Back to basics
Avec
Carolyn Murphy

Avec une carrière de presque trente ans, le top ultra-convoité CAROLYN MURPHY a foulé les podiums des plus grands créateurs, travaillé avec les plus grands noms de la mode et voyagé à travers le monde. Toutefois, le plus important pour l’icône reste sa famille, le contact avec la nature et sa communauté, comme elle l’explique à TILLY MACALISTER-SMITH.
C’est la Journée internationale des droits de la femme début mars, et partout dans le monde, les femmes au pouvoir s’expriment au nom de toutes celles qui n’osent pas. Les réseaux sociaux diffusent quant à eux des messages de solidarité et de progrès réalisés au cours des semaines et décennies passées. Nous avons fait un bon de quelques semaines en arrière, tout juste avant que la pandémie de COVID-19 ne frappe l’Occident. Le soleil inonde le studio photo situé au dernier étage d’un immeuble de Brooklyn, où la sororité y est, en effet, florissante. La chanson Golden de Jill Scott résonne dans les haut-parleurs de la photographe Alexandra Nataf, pendant que la styliste Ilona Harmer se faufile entre des portants de pièces de tailleur élégantes. Carolyn Murphy apparaît, quant à elle, pieds nus, parée d’un ensemble ample, et arborant un sourire radieux.
Le mannequin légendaire a récemment défilé pour certains des plus grands noms de la mode, dont Isabel Marant, Fendi, Off-White, The Row ou encore Zimmermann, à l’occasion des Fashion Weeks automne-hiver 2020. Carolyn Murphy a fait ses premiers pas dans un univers régi par les Super Tops, les excès et les jets privés, il y a trente ans. Jeune femme timide à l’époque, elle est devenue l’un des visages les plus prisés de l’industrie, mais ne s’attendait pas à revenir fouler les podiums aujourd’hui. « Je n’avais pas prévu de défiler à nouveau. J’ai 46 ans, je pensais déjà avoir pris ma retraite », dit-elle en riant. La réalité est qu’à ce stade de sa carrière, elle peut se permettre de choisir ses emplois. Elle a clôturé le défilé The Row parce que « Mary-Kate et Ashley sont mes amies. Le lien qui les unit est vraiment très fort. J’admire énormément leur intelligence et leur sens du design ».
« Il y a encore quelques années, UNE FEMME de 46 ans n’aurait pas été acceptée sur un PODIUM. Maintenant tous les âges sont les BIENVENUS, et je trouve cela très bien »
Si elle a d’abord été réticente à l’idée de participer à beaucoup de défilés, elle n’a pas eu besoin de réfléchir longtemps avant d’accepter l’invitation de Virgil Abloh pour Off-White. « Il est si intelligent, gentil et intéressant. Je discutais avec Gigi Hadid, que j’adore, pendant les essayages quand ils nous ont apporté la robe », s’exclame-t-elle, faisant référence à la robe blanche en mailles très près du corps et dotée d’une découpe qui dévoilait ses abdominaux parfaitement dessinés. « Il y avait une telle énergie collective lors des essayages, je me suis sentie galvanisée. » Il ne fait aucun doute qu’elle a apprécié ce sentiment de libération lors de son récent passage sous les projecteurs. « Je me disais que je n’avais rien à perdre. Il s’agissait de s’amuser avant tout. La beauté de l’industrie, et du monde en général en ce moment, réside dans sa capacité d’inclusion. Il y a encore quelques années, une femme de 46 ans n’aurait pas été acceptée sur un podium. Maintenant tous les âges sont les bienvenus, et je trouve cela très bien. »
Avec une brillante carrière de trois décennies (et qui ne montre aucun signe de ralentissement) et une fille de 19 ans, Dylan, dont elle peut être fière, elle semble parfaitement épanouie. « Lorsque vous atteignez la quarantaine, une certaine sagesse vous emplit. Je n’ai pas de problèmes de santé, touchons du bois, et tout est en quelque sorte réglé. D’un autre côté, que vont m’apporter les 50 prochaines années ? Je me trouve à un carrefour intéressant de la vie. »
« J’ai BESOIN de bouger pour me VIDER l’esprit »
Malgré toute son expérience, qui comprend notamment des campagnes publicitaires pour Prada, Tom Ford et Max Mara, un mariage, un divorce et l’éducation de sa fille, elle affiche un teint éclatant. Une beauté naturelle qui respire la santé et ne cesse d’inspirer les marques (elle détient un contrat de 20 ans avec Estée Lauder, le plus long jamais signé). Croyant à la devise de sa grand-mère, « la beauté vient de l’intérieur », son secret brille par sa simplicité : suivre un régime alimentaire à base de légumes, dormir avec la fenêtre ouverte, boire des litres d’eau (elle emporte sa bouteille d’eau de 2 litres partout avec elle et la remplit deux fois par jour), éviter l’alcool et utiliser des « gouttes de crème hydratante en voyage ». Même sans une once de maquillage, son teint est radieux.
Et comme nous avons pu l’apercevoir grâce à la fameuse robe Off-White, elle est également très athlétique. Pour elle, la santé et le bien-être constituent un mode de vie plus qu’un régime à suivre. « J’ai besoin de bouger pour me vider l’esprit mais je ne passe pas ma vie dans les salles de sport. Je préfère les activités en plein air, la randonnée par exemple. Je ne surfe plus beaucoup mais je fais du yoga, Iyengar et Vinyasa notamment. » Elle a fait de la natation en compétition quand elle était enfant, et s’y est remise récemment. Son amour des animaux la maintient également très active bien qu’elle ait perdu il y a peu de temps son cheval adoré, Doc, qu’elle avait depuis 18 ans. Heureusement, elle a encore ses deux labradors, Rupert et Emerson (ce dernier porte le nom du philosophe américain Ralph Waldo Emerson).
Avouant être plutôt casanière, elle préfère cuisiner chez elle plutôt que de sortir dîner, elle cultive son potager, connaît personnellement les agriculteurs chez qui elle s’approvisionne, et aime faire le marché même en plein hiver ; une démarche assez impressionnante pour une new-yorkaise entourée d’options plus faciles. Elle apprécie la nourriture et ne pourrait s’imposer un régime trop strict. « Je ne fais pas toutes ces choses folles que sont le jeûne ou le fasting. J’aime la nourriture. Il n’y a pas longtemps, j’ai d’ailleurs passé un mois à Hawaï avec mon amie Shalom Harlow pour rencontrer des agriculteurs biologiques agroforestiers et biodynamiques et visiter leurs différentes exploitations. »
La cuisine s’est aussi avérée être un moyen important de communiquer avec sa fille, Dylan. Carolyn doit son savoir-faire à sa mère, qui cuisinait des légumes bio provenant d’une ferme familiale en Virginie. « Dylan est allée dans une école Steiner-Waldorf, et une grande partie de leur philosophie s’appuie sur le fait que nous sommes tous connectés avec la nature. Rudolf Steiner avait vraiment prédit la période technologique après l’ère industrielle, et avait souligné l’importance de l’esprit, du corps et de l’âme, de la connexion avec la nature, et c’est exactement ce vers quoi nous nous tournons aujourd’hui. J’estimais que Dylan devait posséder cette seconde nature. »
Est-ce donc vrai que nous finissons par ressembler à nos parents ? « Dylan est bien plus mûre que je ne l’étais », admet le mannequin. « Elle n’est pas sur les réseaux sociaux. Elle a travaillé dessus pendant des années, puis a arrêté. Elle aime la mode comme beaucoup de jeunes femmes de son âge, mais elle n’a pas vraiment envie de travailler dans cette industrie. Elle est juste très sage, c’est ainsi qu’elle est venue au monde. J’ai accouché dans une ferme que je possédais dans l’état de New York et je me souviens de l’avoir regardée en me disant qu’elle allait beaucoup m’apprendre. »
Carolyn se prépare désormais à vivre un nouveau chapitre de sa vie de maman dans la mesure où Dylan s’apprête à quitter le nid pour partir à l’université. « Mon dieu, je n’arrive même pas… C’est trop dur », dit-elle en secouant la tête dans ses mains. « J’ai parfois rencontré des difficultés pour jongler entre ma carrière et mon rôle de mère célibataire, mais j’étais soutenue par ma famille et ma communauté, et j’avais le luxe de ne pas travailler à plein temps. J’ai fait en sorte d’adapter ma carrière à mon agenda de maman même si cela signifiait parfois refuser certains emplois et donc gagner moins d’argent. Tout est différent maintenant, je me trouve dans une situation où je peux faire ce que je veux, quand je le veux et tout cela est nouveau pour moi. J’imagine que je devrais essayer de rencontrer quelqu’un ! » Les applications de rencontre lui font peur, mais elle a de temps en temps accepté de rencontrer des amis d’amis. « On verra. J’ai effectivement besoin de sortir mais je veux aussi être tranquille, me plonger dans un bon livre, cuisiner et regarder des films à la maison. »
Avant même que les restrictions liées au confinement ne bouleversent notre vie, il existait déjà un sentiment sous-jacent, peut-être croissant, de désordre causé par l’incertitude politique, le changement climatique et les gros titres envahissants. Comment fait-elle pour garder son sang-froid ? « Je suis humaine. Même si je fais de la méditation et du yoga, mon esprit est toujours en activité. Je pense à la polarité dans le monde en ce moment et je n’ai pas l’impression que le message soit sain. C’est ce qui se passe autour de nous avec le climat, avec la politique. La meilleure chose à faire est d’essayer de rester centré et de guérir à notre manière, car si nous ne sommes pas centrés sur nous-mêmes, comment pouvons-nous espérer que le reste du monde le soit ? »
Son aptitude à la positivité est liée à la philanthropie. « Je ne suis pas une activiste, mais une militante », déclare-t-elle. Une approche qu’elle tient de son enfance et qui se concentre sur les océans, les animaux, la nourriture et les enfants. « Les animaux et les enfants ne peuvent pas toujours s’exprimer, nous devons les protéger, et les océans me passionnent parce que j’ai grandi au bord de l’eau et que je surfais. » Plus précisément, elle soutient la Surfrider Foundation, The Wellness Foundation, Animal Haven, Edible Schoolyard NYC, Ocean Unite et No More Plastic, et a aussi travaillé avec le New York Restoration Project de Bette Midler.
« J’aime que ma GARDE-ROBE soit comme ma maison : épurée et SIMPLE, aux couleurs neutres et QUALITATIVE plutôt que quantitative »
Carolyn Murphy possède une tendance instinctive à ramener les choses à leur état naturel, une démarche qu’elle applique également à son style et qui semble particulièrement pertinente en ce moment. « J’aime que ma garde-robe soit comme ma maison : épurée et simple, aux couleurs neutres et qualitative plutôt que quantitative. » Un talent intuitif qui s’étend aussi aux maisons. Elle arrive à créer de belles maisons discrètes sans aucun effort, que ce soit la sienne ou parfois celle de ses amis. Souvent, elle réutilise des matériaux pour ses intérieurs, appréciant l’aspect communautaire du travail avec les fournisseurs et les artisans locaux. Elle ajoute cependant « qu’un pot de peinture blanche est bien souvent la meilleure solution ».
Elle habite à Brooklyn, un quartier de New York qu’elle préfère à Manhattan comme « il y a des arbres, j’ai un jardin et je peux entendre les oiseaux chanter en ouvrant mes fenêtres ». Elle est sur le point de terminer la rénovation de sa maison de ville datant des années 1800. « Ce fut particulièrement difficile parce qu’il y avait beaucoup de couches : de la toile et du chintz des années 70 et 80. » Elle possède également une maison dans les Hamptons dans laquelle elle passe la moitié de son temps. Un mode de vie partagé entre la campagne, la ville et le bord de mer qui fait écho à son enfance : née en Floride, elle a grandi entre des plages ensoleillées, les paysages bucoliques de l’Oxfordshire en Angleterre et la ferme familiale située en Virginie.
Quels sont ses projets d’avenir ? Le lancement de son site internet, Mama Murphy’s, qui donnera des conseils pratiques et d’orientation ; une idée qui lui est venue il y a dix ans, inspirée par le fait de revenir à l’essentiel, de vivre simplement, ce qui semble aujourd’hui plus que jamais indispensable. « Il est intéressant de voir à quel point certaines personnes peuvent être étrangères au concept de simplicité. C’est un style de vie pour les gens modernes. » Et ses projets pour elle-même ? « Passer de bons moments, rire beaucoup, m’ouvrir à de nouvelles possibilités, de nouvelles choses. Je ne veux jamais arrêter d’apprendre parce que c’est ainsi que je m’épanouis, comme le suggère cette citation : “Stay hungry, stay foolish” ( “Soyez insatiables, soyez fous”, NDLR). »