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Passion & Intention

Avec

Ashley Graham

Il serait facile (et réducteur) de résumer ASHLEY GRAHAM, activiste, autrice, entrepreneuse, maman et créatrice d’un podcast, à un mannequin « grande taille ». Elle raconte à PHOEBE LOVATT l’importance d’être audacieuse, de réellement s’accepter tel que l’on est, et des raisons pour lesquelles elle ne s’inquiète plus pour des broutilles.

Photographe Yelena YemchukRéalisation Natasha Royt
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Cette photo : robe, Tove ; boucles d’oreilles, Eéra ; Anita Ko ; Maria Tash ; Ileana Makri ; Ole Lynggaard Copenhagen. Photo d’ouverture : robe, Brock Collection ; pochette à franges, Bottega Veneta ; collants, Wolford ; sandales, A.W.A.K.E. Mode ; boucles d’oreilles, Pomellato

C’est un lundi matin de mars que je retrouve Ashley Graham sur Zoom ; et que celle-ci me montre ses dessous par écran interposé. Je l’ai questionnée sur son look de confinement et elle me dévoile sa culotte noire taille haute (pour le reste, elle porte un simple pull écru, elle n’est pas maquillée, et m’informe que j’ai de la chance car elle porte un soutien-gorge).

Depuis que sa carrière a décollé, une quinzaine d’années plus tôt, Ashley, 33 ans, est devenue l’un des mannequins les plus populaires au monde ; « curvy, grande taille… Appelez-ça comme vous voulez », précise-t-elle. Elle est aussi reconnue pour son influence dans le mouvement body-positivity, donnant des interviews, s’associant à des marques et partageant avec son audience (elle compte à ce jour 12,3 millions d’abonnés sur Instagram) pour parler de l’importance d’accepter tous les corps, de toutes les tailles. Elle n’hésite pas à utiliser sa propre taille américaine 16 pour se faire entendre, mais met un point d’honneur à expliquer : « Je ne poste pas des photos de moi à demi-nue pour obtenir des likes ». « Je le fais pour que des personnes plus jeunes sachent que ce n’est pas un problème d’avoir une culotte de cheval, des hanches larges, etc… Tout cela est normal. »

Ashley Graham m’appelle depuis son foyer de Brooklyn, où elle vit depuis qu’elle a quitté son Nebraska natal à l’âge de 17 ans. « Je suis partie en mode “Ciao les losers” », dit-elle en riant. Elle n’a pourtant rien perdu de la chaleur du Midwest, et a gardé les pieds sur terre. Une attitude pétillante qui s’est renforcée depuis son séjour prolongé dans la maison familiale. En effet, après la naissance de son fils, Isaac, Ashley et son mari, Justin Ervin, ont décidé de se rendre jusqu’au Nebraska en voiture avant que la pandémie ne mette la planète à l’arrêt. Au départ, ils n’avaient prévu de rester que quelques semaines, mais finalement ils y sont restés six mois, permettant à Ashley d’avoir « le meilleur congé maternité possible ». « J’ai passé de bons moments en tête-à-tête avec ma mère et avec mon mari. Et ma mère a un nouveau petit ami, que j’ai pu apprendre à bien connaître. Il y a eu beaucoup de côtés positifs, c’est certain. »

Robe avec corsage à lacets, Philosophy ; collants, Wolford ; sandales, Khaite ; boucles d’oreilles, Eéra ; bagues (main gauche), Alighieri ; (main droite) Khiry ; Anita Ko

Elle le dit elle-même : elle est le genre de personne qui « voit le verre à moitié plein », et qui se focalise sur le bon côté des choses. Elle attribue son attitude positive aux sessions de prière régulières qu’elle fait avec Justin (ils se sont rencontrés à l’église 10 ans plus tôt), et son habitude d’écrire dans un journal. « Je n’ai jamais autant écrit de ma vie, et je ne le fais même pas sur un ordinateur comme les gens normaux. Quelqu’un écrit encore avec un papier et un stylo de nos jours ? Parce que c’est ce que je fais, et ma main me fait mal ! »

Sur ses divers réseaux sociaux, Ashley Graham se présente à la fois comme une bonne copine rigolote, et une coach motivante : boostée à la caféine, elle fait de la beatbox sur sa tasse de latte en direct sur TikTok, poste une photo de ses vergetures post-grossesse sur Instagram, ou implore ses followers sur Twitter de partager leurs affirmations pour la semaine. « Je suis audacieuse, je suis intelligente, je suis belle ! Je mérite tout ce qui m’arrive ! », clame Ashley Graham.

« Avoir un bébé et, bam, une pandémie qui vous frappe de plein fouet… C’est le moment de souffler. »

Robe, Ulla Johnson ; collants, Wolford ; sandales, A.W.A.K.E. Mode ; boucles d’oreilles, Anita Ko ; Maria Tash ; collier, Stone & Strand ; bagues (main gauche), Alighieri ; (main droite), Anita Ko

Les affirmations fonctionnent pour elle. Bien qu’elle m’assure que la pandémie lui a permis de ralentir le rythme (« Avoir un bébé et, bam, une pandémie qui vous frappe de plein fouet… C’est le moment de souffler »), elle travaille sur « beaucoup de projets, dont certains pour la télévision ». Elle n’entre pas dans les détails, mais admet avoir de l’ambition pour son podcast, Pretty Big Deal, dans lequel elle a récemment reçu Jada Pinkett Smith et Patrisse Cullors, la cofondatrice du mouvement Black Lives Matter. Tandis qu’elle se prépare pour la quatrième saison, Ashley dit que son rêve est de transformer son podcast en « Une large communauté basée sur la confiance en soi. Car le manque d’assurance est un véritable fléau qui ne touche pas que les femmes, les hommes aussi en font les frais. »

Pendant le confinement, Ashley a rejoint la Génération Z sur TikTok, où elle a découvert avec joie une myriade de jeunes propageant le message de body-positivity auquel elle a grandement contribué. « C’est si réconfortant de voir que la prochaine génération prend soin d’elle et a cette conversation récurrente », dit-elle. « Je suis comme une ancêtre qui radote… “Salut tout le monde ! C’est ce que je raconte depuis trèèèès longtemps” »

« Après ma grossesse, je suis passée par différentes phases, essayant de comprendre et d’accepter ces changements. »

Robe, Ulla Johnson ; boucles d’oreilles, Anita Ko ; Maria Tash ; collier, Stone & Strand
Robe, Tove ; brassière, Alexander McQueen ; boucles d’oreilles, Eéra ; Anita Ko ; Maria Tash ; bagues (main gauche), Alighieri ; (main droite) Khiry ; Anita Ko

Elle raconte son parcours difficile vers l’acceptation de soi dans son TEDxtalk donné en 2015, intitulé Plus size? More like my size, qui a été vu plus de 4 millions de fois. Depuis son premier défilé à l’âge de 13 ans, son discours sur l’inclusion et la positivité « a immensément progressé ». Ces jours-ci, elle remarque que « toute l’industrie de la mode en parle, pas seulement les mannequins et influenceurs ». « Et si vous ne faites qu’en parler, et que vous n’agissez pas, on vous pointe du doigt. »

Cependant, elle a l’impression que son but ultime est encore loin d’être atteint : « Ce moment où les femmes n’auront plus à justifier leur corps ». Elle se sent aussi partagée entre la manière dont les images sont de plus en plus retouchées sur les réseaux sociaux, ce qui contribue à une certaine dysmorphie, et sa reconnaissance envers Instagram, qui lui permet, ainsi qu’à tant d’autres, « d’utiliser nos voix pour dire ce qui est beau et ce qui est acceptable ». « J’aurais aimé, étant plus jeune, qu’il y ait quelqu’un d’aussi vocal que moi, d’aussi intrépide que moi, qui parle de sa cellulite et du gras de son dos, pour me permettre de savoir que c’était normal, et que c’est ce à quoi un corps ressemble. »

« Honnêtement, ces jours-ci j’aime que tout soit rapide. Mais je m’arrête au shampooing et après-shampooing deux-en-un. »

Robe, Fil de Vie ; boucles d’oreilles, Anita Ko ; Maria Tash ; bague, Khiry
Robe, Fil de Vie ; collants, Wolford ; sandales, Bottega Veneta ; boucles d’oreilles, Anita Ko ; Maria Tash ; bague (main droite), Khiry

Elle admet que la maternité a représenté un vrai challenge : « Ce n’était pas rien », dit-elle à propos de sa grossesse. « Au début, je me disais qu’un alien était en train de prendre possession de mon corps et que je grossissais à vue d’œil. Puis cet alien a pointé le bout de son nez et ce fût comme une révélation, “Oh mon dieu, comme je t’aime !”. Plus rien d’autre n’a d’importance… Puis le covid a frappé, les salles de sport ont fermé, et je me suis retrouvée chez ma mère à manger des brioches à la cannelle tous les jours », dit-elle en riant. « Les gens vous racontent ce mensonge quand vous êtes enceinte : tout le poids pris lors de la grossesse s’évapore quand vous allaitez… Mais c’est faux ! Après ma grossesse, je suis passée par différentes phases, essayant de comprendre et d’accepter ces changements. »

En matière de style, Ashley Graham explique être plus « réfléchie » qu’avant. « Je veux surtout être à l’aise, mais je fais quand même attention. Je planifie un peu plus. » Comme beaucoup d’entre nous, sa garde-robe du moment contient de nombreux joggings, mais elle les porte avec de beaux pulls signés Frankie Shop ou The Row, et des kitten heels Prada. Son rituel beauté est aussi très simple : « Honnêtement, ces jours-ci j’aime que tout soit rapide. Mais je m’arrête au shampooing et après-shampooing deux-en-un ». Et elle fait toujours deux soins du visage par mois. Elle ajoute, fière d’elle : « Et je viens de recommencer à me raser les aisselles ! ».

Trench, Isabel Marant ; sac à franges et sandales de Bottega Veneta ; collants, Wolford ; boucles d’oreilles, Anita Ko ; Maria Tash

Devenir mère a « tout changé », dit Ashley. « Je me sens beaucoup plus calme et en paix depuis que mon fils est arrivé dans ma vie. Je ne m’inquiète plus pour des broutilles. » Depuis qu’elle a accouché, elle se sent bien plus confiante en elle. « J’ai toujours été courageuse et audacieuse, mais depuis que j’ai accouché à la maison et que j’élève mon fils en pleine pandémie, je me dis que je suis vraiment sans peur. Et ça fait du bien. »

La ville de New York est aussi beaucoup plus agréable depuis qu’elle émerge de son confinement hivernal, dit-elle. « C’est plus calme que d’habitude, mais on sent renaître l’espoir. Le sentiment d’insouciance revient peu à peu. »

« J’ai vraiment appris la valeur de la famille et de la communauté à travers cette épreuve. J’en suis très reconnaissante. »

Robe, Odlr ; boucles d’oreilles, Pomellato ; Maria Tash ; Anita Ko ; bague (main droite), Anita Ko

Après une année riche en bouleversements, qu’attend-t-elle de ce nouveau monde qui se forme alors même que nous parlons ? « J’ai vraiment appris la valeur de la famille et de la communauté à travers cette épreuve. J’en suis très reconnaissante. C’est quelque chose que je veux garder à l’esprit pour le reste de ma carrière, et que je veux continuer à développer. » Elle précise, fidèle à cette attitude positive qui est la sienne, que cette année a en fait : « créer beaucoup d’optimisme et d’espoir pour le pays et pour le monde, parce qu’on est dans cette situation ensemble. Cela me donne vraiment le sourire. »