Superstar
Avec
Kate Winslet

KATE WINSLET n’est pas une star de cinéma ordinaire. À la fois icône et femme comme les autres, elle réussit à concilier le meilleur de ces deux mondes avec assurance et sophistication. Comment fait-elle ? Elle discute avec PANDORA SYKES de ce que plus de 30 ans à Hollywood lui ont appris, du métier d’actrice qu’elle partage désormais avec ses enfants, et de la raison pour laquelle elle repoussera toujours les limites de la création.
Dire qu’une célébrité a les pieds sur terre est devenu un cliché hollywoodien. Et pourtant, malgré une incroyable collection de films et de récompenses à son actif, il n’y a pas meilleure façon de décrire Kate Winslet. L’actrice possède un charme magnétique qui ne laisse personne indifférent : « Les gens m’abordent et me racontent leur vie. » Prenons par exemple le gardien de son parking local, dans le West Sussex, avec qui elle discute de ses talents de conductrice lorsqu’elle vient me chercher à la gare (sans son attaché de presse), la serveuse qui lui apporte un thé et lui fait la conversation avec un accent écossais, ou le motard qui s’arrête pour lui dire que sa femme est une grande fan, avant de repartir avec un selfie. Kate Winslet rayonne, tout simplement.
« Le mouvement #MeToo a allumé UN FEU en nous, en termes de ce [que nous] voulons LÉGUER et de ce que nous voulons DIRE »
L’actrice attribue une partie de cette aisance à son rôle récent dans le film biographique Lee. Elle y incarne Lee Miller, une mannequin audacieuse devenue photojournaliste de guerre. « Ce que j’ai conservé d’elle, c’est le plaisir qu’elle éprouve à se sentir bien dans sa peau. C’est quelque chose de très inhabituel parmi les figures féminines historiques que nous connaissons, et encore plus chez les femmes d’aujourd’hui. »
Il a fallu huit ans pour réaliser le film et, lorsque le financement était insuffisant, Kate (qui est également productrice) a payé de sa poche les salaires des acteurs et de l’ensemble de l’équipe pendant deux semaines. « Il n’était pas question de baisser les bras », explique-t-elle. « Ce que Lee [Miller] représente en matière de justice et de recherche de la vérité est une grande inspiration pour moi… sa force mentale, son charisme, sa sensualité, son travail et sa façon de communiquer avec les gens. Nous vivons à une époque où, en tant que femmes, nous recherchons ces mêmes qualités auprès d’autres femmes. Le mouvement #MeToo a allumé un feu en nous, » poursuit-elle, « en termes de ce [que nous] voulons léguer et de ce que nous voulons dire. »
Ce film profondément émouvant, qui redéfinit la perception que l’on a de Lee Miller, est basé sur The Lives Of Lee Miller, un livre publié en 1985 par son fils, Antony Penrose. « Lee était connue pour ses rencontres avec les hommes », explique l’actrice. « [Mais] nous voulions nous focaliser sur ce que nous considérons comme la décennie la plus intéressante de sa vie : une femme d’âge moyen, imparfaite, qui est partie à la guerre et l’a documentée en photos. Qu’a ressenti Kate en l’incarnant ? « Une putain de force ».
« J’ai une famille. C’est MA VIE. Un matin de rêve, c’est me lever à 6 h, sortir promener les CHIENS, m’asseoir avec une tasse de thé et LIRE un livre de cuisine »
Le dernier projet de l’actrice est The Regime, une mini-série en six épisodes, diffusée sur HBO, écrite par Will Tracy de Succession et produite par Kate Winslet et Stephen Frears. Véritable bouffée d’air frais, cette satire transporte l’audience dans un pays fictif d’Europe centrale. Kate y joue Elena, une dictatrice phobique des microbes (la chancelière) qui tombe amoureuse du caporal Zubak (incarné par Matthias Schoenaerts), un soldat engagé pour être son « contrôleur d’humidité » personnel, et qui deviendra son amant. Le tout, sous les yeux de son mari déconcerté. « Nous sommes deux fous qui s’entendent comme larrons en foire », dit Elena à Zubak.
Sont également à l’affiche Hugh Grant, Martha Plimpton et Andrea Riseborough, avec qui elle a travaillé sur Lee (« Je ne veux plus que jouer avec Andrea », s’exclame-t-elle). The Regime est un projet fou, choquant et indécent, et Kate Winslet a clairement adoré le tourner : « Je ne peux même pas vous parler du bêtisier ! ».
« Je savais que je pouvais repousser les limites en termes de choix créatifs », dit-elle à propos de l’accent hilarant d’Elena et de ses longs ongles en acrylique. « C’est censé être absurde. Je voulais en faire le plus possible pour que le public ne prenne pas cette femme au sérieux. » Elena, qui « a d’énormes problèmes avec le monde et avec elle-même à cause d’une enfance bizarre », s’adresse à la nation en disant « mes amours », apparaît régulièrement à la télévision pour chanter (Kate, bonne chanteuse, fait exprès de chanter faux), et garde son père mort dans un cercueil de verre dans la cave. « C’est répugnant », s’amuse l’actrice.
Elena et Zubak forment un terrible couple : tous deux trop sensibles et tyranniques, ils rendent visite à une thérapeute conjugale (jouée par Julia Davis de Nighty Night, dont Kate est une grande fan). « C’est une horrible combinaison. Deux personnes qui ne devraient pas être ensemble, mais qui tombent follement amoureuses l’une de l’autre », explique Kate. En plus, la trame dévoile un rebondissement si énorme qu’elle y pense encore la nuit.
« Putain de Mare. J’ai adoré la jouer, mais c’était très ÉPROUVANT. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me la SORTIR de la tête »
Depuis 1992, Kate Winslet a travaillé sur un nouveau projet tous les ans, sauf trois. Bien qu’elle admette ne pas vraiment comprendre le concept d’avoir du temps libre, elle ne se tue pas à la tâche et essaye de réaliser un film ou une série par an. Sans cela, elle serait « trop surchargée ». En effet, il faut parfois un certain temps pour se défaire d’un personnage, comme c’est le cas de Mare : la détective troublée de Pennsylvanie de Mare of Easttown (2021) continue de la hanter. « Putain de Mare », murmure-t-elle. Lorsque que je lui demande, avec espoir, si elle en ferait une autre saison, sa réponse est pensive : « On ne sait jamais. J’ai adoré la jouer, mais c’était très éprouvant. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me la sortir de la tête ».
En ce moment en pause, l’actrice s’occupe de quelques projets et passe le temps en cuisinant. « J’ai une famille. C’est ma vie », dit-elle. Un matin de rêve, c’est me lever à 6 heures, sortir promener les chiens, m’asseoir avec une tasse de thé et lire un livre de cuisine ». Famille et travail commencent toutefois à s’entremêler car ses deux enfants aînés Joe (son fils de 21 ans avec Sam Mendes) et Mia (sa fille de 23 ans avec Jim Threapleton) se sont tous deux lancés dans des carrières d’acteurs. Elle a aussi un jeune fils de 10 ans avec son mari, Edward Abel Smith. Kate a partagé les plateaux avec ses deux aînés dans I Am Ruth. Le téléfilm dramatique de 2021, qui avait été entièrement improvisé, met en scène une mère qui essaie désespérément de se reconnecter avec sa fille ado obsédée par les réseaux sociaux. Mia y est phénoménale : « Heureusement, ils sont doués », reconnaît Kate. « Jouer à leurs côtés était naturel. Ce sont des enfants qui m’ont fait réciter [mes] répliques depuis qu’ils savent lire. Ils m’ont vue terrifiée auparavant. Ils ont vécu cela avec moi. »
« Lorsqu’un ADOLESCENT vit quelque chose de TRAUMATISANT, le parent pense automatiquement que c’est sa FAUTE »
Dans la vraie vie, aucun des trois n’est sur les réseaux sociaux (le compte @kate.winslet.official suivi par plus d’un million d’abonnés est « totalement faux »). Cela ne veut pas dire que les problèmes abordés dans la série ne sont pas actuels. « Le nombre de jeunes filles que j’ai vues passer par là, et qui m’en parlent », raconte Kate. Les gens l’abordent à propos de I Am Ruth, plus que tout autre film qu’elle a réalisé. « L’autre jour, une gardienne de parking a fondu en larmes en me voyant et m’a dit : “je suis Ruth”. Lorsqu’un adolescent vit quelque chose de traumatisant, le parent pense automatiquement que c’est sa faute. Une honte étrange s’installe, et quand cette honte entre en jeu, tu te fermes et n’en discutes pas. Je voulais raconter une histoire qui permette aux gens d’avoir une plateforme pour en parler. C’est cet aspect-là qui est bouleversant. »
L’actrice compare les débuts de leurs carrières : « C’est différent aujourd’hui. Mia est sa propre personne. [Les jeunes femmes savent] désormais comment utiliser leur voix ». Elle se souvient de l’immense succès de Titanic, sorti lorsqu’elle avait 22 ans. « J’avais l’impression de devoir avoir un certain look, agir d’une certaine façon. Et les médias étaient très intrusifs à l’époque, ma vie était assez désagréable. » Elle se souvient : « Les journalistes me disaient toujours “après Titanic, vous auriez pu faire ce que vous vouliez, et pourtant, vous avez choisi de travailler sur ces petits projets”. Et je leur répondais que je le préférais ainsi ! Parce qu’être connue était un cauchemar. Bien sûr que j’étais reconnaissante. J’avais la vingtaine et j’avais un appartement, mais je n’avais pas envie d’être suivie même lorsque j’allais nourrir des canards. »
Que pense-t-elle aujourd’hui de la célébrité ? « Oh, c’est un mot ridicule ! Je ne le prends pas au sérieux. Ce n’est pas un fardeau, loin de là : [Titanic] continue d’apporter de la joie. D’ailleurs, le seul moment où j’ai envie de me cacher c’est lorsque je suis coincée sur un bateau. » Je lui demande si elle a vu le mème qui dit : « Trouver quelqu’un qui te regarde de la même façon que Leo regarde Kate ». Elle éclate de rire. Donc, non. « [Il me regarde comme ça parce qu’il] sait que je vois à travers tout cela. Je pense que lorsque l’on vit quelque chose d’aussi grand, si jeune… Nous avons traversé cela ensemble. »
Sans surprise, l’actrice n’attache pas d’importance aux regrets ou à la compétition dans sa carrière. Elle dit ne rien avoir envie de faire différemment. « J’ai été tellement contente pour la personne qui l’a fait. Bravo ! Je n’ai aucun regret, je n’aime pas penser comme ça. » Et lorsqu’elle prend dans ses bras une autre jeune femme qui veut lui dire à quel point I Am Ruth a compté pour elle, je la crois.
The Regime sera disponible sur HBO à partir du 3 mars, et les six épisodes seront disponibles au Royaume-Uni exclusivement sur Sky Atlantic et Now TV. Lee sortira au cinéma cette année