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Gillian Anderson

Depuis son rôle dans la série de science-fiction X-Files dans les années 90, GILLIAN ANDERSON captive le public aussi bien sur les planches qu’à l’écran. Elle impressionne dans le rôle de Margaret Thatcher, qu’elle incarne dans la série à succès The Crown. HANNA FLINT a discuté avec l’actrice des leçons qu’elle a apprises en 2020, de développement personnel et de l’importance d’être ouvert au changement.

Photographe Liz CollinsRéalisation Maya Zepinic
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Cette photo : manteau, Le 17 Septembre ; haut, Ninety Percent. Photo d'ouverture : pull, Le Kasha.

C’est par un après-midi ensoleillé que je retrouve l’actrice Gillian Anderson dans Hyde Park, à Londres. J’ai hâte de discuter de la saison 4 de la série The Crown, dans laquelle elle interprète la fameuse dame de fer : Margaret Thatcher, première femme à avoir été nommée premier ministre au Royaume-Uni. Nous commençons notre conversation en observant la fameuse Serpentine et sa faune : « Regardez les plumes de ce cygne », s’exclame-t-elle. « Je ne veux pas vous interrompre, mais regardez, ses ailes forment un cœur. »

Gillian Anderson n’est évidemment pas étudiante en ornithologie, cependant elle rêvait de devenir biologiste marine lorsqu’elle était enfant. Elle m’explique que les choses ont bien changé, la simple idée de jouer ce rôle sur grand écran lui ferait peur. « Je suis sûre que je refuserais de me mouiller », dit-elle. « Je suis arrivée à un âge ou je refuse de faire certaines choses. Une amie devait jouer dans le film Everest, mais je me souviens juste avoir pensé “Quelle horreur ! Imagine ce que tu vas devoir faire”. Je ne suis pas ce genre de personne. »

Mais alors, qui est Gillian Anderson ? Actrice à succès, elle a remporté de nombreux prix pour son interprétation de l’agent Dana Scully dans la série de science-fiction X-Files. Elle a ensuite fait sensation dans The Fall dans le rôle du détective superintendant Stella Gibson. Et plus récemment, elle a incarné la sexologue ultra-glamour Jean Milburn dans Sex Education.

« Si j’avais eu une OPINION trop forte sur [Thatcher], ma performance aurait été bien DIFFÉRENTE. En tant qu’actrice, il était important pour moi de FAIRE LE VIDE »

Robe, Bottega Veneta ; bottes, Jimmy Choo.

Fière d’être londonienne, elle a vécu dans la capitale anglaise pendant la plus grande partie de sa vie adulte. Elle adore les animaux (notre conversation est interrompue à maintes reprises par un cormoran qui plonge ou un labrador qui fait trempette). Elle accorde une grande importance à sa vie privée et préfère donc ne pas trop en dévoiler sur sa famille, mais elle n’hésite pas à me raconter quelques anecdotes personnelles. Comme la fois où elle a refusé de lancer une collection d’accessoires sexuels inspirés de la série Sex Education : « Je ne me souviens plus pourquoi j’ai dit non ». Ou de celle, il y a bien des années en arrière, où elle a parlé d’une idée concernant le partage de vidéos à une femme qui a participé à la création de Facebook et de Google. Il s’avère que son idée était très similaire à une plateforme qui était sur le point d’être lancée : YouTube. « C’est la dernière fois que j’ai partagé mes réflexions sur la technologie », s’amuse-t-elle.

Le soleil d’hiver vient illuminer le visage sans maquillage de l’actrice de 52 ans. Elle est aussi radieuse qu’il y a 30 ans… Elle m’avoue se soucier de son apparence et vient tout juste de refaire sa teinture de cheveux en vue de plusieurs conférences de presse. Elle semble cependant ne pas accepter mon compliment lorsque je lui dis qu’elle n’a pas vieilli. « Ma mère m’a toujours dit que ma grand-mère Mary-Rose avait une très belle peau. Mais je m’endors souvent avant de m’être démaquillée et on me dit, lors de séances photo, que ma peau est très sèche. »

Robe, Petar Petrov.
Manteau, Le 17 Septembre ; haut, Ninety Percent ; bottes, Aeyde.

Bien que modeste lorsque l’on aborde son apparence, elle rayonne d’assurance en parlant des rôles qu’elle souhaite jouer. « Les choses sont bien différentes aujourd’hui d’il y a 10 ou 15 ans », commence-t-elle. « À l’époque, une femme de mon âge avait du mal à trouver des rôles, en tout cas pour la télévision… mais j’ai la chance d’avoir l’embarras du choix. » Après avoir donné vie à des personnages comme Blanche DuBois dans Un tramway nommé Désir, Margo Channing dans All about Eve et plus récemment Margaret Thatcher, elle admet être devenue plus pointilleuse lorsqu’il s’agit de choisir un nouveau projet.

Bien avant que Peter Morgan, le créateur de la série et son compagnon depuis quatre ans, ne lui propose d’interpréter Margaret Thatcher, elle avait déjà été choisie par le directeur de casting. Mais après avoir accepté le rôle, le couple s’est imposé comme règle de ne pas discuter de sa performance. Lorsqu’elle avait des questions, elle s’adressait aux équipes de recherche et du script, et s’il avait des commentaires concernant son jeu d’actrice il en parlait au réalisateur. « Nous avons fait en sorte d’établir certaines limites », explique-t-elle. « Et étonnement, nous nous en sommes bien sortis. C’était même une très bonne expérience, et j’ai eu plaisir à travailler ensemble. »

Les acteurs ont besoin d’un certain niveau d’empathie pour jouer un personnage de manière réaliste. On pourrait donc penser que Gillian Anderson, plutôt libérale, a dû faire d’importants efforts pour interpréter un personnage comme Margaret Thatcher. Cependant, elle m’explique que son impression de la politicienne conservatrice était bien différente de celle que pouvaient avoir les britanniques à l’époque de son mandat. « Ma famille s’est installée aux États-Unis en 1979, l’année où Margaret Thatcher est arrivée au pouvoir », raconte-t-elle. « Mon expérience est donc très différente de celle que j’aurais vécue si nous étions restés et si j’avais côtoyé ces opinions. Je n’ai en fait pas développé d’opinion à son sujet. Ce n’est qu’une fois devenue adulte que j’ai entendu des réactions très fortes quant à sa politique. J’ai donc abordé ce rôle avec un esprit ouvert. »

Manteau, Bottega Veneta ; haut, Ninety Percent.

Elle a comblé ses lacunes avec l’aide de l’équipe de recherche de la série, a lu autant que possible et a regardé une myriade de vidéos pour s’imprégner des manières de Margaret Thatcher. « Sa voix était différente lorsqu’elle parlait à son mari, Denis, et lorsqu’elle s’adressait au gouvernement », précise l’actrice. « Elle s’exprimait d’une façon totalement différente lorsqu’elle plaisantait avec les ministres. Pendant les conférences officielles, elle devenait bien plus stricte. Je voulais créer un équilibre plutôt que de souligner ces différences pendant mes scènes. »

Bien que la série The Crown se focalise principalement sur la famille royale britannique (Olivia Colman revient d’ailleurs pour sa seconde saison dans le rôle de la reine Elizabeth II), Margaret Thatcher est davantage présente à l’écran que les précédents premiers ministres. Dans les cinq premiers épisodes, la vie familiale et les origines modestes de la figure de proue du parti Conservateur, ainsi que sa gestion de la guerre des Malouines, sont au cœur de l’intrigue. L’actrice avoue qu’elle n’aurait pas pu jouer son rôle si elle avait laissé ses convictions prendre le dessus : « Si j’avais eu une opinion trop forte sur sa façon d’élever ses enfants ou de diriger le pays, ma performance aurait été bien différente. En tant qu’actrice, il était important pour moi de faire le vide. »

Cela ne l’empêche pas d’avoir des opinions bien arrêtées sur le climat politique actuel : « Je m’inquiète de l’état du monde », admet-elle. « C’est terrifiant, et on dirait que ça ne fait qu’empirer. »

Les bouleversements de ces dernières années l’ont amenée à se concentrer sur les choses qui la passionnent réellement. Elle utilise sa voix pour attirer l’attention sur des activités caritatives en Afrique du Sud, sur la traite des êtres humains, ainsi que l’égalité des sexes et les droits des femmes, entre autres causes. Cette année, elle a réalisé que le chemin était encore long pour vaincre le racisme : « Quel que soit le travail que je fais dans les associations, je n’avais jamais vraiment pris le temps d’étudier ou de comprendre la façon dont la société se retourne contre les personnes de couleur et les minorités. Je n’avais pas conscience de la gravité du problème et de la difficulté qu’ont ces populations à surmonter ces obstacles. »

« J’ai souvent tendance à FERMER mon esprit pour BLOQUER certaines choses. Mais il est temps d’écouter »

Chemise, Gucci.
Haut, Ninety Percent ; jupe, Michael Kors Collection ; ceinture, Loewe.

Elle souligne notamment la résurgence du mouvement Black Lives Matter, qui lui a permis de comprendre les idées reçues de la société. « Cela a marqué le début d’une éducation que je ne savais même pas dont j’avais besoin », s’exclame-t-elle. « J’ai compris à quel point j’ai été programmée pour penser certaines choses et je sais maintenant ce qu’il me reste à apprendre pour aller de l’avant. »

Nous nous dirigeons doucement vers la sortie d’Hyde Park et l’actrice a mis de côté sa passion pour la faune afin d’observer les passants. Préoccupée par l’état actuel du monde, elle a été particulièrement marquée par les événements de cette année tumultueuse. « J’ai souvent tendance à fermer mon esprit pour bloquer certaines choses », m’avoue-t-elle, pensive. « Mais il est temps d’écouter. »

The Crown est actuellement disponible sur Netflix.