À la conquête de l’Ouest
Avec
Deepika Padukone

Si le nom de DEEPIKA PADUKONE ne vous est pas encore familier, vous feriez bien de le retenir dès à présent. L’actrice la mieux payée de Bollywood poursuit son ascension vers les étoiles, tout en délivrant d’importants messages. Elle discute avec AJESH PATALAY de son combat face à la dépression, de diversité, et des leçons que l’Occident pourrait apprendre de l’Orient.
Le plus gros risque mode jamais pris par Deepika Padukone ? « La robe du soir vert fluo Giambattista Valli [que j’ai portée] avec un turban sur la tête », répond-elle sans hésiter. Elle fait référence à la robe en tulle extravagante qu’elle portait à Cannes cette année. « Ma styliste était dubitative, admet-elle. Elle me disait, j’adore cette robe, mais je ne suis pas sûre que le turban soit indispensable. » Le turban était-il optionnel ? « Pas pour moi. Il était optionnel pour ma styliste. Mais je voulais le porter. À cent pour cent. Ça ne faisait aucun doute. »
Si son souhait était d’attirer l’attention au-delà de l’Inde, où en tant qu’actrice la mieux payée du pays elle n’a aucune difficulté à se faire remarquer, elle a réussi son pari. « Il ne s’agit pas tant d’avoir un impact en Occident, corrige-t-elle, que de repousser mes propres limites. Je suis une femme qui aime la mode et qui aime s’habiller. » De plus, l’idée qu’un acteur puisse évoluer de Bollywood à Hollywood semble dépassée. « Aujourd’hui, le monde a bien plus à offrir. D’ailleurs, je dirais que désormais, l’Occident regarde vers l’Orient. »
« Il ne s’agit pas tant d’avoir un IMPACT en Occident que de REPOUSSER mes propres LIMITES »
Si l’Occident regarde vers l’Orient, nul doute que c’est en direction de Deepika Padukone (prononcez Di-pick-ah Pad-ou-coun), l’actrice de 33 ans qui bouscule Bollywood, et dont les 12 derniers mois ont été étourdissants. Tout d’abord, elle est devenue la première femme à faire partie du top 5 de la liste des « 100 personnalités les plus influentes d’Inde » établie par Forbes (grâce à son dernier succès, Padmaavat, un film historique qui a remporté 90 millions de dollars au box-office). En avril, elle a fait la couverture du magazine Global Talent du Vogue américain, aux côtés de Scarlett Johansson et de Doona Bae. Et pour couronner le tout, Vin Diesel, avec qui elle joue dans XxX: Return of Xander Cage, a déclaré : « Deepika est tout ce que la Terre a de mieux à offrir ».
« Finalement, on atteint un stade où le CHOIX n’est plus possible : vous PRENEZ les médicaments, sinon vous ne SURVIVEZ pas »
En novembre, ses 37,8 millions de followers sur Instagram se sont réjouis de son mariage en grande pompe au Lac de Côme avec Ranveer Singh, le beau moustachu avec qui elle partage régulièrement l’affiche. Elle m’explique que l’anniversaire de son mari aura lieu le lendemain de notre entretien, et qu’elle n’a toujours pas trouvé son cadeau. « Quels sont ses goûts ? » demandé-je dans l’espoir de l’aider. « Il aime les vêtements. Il est assez vaniteux », répond-elle en riant.
Justement, l’année de Deepika Padukone a été placée sous le signe de la mode, avec des apparitions inoubliables à Cannes et au Met. Au gala de ce dernier, elle irradiait dans une délicieuse robe bustier rose Zac Posen.
Aujourd’hui, après sa séance photo dans un studio londonien, elle porte encore une tenue stupéfiante : un survêtement écarlate Nike. Elle appelle ça du « sportswear élégant ». En Inde, les stars de cinéma sont déifiées, or Deepika Padukone a la réputation d’être une personne qui a les pieds sur Terre. Je le remarque à ses cheveux sagement attachés, à l’absence de maquillage sur son visage, à ses manières décontractées et à sa joie de vivre. « Je vais être impolie et mettre mes pieds sur la canapé », me prévient-elle à un moment donné en adoptant la position du lotus.
« J’essayais de rentrer dans LE MOULE, de me comporter d’une certaine façon, de porter CERTAINES tenues. Tout s’est arrangé naturellement lorsque j’ai ARRETÉ »
Elle est actuellement au Royaume-Uni pour le tournage de ’83, un film retraçant la victoire de l’équipe de cricket indienne durant la coupe du monde en 1983. Un succès déjà pressenti en Inde, notamment parce qu’elle y campe le rôle de la femme de Kapil Dev, le capitaine de l’équipe, lui-même incarné par son mari à la ville. Le couple Deepika Padukone et Ranveer Singh a la cote : il possède son propre surnom, DeepVeer. Appelez ça du professionnalisme ou de la diplomatie entre une actrice et son époux (elle est indéniablement la plus célèbre des deux), mais lorsqu’elle a obtenu le rôle dans le film, ce n’est pas elle qui en a informé son mari. « Parce qu’il jouait déjà dans le film, j’ai estimé qu’il devait apprendre la nouvelle de la bouche du réalisateur », explique-t-elle.
Si elle a été attirée par ce film, qu’elle co-produit, c’est parce qu’étant la fille du joueur de badminton Prakash Padukone, elle était bien placée pour raconter « les sacrifices qu’une épouse ou une famille est amenée à faire pour qu’un athlète puisse réaliser ses rêves. J’ai vécu ça de très près avec mes parents, raconte-t-elle. Je comprends à quel point ce soutien est important dans la vie d’une personne extrêmement ambitieuse. »
Son autre projet, Chhapaak, qu’elle produit et dans lequel elle tient le rôle principal, est prévu pour l’année prochaine. Le film est basé sur l’histoire vraie de Laxmi Agarwal, un indien qui a survécu à une attaque à l’acide. C’est un projet pertinent, aussi bien parce que ce film aborde un problème de société, mais aussi parce qu’il démontre que les sujets difficiles n’effraient pas Deepika Padukone. Je lui demande l’effet que lui a procuré le port de prothèses esthétiques, d’être confrontée à son propre visage criblé de cicatrices. Sa réponse me surprend : « Je me suis sentie moi-même. Ça m’a permis de réaliser à quel point notre apparence physique est une partie infime de nous-même, qui ne représente pas notre véritable identité. Je pense que les gens s’attendaient à ce que je sois horrifiée. Ou émue. Ou effrayée. Mais j’étais tout à fait à l’aise avec le résultat, avec l’apparence que j’avais, et ce que je ressentais. »
On pourrait faire un parallèle avec la façon dont elle a combattu sa propre dépression, période sombre dont elle a parlé publiquement en 2015 dans l’espoir de lever le voile sur le tabou de la santé mentale en Inde. Sa franchise par rapport au sujet est toujours aussi remarquable. Elle me parle par exemple des obstacles auxquels elle a fait face lorsqu’elle prenait des médicaments. « J’ai perdu plusieurs semaines à emporter mes médicaments partout où j’allais mais sans les prendre, parce que j’avais trop peur de tout ce que j’avais entendu dire, à propos des effets secondaires, d’une possible addiction. Finalement, on atteint un stade où le choix n’est plus possible : vous prenez les médicaments, sinon vous ne survivez pas », confie-t-elle Chaque jour, elle craint la rechute, et elle gère sa santé en « y accordant simplement plus d’importance », en faisant du sport, en méditant, et en dormant au moins six à huit heures par nuit.
« Notre APPARENCE physique est une partie INFIME de nous-même, qui ne représente pas notre VÉRITABLE identité »
L’écouter évoquer sa décision d’en parler publiquement, six mois seulement après son diagnostic, et sans l’ombre d’une hésitation, permet de comprendre sa force de conviction extraordinaire : « Parfois, quand je suis vraiment sûre de certaines choses, ça ne vient pas de là », dit-elle en désignant sa tête, « ça vient d’ici », continue-t-elle en touchant son ventre.
Cette force de caractère et cette détermination lui viennent de son enfance. Deepika Padukone a grandi à Bangalore et a marché dans les pas de son père en jouant au badminton à un niveau national jusqu’à l’âge de 16 ans. Sa petite sœur, Anisha, est golfeuse professionnelle. « Mais au fond, je savais que je ne ferais pas ça toute ma vie », dit-elle pour expliquer sa redirection soudaine vers une carrière d’actrice, alors qu’elle n’avait joué que dans des pièces scolaires. Miraculeusement, ses parents l’ont soutenue, (le choix non conventionnel de son père de faire du badminton avait déjà préparé le terrain pour les membres de la famille, leur permettant ainsi de s’adonner à leurs passions), et en 2007, elle a déménagé à Bombay, où elle a commencé par faire du mannequinat, puis du cinéma. Les débuts n’ont pas été faciles, d’une part parce qu’elle n’avait aucun réseau et que Bollywood fonctionne par piston, et d’autre part parce qu’elle essayait « d’être une personne que je n’étais pas », dit-elle. « J’essayais de rentrer dans le moule, de me comporter d’une certaine façon, de porter certaines tenues. Tout s’est arrangé naturellement lorsque j’ai arrêté. »
À la lumière de l’après mouvement MeToo à Hollywood, je l’interroge quant à d’éventuels problèmes similaires à Bollywood qui auraient besoin d’être signalés. « Il y en a tant, répond-elle. La façon dont les équipes de tournage sont traitées. Le nombre d’heures qu’elles passent sur le plateau. Les salaires impayés. » Des injustices qu’en tant que productrice, elle espère dénoncer. A-t-elle le sentiment que d’autres acteurs de Bollywood mettent leur pouvoir à profit pour changer les choses ? « Non. Parce que j’ai l’impression que beaucoup d’acteurs sont juste satisfaits de ce qu’ils font pour eux-mêmes. Je n’en fais pas partie. J’aimerais me servir du statut que j’ai acquis. Parfois ça me met en colère de voir autant de personnes influentes et talentueuses qui n’essaient pas d’accomplir des choses au-delà de ce qu’elles font pour elles-mêmes. C’est un choix personnel, mais ça me rend triste. »
« J’ai l’impression que beaucoup d’acteurs sont juste SATISFAITS de ce qu’ils font pour EUX-MÊMES. Je n’en fais pas PARTIE »
Je lui demande quelles leçons elle pense que Bollywood pourrait enseigner à l’Occident. « D’avoir des castings plus diversifiés », répond-elle après une longue pause. « Alors que le débat à propos de la diversité semble avoir lieu à Hollywood en ce moment, j’ai l’impression qu’il reste un long chemin à parcourir avant qu’il y ait une vraie prise de conscience. » Est-ce que ça signifie que l’on continue à lui proposer uniquement des rôles « d’indienne » (c’est-à-dire des rôles définis par son ethnicité) ? « Oui. Ou “exotiques”. L’assistante au physique exotique du détective », déplore-t-elle en levant les yeux au ciel. Dorénavant, lorsqu’elle accepte des rendez-vous à Los Angeles, c’est avec une intention spécifique en tête. « J’assiste à des rendez-vous afin que les gens découvrent davantage que ma personne. Qu’il existe tout un monde en-dehors des États-Unis. »
Les personnes mentionnées dans cet article ne sont pas associées à NET-A-PORTER et n’en assurent pas la promotion, ni celle des produits présentés.