Cover story

Une femme d’exception

Avec

Felicity Jones

Héroïne de blockbuster, de comédie romantique indé, de biopic, de Star Wars…. Y-a-t’il un registre que FELICITY JONES ne maîtrise pas ? L’actrice nominée aux Oscars, qui incarne l’indomptable Ruth Bader Ginsburg dans son dernier film, discute avec JANE MULKERRINS des femmes qui l’inspirent et lui fait le récit de ses dernières cascades.

Photographe Matthew SproutRéalisation Tracy Taylor
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Image du dessus : haut Petar Petrov. Cette image : robe 16Arlington ; sandales Isabel Marant.

Une adolescente rôde autour de notre table en essayant d’attirer notre attention, tout en veillant à ne pas en avoir l’air. Lorsque je signale sa présence à Felicity Jones, qui tourne le dos à la salle, elle n’hésite pas une seconde avant de se lever pour accueillir la fan en herbe, et de lui proposer de prendre une photo avec elle.

« Star Wars a indéniablement changé la donne », dit-elle à propos de sa notoriété, en se rasseyant après le départ de la jeune fille. L’anglaise de 35 ans interprétait Jyn Erso, l’héroïne de Rogue One. « Je n’ai jamais vraiment prévu de devenir célèbre. Ça a découlé du fait de participer à un projet que j’aime », continue-t-elle gaiement. « Je veux proposer des histoires intéressantes et distrayantes aux gens, mais c’est le revers de la médaille. Vous ne pouvez pas revenir en arrière et vous plaindre. »

Peut-être me trompé-je, mais ce ne sont pas toutes les actrices nominées aux Oscars (elle était pressentie en 2014 grâce au rôle de Jane Hawking dans Une merveilleuse histoire du temps) qui font montre d’autant de grâce et de générosité dès le matin, surtout en ne portant aucun maquillage et en affichant une chevelure que les américaines très apprêtées qualifieraient de « coiffure britannique ».

Et ce matin, se passer des frivolités de la mise en beauté est particulièrement approprié. Nous buvons un café au Crosby Street Hotel de New York ; Felicity Jones porte une salopette en jean et un trench Burberry (elle fut le visage de la marque pendant un temps), et me parle de son dernier personnage, Ruth Bader Ginsburg dans le biopic Une femme d’exception. Ce membre de la Cour Suprême des États-Unis, surnommé « Notorious RBG », a aujourd’hui 85 ans, et a passé la majeure partie de sa vie et de sa carrière législative à se battre pour l’égalité des sexes et les droits des femmes aux États-Unis. Elle reste la voix principale du progrès au sein d’une Cour Suprême qui devient de plus en plus conservatrice.

« Nous filmions au moment de la naissance du mouvement #METOO, et depuis, avec tout ce qui s’est passé à la COUR SUPRÊME, son histoire est encore plus pertinente »

Robe Alexandre Vauthier ; boucles d'oreilles Melissa Kaye ; collants Wolford ; bague Stone & Strand.
Haut Petar Patrov ; pantalon Haider Ackermann ; escarpins Christian Louboutin ; bracelet Anita Ko ; ceinture appartenant à la styliste.

Même si le film relate les défis de Ruth Bader Ginsburg des années 50 au début des années 70, les sujets qu’il traite ne pourraient pas sembler plus actuels, note Felicity. « Nous filmions au moment de la naissance du mouvement #MeToo, et depuis, avec tout ce qui s’est passé à la Cour Suprême, son histoire est encore plus pertinente. » Felicity Jones a passé du temps auprès de Ruth Bader Ginsburg dans sa maison de Washington où elle vivait avec Martin (dit Marty) Ginsburg, avec qui elle a été mariée 56 ans durant, et qui a disparu en 2010. « Rencontrer cette figure de la justice a été très émouvant, parce qu’elle a accompli tant de grandes choses », explique-t-elle. « Aucun chemin n’avait été tracé pour elle. Elle a tout réalisé elle-même à une époque où c’était extrêmement difficile. » Lorsqu’elle étudiait le droit à la prestigieuse université d’Harvard, Ruth Bader Ginsburg faisait partie des seules neuf femmes présentes dans la promotion, en face de 500 hommes. « Elle était constamment l’outsider, et ne devait pas se contenter de réussir, mais aussi de dépasser ses pairs masculins », précise Felicity. « Elle était complètement concentrée sur sa carrière, mais des emplois lui étaient refusés à cause de sa religion (juive) et de son sexe. »

Tandis que le film retrace l’ascension de Ruth Bader Ginsburg jusqu’à sa nomination au poste le plus haut du pays dans le milieu légal, un chemin semé d’embûches sexistes et misogynes, il se penche également sur son mariage très moderne avec l’avocat Marty, interprété par Armie Hammer, qui soutenait ouvertement la carrière de sa femme. Felicity Jones souligne que Marty était celui qui cuisinait. « Ils estimaient que les stéréotypes de genre limitent aussi bien les hommes que les femmes, et que le patriarcat freine absolument tout le monde. » Leur appartement est toujours rempli « des vestiges de leur vie commune, dont des étagères garnies des ustensiles de cuisine de Marty. »

Felicity Jones ne considère pas ses propres opportunités comme étant dues. « L’on n’attend plus uniquement de nous que nous nous casions et ayons des enfants », note-t-elle. « Si vous le faites, c’est un choix tout aussi valable. Mais si vous avez de l’ambition, pourquoi ne pas la suivre ? »

Robe Givenchy.

L’actrice est née et a grandi à Bournville, un village de la région des Midlands de l’Ouest au Royaume-Uni. À 10 ans, elle a rejoint la troupe de théâtre locale, sans ambition particulière. « J’étais très timide et mes parents ont pensé que ça me permettrait de sociabiliser et de m’ouvrir un peu aux autres », explique-t-elle. « Mais c’était vraiment un loisir. Je n’étais pas Judy Garland. » Son père était journaliste et a travaillé pendant un temps pour le programme TV The Cook Report traitant de l’actualité britannique ; il est aujourd’hui consultant. Quant à sa mère, elle travaillait dans la publicité. « Aller à l’école et faire ses devoirs étaient des priorités importantes dans notre famille. »

Elle avait 3 ans quand ses parents ont divorcé. « Ma mère a mis l’accent sur l’indépendance financière, parce qu’elle savait que lorsque vous avez ça, vous avez la liberté, donc ç’a toujours été ma préoccupation principale », explique-t-elle. « J’ai le sentiment que c’est implicite dans l’éducation des fils, et j’espère que ce le sera également pour celle des filles de la prochaine génération. »

« L’on n’attend plus uniquement de nous que nous nous CASIONS et ayons des enfants. Si vous le faites, c’est un CHOIX tout aussi valable. Mais si vous avez de L’AMBITION, pourquoi ne pas la suivre ? »

Felicity Jones a découvert très tôt le plaisir de l’indépendance financière, en décrochant à 15 ans le rôle d’Emma Carter dans la série The Archers diffusée sur BBC Radio 4. « Je me souviens être sortie pour acheter l’album Jagged Little Pill d’Alanis Morissette avec mon salaire et avoir pensé “C’est ça la liberté, waouh. ” » Elle a continué de jouer ce rôle durant ses trois années d’études de la langue et littérature anglaise à l’université d’Oxford où, dit-elle, ses expériences contrastaient directement avec celles vécues jadis par Ruth Bader Ginsburg à Harvard. « J’avais un sentiment d’équilibre absolu, l’atmosphère n’était pas macho le moins du monde », dit-elle avant de me confier avoir passé de nombreuses nuits à Londres pour assister à des soirées drum & bass. « Nous passions la nuit à Fabric [N.D.L.R. Un club de musique électronique] et on rentrait à Oxford en bus », se souvient-elle avec nostalgie.

Haut Versace ; pantalon 16Arlington ; boucles d'oreilles Anita Ko.

« J’ai adoré [faire mes cascades]. Je me BALANÇAIS sur la nacelle et tout le monde me demandait si J’ALLAIS BIEN, et je répondais “je vis un RÊVE. ” C’est ce que j’ai toujours voulu faire : relever un défi »

Robe Givenchy.
Blazer et pantalon Saint Laurent ; collier Anita Ko ; bague Stone and Strand.

Le film met l’accent sur la communion d’esprit du couple Ginsburg, et Felicity Jones semble vivre le même genre de relation dans son mariage. En juin dernier, elle a épousé le réalisateur Charles Guard. Elle me raconte qu’ils se sont rencontrés « dans un ascenseur à Los Angeles. Une véritable histoire d’amour hollywoodienne pour deux britanniques », dit-elle en riant. Charles Guard travaillait là-bas pour des publicités, tandis qu’elle était en tournée pour la promotion d’Une merveilleuse histoire du temps. « Je n’arrêtais pas de le croiser à l’hôtel Sunset Tower », se souvient-elle. « Je suis partie, et quand je suis revenue deux semaines plus tard, il était toujours là. Nous avons fini par discuter. » Ils ont choisi le château Sudeley (dans la région britannique des Cotswolds) pour se marier. Eddie Redmayne et Tom Hanks (avec qui elle a collaboré sur l’adaptation d’Inferno de Dan Brown) étaient présents, et elle s’est une fois de plus montrée non conformiste en s’occupant elle-même de sa coiffure et de son maquillage. « Au fond, je suis une vraie hippie », dit-elle en riant, « et je suppose que je ne suis pas très féminine. »

« Ces dernières années, je me suis sentie particulièrement INSPIRÉE par certaines personnes, comme REESE WITHERSPOON qui a produit Big Little Lies, qui a changé le paysage culturel. Je pense que cette série a permis au mouvement #MeToo d’avoir tant de RÉSONANCE »

Récemment, elle a retrouvé Eddie Redmayne pour The Aeronauts, dans lequel elle incarne l’aéronaute Amelia Wren. « J’ai cru que ce serait un drame d’époque confortable, et finalement c’est devenu une version victorienne de The Revenant », s’amuse-t-elle. Les cascades impliquaient des montgolfières et des acrobaties aériennes que les comédiens ont réalisées eux-mêmes. « J’ai adoré ça », dit-elle avec enthousiasme. « Je me balançais sur la nacelle et tout le monde me demandait si j’allais bien, et je répondais “je vis un rêve. ” C’est ce que j’ai toujours voulu faire : relever un défi. »

Ruth Bader Ginsburg disait des tribunaux et de leurs jugements qu’ils « ne devraient jamais être affectés par le temps qu’il fait, mais inévitablement, ils seront affectés par le climat de l’époque. » Felicity Jones est-elle davantage consciente aujourd’hui de sa contribution au « climat de l’époque » via ses rôles ?

« Quand vous débutez, vous essayez seulement d’être capable de payer votre loyer, donc vous acceptez tout ce qui se présente », acquiesce-t-elle. « Mais ces dernières années, je me suis sentie particulièrement inspirée par certaines personnes, comme Reese Witherspoon qui a produit Big Little Lies et qui a changé le paysage culturel. Je pense que cette série a permis au mouvement #MeToo d’avoir tant de résonance. » (La mini-série explore les sujets du viol, de la violence conjugale, et du pouvoir qu’ont les femmes lorsqu’elles s’unissent).

« Nous, les acteurs, sommes des artistes de cirque, faisons partie du carnaval », affirme-t-elle en riant. « Mais nous pouvons le faire avec la volonté d’être pertinents. Raconter des histoires peut transformer la conscience collective. »

Une femme d’exception sortira au cinéma le 25 décembre aux États-Unis et le 8 février au Royaume-Uni.

Robe Deitas ; boucles d'oreilles Melissa Kaye ; boucle d'oreille et bracelet Anita Ko.

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