Cover story

Sienna 2.0

Avec

Sienna Miller

SIENNA MILLER fait la une des magazines depuis des années, et son sens aiguisé de la mode y est pour quelque chose. Aujourd’hui, elle reçoit les meilleures critiques de sa carrière. L’actrice parle à ALISON PRATO du dernier chapitre de sa vie, de sa nouvelle série TV controversée, et de la raison pour laquelle elle n’est plus dans le coup (tout du moins aux yeux de sa fille).

Photographe Yelena YemchukRéalisation Tracy Taylor
Cover story
Photo du dessus : haut Prada ; jupe Anine Bing. Cette photo : pull Nili Lotan ; jupe Alexander Wang ; serre-tête appartenant à la styliste.

Sienna Miller a un rhume. « Je suis dégoûtante, excusez-moi », dit-elle en se mouchant dans une serviette en papier et en réprimant un rire. « Voilà à quoi ressemble une fichue tournée de conférences de presse. » Nous sommes attablées dans un restaurant français à New York, et malgré sa maladie, je la trouve belle dans son pull crème, son jean ample, et ses Stan Smith. « Je vais éternuer dans votre micro », déplore-t-elle. « C’est répugnant. Je suis désolée. »

Au moins, elle a attrapé froid pour une bonne raison : elle est en plein milieu d’une tournée promotionnelle, non pas pour un, mais pour deux projets d’envergure : American Woman, un film dramatique qui lui vaut les éloges les plus dithyrambiques de son existence, et The Loudest Voice, la série en 7 épisodes de Showtime à propos de Roger Ailes, le fondateur de Fox News, une figure majeure du parti républicain et consultant médiatique de Richard Nixon, Ronald Reagan et George H.W. Bush, aujourd’hui davantage connu suite au scandale de harcèlement sexuel qui l’a poussé à démissionner de la Fox en 2016. Sienna Miller incarne Elizabeth, surnommée Beth, celle qui pendant près de 20 ans fut son épouse loyale, aux côtés de Russell Crowe qui se glissera dans la peau de Roger Ailes.

« J’ai dû regarder Fox News avec assiduité », explique l’actrice à propos de la préparation de la série, qui couvre une longue période : elle commence avant le lancement de Fox News en 1996 et se prolonge jusqu’au décès de Roger Ailes en 2017. « Mais vous savez quoi ? Même avant que ce projet ne se profile à l’horizon, je zappais déjà entre les deux, CNN et Fox New, quand un événement se produisait, comme l’affaire Brett Kavanaugh, et on comprend totalement pourquoi ce réseau a tant d’influence. Ils s’expriment avec tant de conviction, comme « C’est notre vérité, et nous la défendrons ». Si vous regardez la Fox pendant vingt minutes, vous finissez par vous dire “Après tout, peut-être…” Même si vous savez que c’est n’importe quoi »

« On a élevé la voix sur moi et j’ai été SOUS-PAYÉE, sous-estimée et traitée comme une moins que rien. Ce moment a représenté une occasion pour certaines FEMMES de se faire entendre, ne serait-ce que par SOUTIEN envers toutes les autres femmes »

De Beth Ailes, précédemment cadre chez NBC News et éditrice d’un journal local, Sienna Miller dit « Elle n’a pas souhaité me rencontrer, ce que je peux comprendre. C’est difficile de parler d’elle, car il s’agit d’une personne qui existe. Je me sens toujours responsable des femmes que j’interprète, toujours ». À propos du mariage de Roger et de Beth, en revanche, elle dira que « Les gens sont attirés par le pouvoir, et je crois qu’ils ont vécu une belle histoire d’amour. Je pense que c’était un mari dévoué, et qu’elle était une épouse dévouée. Peu importe les événements survenus au cours de leur vie, leur mariage était quasiment intact. »

En 2015 et en 2016, lorsque le scandale éclate au grand jour (Roger Ailes a été accusé de harcèlement sexuel par plusieurs femmes, notamment par Gretchen Carlson et Megyn Kelly, les pionnières de Fox News), Sienna Miller suivait l’affaire de près à la télévision. « C’était en quelque sorte essentiel par rapport aux mouvements Me Too et Time’s Up », dit-elle. « J’ai eu de la chance de n’avoir jamais subi de mauvaise expérience. Bien sûr, en tant que femmes, nous sommes victimes de harcèlement sexuel au cours de nos existences. Mais ça n’a pas été mon cas au sein de mon industrie. On a élevé la voix sur moi et j’ai été sous-payée, sous-estimée et traitée comme une moins que rien, mais heureusement, personne ne m’a fait d’avances déplacées. Mais oui, ce moment a représenté une occasion pour certaines femmes de se faire entendre, ne serait-ce que par soutien envers toutes les autres femmes. »

« Pour la PREMÈRE fois, j’ai reçu un SALAIRE conséquent pour l’un de mes films. J’ai finalement COMPRIS ce que j’aurais ressenti si j’avais été un homme »

Robe Theory.

Depuis les mouvements Me Too et Time’s Up, Sienna Miller, comme ses nombreuses consœurs d’Hollywood, a remarqué des chèques plus importants qu’à l’ordinaire. « Pour la première fois de ma vie, j’ai reçu un salaire conséquent pour l’un de mes films », dit-elle. « J’ai finalement compris ce que j’aurais ressenti si j’avais été un homme. Je n’ai pas été payée autant qu’un homme, mais au moins j’ai enfin été payée [plus que je ne l’ai jamais été] ».

Mais il s’agit clairement d’un tournant dans sa carrière, aussi bien sur le plan du succès que financièrement. Sa performance dans American Woman, où elle interprète une femme de 32 qui a dédié les 11 dernières années de sa vie à la recherche de sa fille adolescente disparue (jouée par Sky Ferreira), lui a valu des critiques très favorables. « C’est la première fois que j’apparais dans toutes les scènes du film, et avec autant de temps à l’écran, il s’agit d’une belle opportunité », explique l’actrice. « Sur le plan créatif, c’est plus large et plus grand, contrairement aux petits rôles où l’on essaie d’avoir de l’impact, ce que je fais depuis la naissance de ma fille. »

Dans son autre film à venir, 21 Bridges, elle incarne une détective de la brigade des stupéfiants aux côtés de Chadwick Boseman (« Quand j’ai rencontré l’acteur de Black Panther, je lui ai dit « Helloooo, Chad! »), dans un rôle qui représente clairement une autre libération. « Au fil du temps, je comprends mieux le fonctionnement de l’industrie, et ce n’est pas aussi compliqué que je le pensais. C’est lié au fait de ressentir moins de différences de genre dans les rôles. En tant qu’artiste je suis prête à tenter plein de choses et à voir ce que ça donne. J’ai l’intime conviction que ce moment est revalorisant, et nous pousse à nous dire “Pourquoi ne pourrais-je pas faire ça ? Pourquoi pas ?” »

Débardeur The Range ; pantalon Vince.
Blazer et pantalon Peter Do ; escarpins Bottega Veneta.

« Au fil du temps, je comprends mieux le FONCTIONNEMENT de l’industrie, et ce n’est pas aussi compliqué que je le pensais. J’ai l’intime conviction que ce moment est REVALORISANT, et nous pousse à nous dire “Pourquoi ne pourrais-je pas faire ça ? Pourquoi PAS ?” »

À 37 ans, Sienna Miller est une femme différente, aux antipodes de celle qu’elle était à l’aube des années 2000, lorsqu’elle ne servait que de faire-valoir à ses petits amis célèbres. Aujourd’hui elle vit à New York avec sa fille Marlowe, qui a six ans, et son ancien partenaire, l’acteur Tom Sturridge (qui vit également dans la Grosse Pomme, et donne la réplique à Jake Gyllenhaal dans la pièce Sea Wall/A Life qui se joue à Broadway). « J’adore ça », dit-elle à propos du fait d’élever un enfant à New York, où elle s’est installée en 2016 après avoir quitté Londres. « Cette ville permet aux enfants de développer leur courage, leur force et leur ténacité. C’est formidable. Ma fille aime l’Angleterre. Quand nous y retournons, et que le sol des parcs n’est pas bétonné, pas en métal recouvert de ciment, qu’il est fait d’herbe et d’arbres, et que tout est bucolique et magnifique, elle me demande pourquoi nous ne vivons pas là, et me dit que ça n’a aucun sens, que tout y est tellement beau. Mais pour le moment, vivre ici tous ensemble est plus judicieux. Je pense que nous y retournerons à un moment donné. Mais pas à Londres. J’aurais besoin d’un lieu très rural. »

À New York, elle parcourt la ville comme un poisson dans l’eau. « Nous allons beaucoup au théâtre, à des expositions d’art. Nous allons à Central Park avant 9h du matin pour promener le chien et le laisser courir sans laisse. » L’attention des paparazzi « s’est calmée », dit-elle. « Je ne dirais pas que je suis harcelée… Ils existent. C’est frustrant. Ils savent que chaque matin, à une certaine heure, j’emmène mon enfant à l’école. Alors qu’avant ils étaient juste en face de moi et criaient, maintenant ils se cachent derrière des poubelles de l’autre côté de la rue. Je peux les ignorer, mais je n’ai pas envie d’être photographiée à mon insu à 8h15 du matin, [quand] je refuse de me maquiller ou de m’habiller. J’ai vraiment du respect pour ces femmes qui s’habillent avec soin pour emmener leurs enfants à l’école. Mais je refuse de capituler, donc je finis par apparaître dans le Daily Mail, devant l’école, hideuse et couverte de céréales. »

« L’attention des paparazzi s’est calmée. Je ne dirais pas que je suis HARCELÉE… Ils existent. C’est frustrant. Je peux les ignorer, mais je n’ai pas envie d’être photographiée À MON INSU à 8h15 du matin, [quand] je refuse de me maquiller ou de m’habiller. Je refuse de CAPITULER »

Body Bottega Veneta ; pantalon Nanushka.
Débardeur Nili Lotan ; pantalon Deveaux ; serre-tête appartenant à la styliste.

Comme il s’agit de Sienna Miller, il est difficile de ne pas lancer le sujet de la mode, donc je sors une pochette en cuir bleu issue de la marque Twenty8Twelve, qu’elle a créée avec sa sœur Savannah, et que j’ai achetée en 2007. « Stop », s’exclame-t-elle. « Oh mon Dieu ! Je l’adore. C’est un super sac. Cette phase fermeture éclair ! Pendant un temps j’ai voulu mettre des fermetures éclair partout… Wouh, ça me rappelle tellement de beaux souvenirs. » Elle ajoute avec nostalgie : « Au début de ma vingtaine, j’étais beaucoup plus créative, et bien plus audacieuse dans ma façon de m’habiller. Aujourd’hui je n’ai tout simplement pas le temps de jouer avec ma garde-robe, comme je le faisais avant d’avoir des enfants. Surtout que comme je vis à New York, mon armoire est littéralement aussi grande que cette table. Donc je ne sais même pas ce que j’ai. Je ne fais plus vraiment de shopping. J’ai des pièces basiques, comme des jeans Levi’s vintage et des beaux T-shirts. Je porte juste des jeans, des T-shirts et des pulls. Je recycle dix choses. »

« Je ne suis plus cool, ça y est », continue-t-elle. « Je dansais dans la rue l’autre jour, [ma fille et moi] attendions le métro et je faisais ça » (elle esquisse un pas de danse) « que Marlowe trouvait très drôle avant, et elle m’a dit “Chut !” C’était la première fois, un vrai couteau planté dans le cœur. »

Blazer et pantalon Peter Do.
Robe Theory ; sandales The Row.

« Au début de ma vingtaine, j’étais beaucoup plus créative, et bien plus AUDACIEUSE dans ma façon de m’habiller. Aujourd’hui je n’ai tout simplement pas le temps de JOUER avec ma garde-robe, comme je le faisais avant d’avoir des enfants. Je porte juste des jeans, des T-shirts et des pulls. Je ne suis plus COOL, ça y est »

Sienna Miller est également une néo-luddiste des réseaux sociaux autoproclamée. Elle a créé son compte Instagram en juin 2017, posté une photo, puis a arrêté. « Je n’ai même pas l’application », dit-elle en attrapant son téléphone. « Cette société au sein de laquelle tout le monde devrait se sentir bien et connecté est très utopique. Je remarque que les gens sont plus anxieux, plus dépressifs et moins connectés aux autres qu’avant. Quand j’avais cette application, je la consultais à chaque fois que j’avais un moment libre. Tout, plutôt que de rester seule avec mes pensées et mes émotions. Il faut dévoiler son univers et sa vie et laisser les gens y avoir accès, ce que je ne peux pas faire sans me sentir très anxieuse. » Elle marque une pause puis sourit. « Mais dès que je suis en présence de quelqu’un qui possède Instagram, je lui ordonne “Donne-moi ton téléphone”, et je ne peux plus m’en détacher. »

The Loudest Voice commencera sur la chaîne Showtime le 30 juin. American Woman est déjà sorti aux États-Unis et sortira le 11 octobre au Royaume-Uni.

Robe The Row ; escarpins Prada ; serre-tête appartenant à la styliste.

Les personnes mentionnées dans cet article ne sont pas associées à NET-A-PORTER et n’en assurent pas la promotion, ni celle des produits présentés.