Force de la nature
Avec
Jessica Alba

Lutter contre le racisme à Hollywood tout en bâtissant un empire et en élevant 3 enfants : à JESSICA ALBA, rien d’impossible. La star de L.A’s Finest et fondatrice de la marque Honest discute avec SANJIV BHATTACHARYA de comment elle a forgé sa propre carrière.
Jessica Alba a un caractère bien trempé. Il n’aura pas fallu plus de dix minutes à ses côtés pour que je m’en aperçoive. Pas parce que ça se voit, mais parce qu’elle l’admet. C’est sa façon d’être : franche et directe. « Je suppose que les personnes qui critiquent me donnent de l’énergie », me dit l’actrice de 38 ans en soufflant sur son café pour le refroidir. C’est vendredi matin, nous sommes assis sur le sofa de son salon spacieux, et je remarque que ses cheveux sont toujours humides après la douche qu’elle vient probablement de prendre. « Quand personne ne croit en vous, on ne peut que faire ses preuves et aller plus haut, n’est-ce pas ? »
Mais tout le monde croit déjà en elle, n’est-ce pas ? Et elle a déjà accompli tant de choses. Une actrice de premier plan pendant près de 20 ans avec des fans dans le monde entier. En 2011, elle a fondé The Honest Company, une société de bien-être et de soins pour bébés qui a atteint une valeur d’1 billion en 2017. De ce que je constate, elle vit littéralement sur les collines de Beverly Hills. Il s’agit de sa troisième et possiblement quatrième maison dans les quartiers huppés, et la vue dont elle jouit depuis son salon est incroyable : des collines et des canyons s’étendent à perte de vue jusqu’à l’océan Pacifique.
« Les personnes qui CRITIQUENT me donnent de l’énergie. Quand PERSONNE ne croit en vous, on ne peut que faire SES PREUVES et aller plus haut, n’est-ce pas ? »
Ces derniers temps, la vie de Jessica Alba n’a pas été de tout repos. En plus de bâtir son empire, elle élève ses trois enfants : Honor, Haven et Hayes, respectivement âgés de dix, sept et un ans. Cela explique l’interruption de sa carrière d’actrice. « Ma société absorbe la majorité de ma capacité professionnelle, et mes enfants absorbent mon cœur ! » dit-elle. « Je n’ai tout simplement plus le temps de jouer la comédie. » Maintenant qu’elle a engagé un nouveau PDG à la tête de Honest, elle se sent capable de se consacrer de nouveau au cinéma. Fidèle à elle-même, son prochain projet sera d’envergure : une série télévisée hebdomadaire qui pourrait être diffusée des années durant. En effet, le show L.A.’s Finest sera bientôt lancé sur le nouveau réseau Spectrum (sur le même modèle que House of Cards sur Netflix). Jessica Alba et Gabrielle Union y forment un tandem de policières dans un remake de Bad Boys, le film de Michael Bay sorti dans les années 90 avec Will Smith et Martin Lawrence.
Dans ce show, « les femmes font des choses intéressantes au lieu d’être cantonnées à des rôles stéréotypés. » Une expérience de tournage inhabituelle car Jessica Alba et Gabrielle Union ont toutes deux eu un enfant récemment. Elles combattaient les méchants sur le plateau, et l’instant d’après, donnaient le biberon à leurs bébés. « Oh oui, je me disais, mes enfants viennent sur le tournage, et je n’ai pas besoin qu’on me fasse culpabiliser si je dois nourrir mon fils ! »
Lorsque je lui demande pourquoi elle a choisi de lancer une série TV alors qu’elle a déjà tant à faire, elle esquisse une moue impuissante. « Je ne sais pas ! J’imagine que ça me manquait. J’avais envie d’être quelqu’un d’autre. C’est la raison qui m’a poussée à jouer la comédie au départ. Quand j’étais enfant, j’étais très souvent malade, et ça m’a aidée à m’évader. À mon sens, lorsque la pression de la vie devient trop intense, ça fait du bien de déconnecter. »
« Quand j’étais enfant, j’étais très souvent MALADE, et ça m’a aidée à M’ÉVADER. À mon sens, lorsque la pression de la vie devient trop intense, ça fait du bien de DÉCONNECTER »
Elle est peut-être célèbre pour sa beauté et son talent, mais ce qui m’épate le plus chez Jessica Alba, c’est sa volonté de fer. Rien ne semble pouvoir l’arrêter. Elle est la fille d’une mère danoise et française, et d’un père mexicain, qui se sont mariés très jeunes : sa mère avait 19 ans. Jessica Alba a vécu dans la maison de ses grands-parents paternels à Pomona, une ville modeste située à l’est de Los Angeles, jusqu’à l’âge de quinze ans. La famille de sa mère a renié cette dernière lorsqu’elle a épousé un mexicain, et l’actrice n’a aucune relation avec eux. « Ils sont racistes », déplore-t-elle. L’ombre du racisme a constamment plané sur la vie de Jessica Alba. Ce qui explique en partie son tempérament d’acier.
Elle me désigne un mur de sa maison, couvert de photos de famille : son grand-père qui a commencé à cueillir des fruits à l’âge de 12 ans, sa grand-mère qui se produisait au théâtre local. « À cette époque, la Californie était totalement sous le joug de la ségrégation », rappelle-t-elle. « Les Mexicains devaient s’abreuver à des fontaines différentes. Ils ne pouvaient se baigner dans la piscine publique que le dernier jour de son ouverture, après que tous les enfants blancs y aient nagé, juste avant que l’eau ne soit vidée. »
Sa famille était pauvre. « Mon père était militaire, et parfois mes parents devaient cumuler trois emplois chacun. » Et même s’ils ont toujours essayé de la protéger, elle avait conscience de leurs difficultés financières. « Le travail était un fardeau pour eux, et je me demandais souvent pourquoi ils ne pouvaient pas faire quelque chose qu’ils aimaient. Pourquoi certaines personnes avaient cette possibilité, et pas eux. J’ai toujours refusé de croire que, parce que je n’étais pas née privilégiée, je n’avais pas le droit à cette liberté de ne pas angoisser à cause de l’argent, et d’être heureuse. »
« Je n’ai PAS REGARDÉ la plupart des films dans lesquels j’ai tourné ! Mais quand j’ai commencé, mes choix étaient principalement motivés par L’ASPECT FINANCIER. Je voulais une audience globale, peut-être pour avoir plus de LONGÉVITÉ. C’était ma mentalité »
Elle a démarré sa carrière d’actrice jeune, à peine entrée dans l’adolescence. « J’étais la seule parmi des filles blanches, dit-elle. Et s’ils avaient besoin d’une Latino, il fallait correspondre à certains stéréotypes. J’ai donc dû me frayer mon propre chemin et enfoncer moi-même les portes. Personne à Hollywood ne m’a dit “Allez, viens ! ” »
Ce qui ne l’a pas empêchée de rencontrer le succès, et tôt de surcroît. À 17 ans, James Cameron lui offre le rôle principal dans la série Dark Angel. Ont suivi Honey, Sin City, puis les Quatre Fantastiques qui l’ont érigée au rang de star internationale. Et pourtant, elle admet que sa carrière est inégale. « Je n’ai pas regardé la plupart des films dans lesquels j’ai tourné ! Mais quand j’ai commencé, mes choix étaient principalement motivés par l’aspect financier. Je voulais une audience globale, peut-être pour avoir plus de longévité. C’était ma mentalité. »
C’est en 2008, l’année où elle a épousé le producteur de cinéma Cash Warren, que son état d’esprit a commencé à changer, une période qui a coïncidé avec la naissance d’Honor, son premier enfant. « Avant, je manquais cruellement d’assurance », confie-t-elle. « J’avais le sentiment que si je ne travaillais pas plus dur que les autres, j’allais disparaître. Et c’est mon mari qui m’a ouvert les yeux et fait comprendre que je n’avais pas besoin de souffrir constamment ni d’entretenir un rapport de force avec le monde entier. Il m’a dit « Tu n’as pas besoin d’être aussi en colère, tu peux aussi être heureuse et détendue. Ta carrière ne va pas s’envoler. La vraie question que tu dois te poser, c’est ce que tu veux en faire » Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à monter mes propres projets. »
« [Lors des auditions], j’étais LA SEULE parmi des filles blanches. J’ai dû me frayer mon propre chemin et ENFONCER moi-même les portes. PERSONNE à Hollywood ne m’a dit “Allez, viens ! ” »
Sa société, Honest, commercialise des produits non-toxiques pour bébés, de beauté et pour la maison. La marque a été conçue comme un héritage pour ses enfants, une force pour des valeurs positives dans leur monde. Mais ç’a été un projet d’envergure. Jessica Alba n’avait pas encore terminé le lycée, et la voilà qui créait une entreprise. En 2016, Honest était évaluée à 1,7 billion de dollars, et Jessica Alba figure au classement Forbes des femmes (indépendantes et de moins de 40 ans) les plus riches d’Amérique, avec une fortune estimée à 340 millions de dollars.
L’aventure n’a pourtant pas été un long fleuve tranquille. En 2017, elle a dû se séparer de 80 employés et effectuer une refonte du management, nommant un nouveau PDG et recrutant beaucoup plus de femmes : 15 % à 50 % de plus aux postes décisifs. « Je devais rappeler des valeurs et des fondamentaux d’égalité des genres », explique-t-elle. « C’est tout simplement plus facile si la moitié de la salle de réunion comprend. Par exemple, la façon de penser et de ressentir de la cliente, ce qui lui passe par la tête pendant la grossesse, l’effet des hormones et les raisons pour lesquelles elle décrypte les étiquettes des ingrédients. » Je ne me suis jamais sentie aussi vulnérable que quand j’étais enceinte, aussi sensible et seule, et ç’a été le cas à chacune de mes trois grossesses. Même en attendant Hayes, j’ai eu l’impression que c’était la première fois. » (Elle n’envisage pas d’avoir un autre enfant : « J’adore les enfants, mais je n’aime pas être enceinte. »)
Naturellement, on l’a comparée à Gwyneth Paltrow à maintes reprises. Une autre comédienne ayant monté sa propre société dédiée au bien-être, et dont la carrière d’actrice a été reléguée au second plan. En mai, Jessica Alba assistera au Goop Summit (« Goop » est la marque de Gwyneth Paltrow), et les deux femmes ont déjà partagé de nombreuses histoires à propos de leur parcours respectif, notamment en ce qui concerne la levée des fonds. « Le domaine bancaire est tellement dominé par les hommes. » Jessica Alba précise d’emblée que des différences subsistent : « Gwyneth Paltrow est une actrice oscarisée, elle a fréquenté des écoles privées, son père était une star, donc nous n’aurions pas pu avoir de parcours plus différents… »
Ce qui les différencie également est le fait que Jessica Alba recommence à jouer la comédie de façon sérieuse. D’ailleurs, dans une demi-heure, elle est attendue aux studios Warner Bros. Pendant que nous bavardons, elle applique consciencieusement du mascara et du rouge à lèvres. Je remarque à nouveau son ambition, et la passion qui l’anime. Je lui demande si elle a le sentiment d’avoir une revanche à prendre sur le cinéma. Ma question la fait sourire. « Probablement. Je n’ai pas encore montré de quoi j’étais vraiment capable. Et aujourd’hui, l’atmosphère est meilleure, grâce au mouvement MeToo. Les hommes n’ont pas d’autre choix que de nous accorder les places que l’on mérite. » C’est sur cette note que nous nous quittons, et je me dis qu’à mon avis, elle obtiendra certainement ce qu’elle voudra.
Let’s go to the beach…
Du contenu de sa trousse de beauté à son cocktail préféré, la star de L.A.’s Finest JESSICA ALBA vous dévoile ses secrets pour des vacances au sommet.
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