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Leçon de vie

Avec

Emma Mackey

Leçon de vie

Malgré son succès dans la série Sex Education de Netflix, et son rôle aux côtés de Kenneth Branagh dans Mort sur le Nil, EMMA MACKEY sait déjà qu’elle ne sera pas actrice toute sa vie. La jeune franco-britannique discute avec HANNA FLINT de sa principale ambition qui, hormis de se lancer dans l’agriculture écoresponsable, est d’incarner des femmes fortes qui sauront nous enseigner une leçon ou deux.

Photographe Ben WellerRéalisation Cathy Kasterine
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Cette photo : robe et cardigan, Gucci ; bottes, Alexander McQueen. Photo d’ouverture : chemise, R13 ; jupe, Commission ; bracelet à maillons, Sophie Buhai ; autre bracelet, Laura Lomabardi.

Emma Mackey n’est qu’à l’aube de sa carrière d’actrice, mais elle sait déjà ce qu’elle attend de l’avenir. Pour faire plus ample connaissance, nous la retrouvons dans l’Ouest de Londres un après-midi d’automne ensoleillé, alors qu’elle sirote un gin tonic. « Je ne vais pas être actrice toute ma vie », dit-elle avec nonchalance. « Je rêve d’avoir une ferme et de me lancer dans la permaculture, vous savez, l’agriculture durable ? »

On peut facilement comprendre ses envies de faire plus pour l’environnement, mais cette annonce est quelque peu surprenante étant donné son succès fulgurant. Après avoir été choisie pour jouer le rôle de la très mystérieuse Maeve dans la série Sex Education (diffusée sur Netflix et dont elle tourne actuellement la troisième saison au Pays de Galles), sa vie a été bouleversée ; et bien qu’elle adore la série, elle avoue ne pas avoir été préparée à cette nouvelle célébrité.

Casanière de nature, elle préfère « passer du temps avec une ou deux personnes à la fois plutôt qu’un groupe pour ne pas se sentir dépassée ». Rapidement, l’actrice se rend compte qu’elle est plus à l’aise en jouant la carte de la discrétion lorsqu’elle ne travaille pas. « Ce n’est pas une expérience normale », explique-t-elle. « Au début, je suis allée à quelques fêtes, mais je ne veux pas être une personne qui n’apparaît qu’à des défilés de mode. »

Manteau, Andersson Bell ; T-shirt, Ksubi.

« Cet univers est très tentant : on se dit qu’on va aller à des super soirées et rencontrer plein de monde. Mais qu’est-ce que cela signifie réellement ? », poursuit-elle. « Lorsque vous êtes à l’une de ces fêtes, les gens ne vous regardent et ne vous parlent pas vraiment. Il est très rare d’avoir une connexion avec quelqu’un et, de toute façon, je ne suis pas très à l’aise. »

Et pourtant, la sortie prochaine de l’adaptation de Mort sur le Nil d’Agatha Christie réalisée par Kenneth Branagh, qui marque les débuts d’Emma sur grand écran, est certaine de la projeter sur le devant de la scène. Si vous ajoutez à cela trois films indépendants (dont un biopic sur Emily Brontë dans lequel elle tient le rôle principal), vous obtenez un début de carrière qui en ferait rêver plus d’une.

Mais à mesure que nous parlons de sa vie, de sa carrière et de ce qui se passe actuellement dans le monde, le choix de la jeune femme de 24 ans de vivre loin des projecteurs devient plus clair. Elle n’est d’ailleurs pas très présente sur les réseaux sociaux, malgré ses 5 millions d’abonnés sur Instagram. « Je ne crois pas qu’être sur Instagram soit fait pour moi », avoue-t-elle, expliquant qu’elle a récemment supprimé l’application de son téléphone. « Je sais que je vais juste survoler mes messages et mes commentaires, car je trouve cela très réducteur. Je suis consciente du pouvoir des réseaux sociaux, mais ne suis pas certaine que ce soit réellement une bonne chose. Je trouve affligeant la quantité de temps que nous pouvons y passer. »

« Une PART de moi avait besoin de rattraper ce retard… J’étais NAÏVE et je voulais ENRICHIR mon identité britannique. »

Blazer, Stella McCartney ; T-shirt, RE/DONE ; collier, Loren Stewart.
Blazer et bottes, Stella McCartney ; T-shirt, RE/DONE ; jupe, Sacai.

Ce qu’elle préfère dans ce métier est sans aucun doute l’art de la performance, qui l’attire depuis son plus jeune âge. Son père est français et sa mère est originaire de Sutton Coldfield au Royaume-Uni ; son frère et elle-même ont donc grandi dans une bulle so british dans le Nord-Ouest de la France. Elle écoutait les feuilletons de la BBC à la radio, lisait des romans en anglais et, lors de ses voyages en Angleterre, se rendait au théâtre aussi souvent que possible afin d’avoir l’impression d’appartenir à une culture dont elle se sentait un peu exclue.

À la fin du lycée, Emma choisit d’étudier la littérature et la langue anglaise à l’université de Leeds pour combler les lacunes de son identité. « Une part de moi avait besoin de rattraper ce retard », explique-t-elle. « J’aurais certainement préféré me lancer dans l’histoire politique internationale ou quelque chose de plus factuel, mais à ce moment-là j’étais naïve et je voulais enrichir mon identité britannique. D’ailleurs, j’ai mis du temps à m’accepter telle que je suis, dans mon intégralité. »

Le confinement a été comme une réinitialisation. Elle est restée en France pendant six mois afin de terminer le tournage de son premier long-métrage en français : Eiffel, l’histoire d’amour de l’ingénieur Gustave Eiffel qui va inspirer la création de la fameuse tour. Lorsqu’elle ne tournait pas à Paris, l’actrice vivait avec ses parents dans leur maison près du Mans, où elle cuisinait et regardait les animations du Studio Ghibli pour la première fois, ainsi que les films de François Truffaut. 10 jours avant de rentrer au Royaume-Uni pour reprendre le travail, elle a lu trois livres en français : 21 leçons pour le xxie siècle de Yuval Noah Harare, Shibumi de Trevanian et Légendes d’automne de Jim Harrison. « J’ai compris que pour me sentir réellement connectée à la littérature, il fallait que je la lise en français », explique-t-elle. « Lorsque je lis en anglais, je lis en diagonale. »

« Elles racontaient des ANECDOTES de leurs expériences dans les années 70 et 80. C’était un tel privilège que de pouvoir être à leurs côtés. »

Elle admet timidement que c’est ainsi qu’elle s’est préparée pour le tournage de Mort sur le Nil. Emma avait d’abord auditionné pour le personnage de Louise Bourget, la bonne française que jouait Jane Birkin en 1978. Cependant, elle a été choisie pour incarner le rôle de Jacqueline de Bellefort, la meilleure amie pauvre devenue ennemie de la riche héritière Linnet Ridgeway Doyle (Gal Gadot). Lorsque cette dernière s’enfuit avec le fiancé de Jacqueline, Simon Doyle (Armie Hammer), la jeune femme les suit lors de leur lune de miel en Égypte sur un bateau à vapeur, sur lequel séjourne également Hercule Poirot (Kenneth Branagh). Rapidement, les évènements prennent une tournure morbide et nécessitent l’intervention du fameux détective.

Étant la plus jeune sur le plateau, Emma a pu bénéficier des conseils de « femmes plus expérimentées dans cette industrie » comme Jennifer Saunders, Dawn French, Annette Bening et Sophie Okonedo. « Elles racontaient des anecdotes de leurs expériences dans les années 70 et 80. C’était un tel privilège que de pouvoir être à leurs côtés », se souvient-elle. « J’ai absorbé tout ce qu’elles disaient, et les regardais travailler. »

Cardigan, Totême ; chemise, MM6 Maison Margiela ; jean, R13.
Pull, Ganni ; robe, Comme des Garçons ; collier, Loren Stewart.

Elle est également reconnaissante d’avoir pu travailler avec le réalisateur Kenneth Branagh, qui a guidé les acteurs dans une façon différente de tourner. « Au début, j’étais mise à l’écart car mon personnage est souvent isolé », explique l’actrice. « Ils étaient tous sur le bateau pendant la première semaine alors que j’étais dans mon coin, un peu jalouse. Cela faisait partie du plan de Kenneth pour que je puisse vraiment me mettre dans la peau de mon personnage qui est exclu du groupe. »

Cette façon plus immersive de travailler était très différente de ses expériences précédentes. Pour la télévision, « il y a tellement de scènes à filmer que votre temps pour les exécuter est limité ». Mais elle tient toujours à donner le maximum pour son personnage : « le secret est de l’enrichir avec de bonnes intentions. »

Veste, Chloé ; T-shirt, RE/DONE ; jean, AGOLDE.

Son retour sur le tournage de Sex Education était assez particulier. « À cause de la pandémie, le plateau était très réglementé et nous devions faire un test toutes les deux semaines pour assurer la sécurité des acteurs et des équipes techniques. » Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de scènes intimes : « Nous continuons de nous prendre dans les bras et de nous embrasser ».

Ce retour au travail s’est également produit pendant une période socio-politique instable. Le monde s’est en effet soulevé contre le racisme, obligeant les différents secteurs à mettre rapidement en place des changements.

« Je ne sais pas si c’est à moi de dire quoi que ce soit, mais je compatis car c’est horrible, dégoûtant et honteux que nous vivions à une époque où le racisme est encore toléré », dit-elle. « Mon côté anarchiste me dit que la seule solution est de démanteler le système sur lequel reposent les gouvernements. Tout découle du privilège blanc. »

« Lorsque vous êtes à l’une de ces FÊTES, les gens ne vous regardent et ne vous parlent pas vraiment. Il est très RARE d’avoir une connexion avec quelqu’un et, de toute façon, je ne suis pas très à l’aise. »

Cardigan, Totême ; chemise, MM6 Maison Margiela ; collier, Loren Stewart.

Bien qu’ancienne étudiante en littérature, Emma a d’ailleurs remis en question le nouveau biopic sur Emily Brontë. « Avons-nous vraiment besoin d’un nouveau film sans aucune personne de couleur ? », a-t-elle demandé à son agent. Elle veille à ce que chaque rôle qu’elle accepte ait du poids et du sens.

« C’est un bon rôle si la femme que je joue, dans ce cas une femme réelle, est un personnage intéressant, dont l’histoire va transmettre quelque chose au public, l’enrichir d’une certaine manière ou lui apprendre quelque chose », ajoute-t-elle. « Après cette période bizarre, mon objectif est de faire des choses qui ont du sens… Il est primordial qu’elles aient un sens. »

Mort sur le Nil sortira en salles le 18 décembre aux États-Unis et au Royaume-Uni.