhague, trainant sa valise d’Airbnb en Airbnb… Avec l’arrivée de la pandémie, ce sentiment d’instabilité n’a fait que grandir. « J’oublie parfois les circonstances qui m’entourent : je me laisse gagner par le stress, l’angoisse, la paranoïa et la peur, avant de prendre du recul. »
Bien évidemment, tout n’est pas négatif. Loin d’elle l’idée de dramatiser son ressenti de la pandémie. Surtout que l’actrice, dont le père est danois, a passé trois mois à la campagne au Danemark. « J’ai apprécié la façon dont la vie a ralenti. J’ai ainsi pu réfléchir à la manière dont j’aborde le quotidien, ainsi qu’à mes priorités. »
La jeune femme de 22 ans, non-binaire et qui utilise les pronoms il/elle, a un emploi du temps chargé. D’abord actrice, Amandla a fait ses débuts en 2012 en interprétant Rue dans Hunger Games. Elle fait sa réapparition sur la toile en 2015 suite à un projet scolaire sur l’appropriation culturelle qui devient viral. Dans sa vidéo, intitulée Don’t Cash Crop My Cornrows, l’adolescente pose la question : « Comment seraient les États-Unis si nous aimions les Noirs autant que leur culture ? ».
Mais depuis, Amandla insiste sur le fait qu’elle ne se considère pas comme une activiste. « Bien que l’activisme soit la force qui me guide, cela donne aussi une impression de sérieux qui laisse croire que je ne ferai pas d’erreurs », expliquait-elle au New York Times en 2018. On retrouve souvent des notions antiracistes et féministes dans son travail : le film The Hate U Give - La Haine qu'on donne (sorti en 2018, adapté du roman d’Angie Thomas et basé sur le mouvement Black Lives Matter) reste l’un de ses projets les plus remarquables. Écrit suite à l’assassinat d’Oscar Grant en 2009, le film suit une adolescente de 16 ans, Starr Carter, dont la vie bascule lorsque son ami d’enfance est tué par balle par la police lors d’un contrôle routier.
L’été dernier, après l’assassinat de George Floyd, la brutalité policière a fait ressurgir une vague de manifestations Black Lives Matter. Alors qu’Instagram se teinte de noir, en hommage au mouvement, Amandla Stenberg s’organise discrètement. Lorsque je lui demande ce que cette période a représenté pour elle d’un point de vue émotionnel, un long soupir précède sa réponse : « Mon dieu… je ne suis pas sûre que l’on m’ait posé cette question avant ».
« Il m’a fallu trouver un équilibre dans mes besoins. D’abord le besoin de sécurité, de distance… mais aussi celui de foutre la merde, d’exprimer ma colère, ma frustration et ma douleur. Puis est venu le besoin de retrouver ma communauté afin de prendre du recul et de décompresser. » C’est au cœur des manifestations, lors de meetings Zoom et avec le soutien de son amie Patrisse Cullors, co-fondatrice du mouvement Black Lives Matter et leader de la branche située à Los Angeles, qu’Amandla se sent le plus entourée de sa communauté.
Entre autres choses, Patrisse Cullors offre une vision à long-terme dont beaucoup avaient besoin lors de ces moments de chaos. « Nous étions nombreux à nous dire que le moment d’agir était arrivé, mais Patrisse est restée calme, faisant preuve d’un engagement bien plus durable. »
« Pour la majorité des gens de COULEUR, ce n’est pas une situation PASSAGÈRE. Au contraire, cela dure depuis des ANNÉES. »
Bien consciente que les médias se focaliseraient bientôt sur d’autres sujets, cette dernière fait tout pour s’assurer que le mouvement poursuive sa lutte. Amandla aimerait d’ailleurs que le reste d’Hollywood s’engage davantage. Elle se souvient de la réaction de certains face à des retards dans la production de The Hate U Give - La Haine qu'on donne : « “Le film ne sera pas pertinent longtemps”, “Il faut battre le fer tant qu’il est encore chaud”… Lorsque j’ai entendu ces remarques, j’ai trouvé cela étrange car, pour la majorité des gens de couleur, ce n’est pas une situation passagère. Cela dure depuis des années. »
En janvier, Angie Thomas a publié un second tome, Concrete Rose, qui se déroule 17 ans avant The Hate U Give, dans le même quartier de Garden Heights. Amandla explique que l’auteure lui a fait parvenir une copie, et qu’elle est à la fois excitée et nerveuse à l’idée de le lire. « Je ne veux pas sembler une actrice prétentieuse, mais je sens que ça va être une lecture émouvante et très belle. Je me sens tellement investie dans l’histoire. »
« J’ai pu RÉFLÉCHIR à plusieurs choses : est-ce RÉELLEMENT ce que je veux faire ? Ai-je été influencée dans ma décision ? Le livre arbitre existe-t-il VRAIMENT ? »
La pandémie a donné à la jeune actrice le temps de faire une pause et de se pencher sur d’autres activités créatives. « J’ai vite réalisé que je m’imposais énormément de limites, surtout lorsqu’il s’agissait d’explorer mon côté artistique », me dit-elle. Pour elle, penser à ses choix de carrière a toujours été compliqué, surtout parce qu’elle a grandit dans une communauté d’acteurs à Los Angeles (sa mère était journaliste dans l’industrie) et a décroché son premier rôle à l’âge de 5 ans (dans une pub pour une poupée). « J’ai pu réfléchir à plusieurs choses : est-ce réellement ce que je veux faire ? Ai-je été influencée dans ma décision ? Le livre arbitre existe-t-il vraiment ? »
Parfois, elle dit avoir eu l’impression qu’une force extérieure la poussait vers l’avant. C’est pourquoi, lorsque ses projets de films tombent à l’eau en début d’année 2020, la jeune femme s’épanouit à travers d’autres activités, comme apprendre à se faire des tresses ou ressortir son violon. « J’ai commencé à réfléchir à toutes les choses pour lesquelles je me passionne et à la façon dont je me suis imposée moi-même des limites », explique-t-elle. « Beaucoup de ces restrictions sont probablement liées à mon sentiment d’être un imposteur. »
« La musique est ce que j’aime le plus au monde. » Amandla ne joue pas seulement du violon, elle aime également chanter et produire de la musique et malgré les quelques 30 démos à son actif, elle a du mal à partager sa passion. Elle n’a travaillé qu’avec des producteurs masculins et se souvient de moments créatifs où elle souhaitait essayer quelque chose de différent mais a ressenti un jugement de la part de ces hommes : « C’est un sentiment qui prend le contrôle sans que vous vous en rendiez compte ».
Ces temps-ci, elle s’essaye à de nouvelles choses sans se laisser influencer par la peur ou la gêne. À un moment pendant notre conversation, elle sort une feuille avec les paroles d’un rap qu’elle a écrit en se glissant dans la peau d’un robot : « Je te rattrape avec ma vision laser. Rien de plus simple, c’est mon algorithme », me rappe-t-elle avec une intonation exagérée avant d’exploser de rire.
Il semblerait ainsi qu’Amandla ait beaucoup réfléchi à sa place dans la société. Elle critique avec ferveur le traitement préférentiel d’acteurs de couleur clair comme elle : « En ce qui concerne la représentation des communautés de couleur dans les médias, ma présence n’est pas du tout représentative ». Elle avait d’ailleurs choisi de se retirer des auditions pour le film Black Panther de Marvel parce qu’elle était convaincue que le rôle devait revenir à une personne dont la peau était plus foncée que la sienne.
« Je suis bien consciente de la façon dont les médias ont fait de moi, ainsi que d’autres acteurs à la peau plus claire, la représentation unique de la population noire. C’est contreproductif et, honnêtement, c’est honteux. » La colère dans sa voix est palpable lorsqu’elle poursuit : « C’est une autre forme de racisme ». Elle est particulièrement méfiante envers ceux qui la désigne comme représentante des personnes de couleur. « Je n’ai que très peu d’expérience et pourtant, je bénéficie déjà d’un privilège. »
Lorsque je lui demande quels types de projets et de rôles elle souhaite entreprendre par la suite, elle n’hésite pas une seconde : « un personnage gay ». C’est là toute sa passion (et pour l’instant elle l’entretien à l’aide d’un compte homosexuel anonyme dont elle ne me donnera pas le nom). Amanda m’explique qu’il n’était pas évident de se lancer dans des projets queer lorsqu’elle était adolescente, mais maintenant qu’elle a 22 ans, elle se sent prête. « C’est très gratifiant d’arriver là où je suis aujourd’hui, et de pouvoir me dire “C’est mon truc ! ” ».
À l’aube d’une nouvelle année, et d’un nouveau mandat présidentiel, Amandla espère que ses communautés pourront vivre plus en paix. Elle ajoute que cela nous donnerait à tous l’occasion de réfléchir plus en profondeur aux causes qui lui tiennent tant à cœur. « J’espère que ce nouveau chapitre nous donnera l’espace suffisant pour mieux nous organiser, mieux nous aimer et mieux faire. »